mercredi 31 octobre 2018

L'attrape-coeurs - Jerome David Salinger

Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout. [J.-D.S.]
Je me vois encore séduit par un roman d'apprentissage. Je m'aperçois que ce type de roman est beaucoup plus courant que je ne pouvais le croire. En fait, cette période où l'on sort de l'adolescence, où on s'aventure dans le monde adulte avec ses surprises, ses découvertes, ce monde à assimiler, ce contact avec les autres et avec la vie est une période qui dévoile toute sa richesse dans l'imaginaire des auteurs. Les lecteurs, dont je suis, aiment se replonger dans cette faille temporelle malgré les années. Voilà toute la magie de la littérature, s'insérer dans une autre vie, revivre par personnage interposé des sentiments ou faire, par ce même artifice, de nouvelles expériences dans un cadre qui n'aura jamais été le nôtre. Ici, ce sera quelques jours d'errements à New York de Holden Caufield, un adolescent qui vient d'être expulsé de son collège et qui tarde avant d'affronter ses parents. Il vivra là quelques expériences, il fera quelques rencontres pas toujours heureuses et il exprimera son mal-être dans son cri et sa déprime. Même si le cadre se situe dans les États-Unis d'Amérique quelque part au début des années cinquante, on ne peut que se percevoir en partie dans ce mythique Attrape-coeurs, dans cet ado idéaliste, mais sans projet.
Le type de la Navy et moi on s'est servis de l'«Enchanté d'avoir fait votre connaissance». Un truc qui me tue. Je suis toujours à dire «Enchanté d'avoir fait votre connaissance» à des gens que j'avais pas le moindre désir de connaître. C'est comme ça qu'il faut fonctionner si on veut rester en vie. [J.-D.S.]

mercredi 17 octobre 2018

Le suspendu de Conakry - Jean-Christophe Rufin

La foule regardait le corps suspendu. [J.-C.R.]
Aurel Timescu est fonctionnaire au Consulat de France sis à Conakry en Guinée. Aurel Timescu est consul sans être général. Aurel Timescu travaille habituellement dans ce qu'on pourrait appeler un placard, mais en l'absence du consul général, il se voit doté d'un soupçon de liberté pour traiter d'un dossier délicat, le meurtre d'un citoyen français sur son bateau ancré en retrait dans le port de Conakry. Aurel Timescu est un nouveau personnage pour Rufin, un intrigant personnage, le souffre-douleur sinon la risée des membres du consulat. Il circule dans Conakry accoutré de vêtements très mal adaptés, il a tout ce qui est nécessaire pour qu'on lui attribue le titre d'antihéros. Rufin, qui a connu des ambassades et des consulats en terres africaines, se sert habilement de ces expériences pour en faire le cadre de cette aventure.

Et puis, il y a Conakry. Conakry dont le décor ne m'est pas totalement étranger y ayant séjourné autrefois pour y livrer une formation. Il y a toujours quelque chose qui touche, qui émeut, lorsqu'on retrouve au tournant d'une page un site connu, une place qui vient en résonance avec un élément de notre mémoire.

Tout cela se décline dans un roman à saveur policière et diplomatique dont la lecture est tout à fait agréable. Je recroiserais volontiers ce diplomate atypique.
La mer? C'est le lieu où tout finit, où la roche des montagnes, usée par le temps, vient terminer sa course, sous forme de grains de sable. [J.-C.R.]
La culpabilité n'a pas besoin d'un objet pour exister. C'est un sentiment qui vient de nous et qui pousse sur un terreau d'émotions, de souvenirs, de désirs, qui nous est propre. Après, quand elle grandit, cette plante s'accroche à ce qu'elle trouve. [J.-C.R.]

vendredi 21 septembre 2018

Ada - Antoine Bello

- Elle a un nom de famille, cette Ada? demanda Frank Logan en se frottant les yeux. [AB.]
Sur le thème de l'intelligence artificielle, ce roman sans façon peut difficilement être plus actuel. Ada, c'est le nom de cette intelligence. Elle a disparu. Aucune de ses versions n’est présente sur les nombreux sites de stockage de la société Turning Corp. Elle était le fruit d'une recherche active dans le domaine et son premier objectif consistait en la rédaction et la publication d'un roman à l'eau de rose original constitué de ses propres constats à l'égard de cette littérature. Cela devait être un premier pas vers des oeuvres de création plus complexes, vers des articles de fond dans le champ du journalisme, articles qui devraient pouvoir recevoir le prix Pulitzer.
Frank Logan mène l'enquête. Il est spécialisé dans les disparitions et les enlèvements; il compose à sa façon des haïkus. L'informatique et les nouvelles technologies ne font pas partie de son champ d'expertise. Ses questionnements et interrogations naïves nous entraînent dans un univers de réflexions, sur la société qui se dévoile à l'horizon, sur notre rapport au développement technologique, sur ses dérives, mais aussi sur la culture ou la littérature dans un tel contexte, mais tout cela sans prétention et avec humour. J'aurai apprécié ce roman lu lors de récentes vacances.
Il est désormais établi que la structure de la langue que nous parlons façonne notre mode de pensée. Charles Quint prétendait s'adresser à Dieu en espagnol, à ses amis en anglais, à sa maîtresse en français et à son cheval en allemand. [A.B.]

vendredi 7 septembre 2018

Les Yeux bleus de Mistassini - Jacques Poulin

Ce matin-là, des nappes de brume avaient envahi la rue Saint-Jean. [J.P.] 
L'univers de Jacques Poulin est un univers fait de tendresse, de petits moments, de découvertes, de parcours initiatiques, de sagesse transmise, d'amour des livres et de la littérature. Jack Waterman (c'est un nom de plume) est un auteur qui fait aussi traducteur. Il tient dans le Vieux-Québec une librairie particulière où les clients et les itinérants viennent se réchauffer autour d'un feu, où les jeunes lecteurs sans le sou se voient offrir des livres à dérober, où les recueils de poésie récitent leurs vers ça et là dans les rayons. Jimmy, un étudiant en lettres, attiré par un livre en vitrine, se liera avec le vieux Jack. Sa soeur Mistassini et lui deviendront en quelque sorte les dépositaires des projets de Jack. C'est Jimmy qui est le narrateur attentionné de ce magnifique conte de Jacques Poulin. Je reste toujours séduit par le style dépouillé, la scène des rues de Québec, les personnages récurrents et l'amour que témoigne Poulin à l'égard des livres. 
Le rêve est très utile, c’est même la meilleure façon d’apprivoiser la réalité. [J.P.]
... il échafaudait lui-même une théorie suivant laquelle les œuvres littéraires étaient, contrairement aux apparences, le fruit d’un travail collectif. [J.P.]
Et pour ma part, toute cette beauté qui se déployait à perte de vue me donnait le sentiment que, dans l’ordre des choses du cœur, le Québec était mon pays. [J.P.]
Elle avait fait une vitrine d’été dont elle était assez contente. Avec l’accord de Jack, elle avait mis en montre non pas les livres pratiques et les romans légers que les journalistes conseillaient de «glisser dans les sacs de plage», mais plutôt des livres de philo, des études sérieuses et des romans difficiles, estimant que, pendant leurs vacances, enfin libérés des contraintes du travail et de l’abrutissement de la télé, les gens étaient mieux préparés à lire les ouvrages importants qu’ils avaient laissés de côté pendant l’année. [J.P.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Poulin
Jacques
L’anglais n’est pas une langue magique
Poulin
Jacques
L’homme de la Saskatchewan 
Poulin
Jacques
La traduction est une histoire d’amour
Poulin
Jacques
Un jukebox dans la tête 

mercredi 15 août 2018

Le Traquet kurde - Jean Rolin

Une jonchée de petits oiseaux morts, inodores, vidés de leurs entrailles et bourrés de coton, les yeux blancs, les couleurs de leur plumage un peu ternies, sans doute, mais pas au point que l'on ne puisse reconnaître dans ses dépouilles les choses vivantes qu'elles ont été. [J.R.] 
Voilà un livre particulier. On ne sait sur quelle étagère le classer. On ne sait s'il s'agit d'un roman, d'une autofiction, d'un essai ornithologique ou historique, d'un conte qui jongle avec la réalité, d'une histoire qui se faufile dans la géographie, d'un récit journalistique, d'une narration d'un féru d'observation d'oiseaux ou d'un peu de tout cela.

Un spécimen du traquet kurde, un oiseau établi normalement sur les hauteurs du Kurdistan, est aperçu en 2015 dans le Massif central. Jean Rolin le suivra dans le temps et l'espace et on se déplacera avec lui de l'Auvergne au Moyen-Orient, du XIXe au XXIe siècle, des balbutiements de l'identification des oiseaux à la science ornithologique d'aujourd'hui, du traquet kurde à la mésange bleue, de l'aventure de quelques collectionneurs excentriques aux élucubrations de certains espions britanniques, de Birds of Arabia de Meinertzhagen à The Fall of a Sparrow de Ali, des comportements des ornithologues modernes aux attitudes discutables des pionniers de l'identification et de la taxonomie aviaire.

Jean Rolin connait bien le monde ornithologique et il s'insinue par ce récit dans des dédales qui ne sont pas banals et qui parfois frôlent le burlesque. Surprenant texte qui s'étale sur un peu moins de 200 pages et dont on sort tout de même un peu étourdi avec une multitude de questions et le désir insatiable de croiser un jour Oenanthe xanthoprymna.
Le sirli du désert, cependant, a un chant très étrange, inquiétant parce que vaguement anthropomorphe, un peu comme cette bouscarle des Palaos dont on a pu écrire que son chant évoquait les vains efforts d'un idiot pour jouer de la flûte. [J.R.]