dimanche 18 octobre 2009

Un monde sans fin - Ken Follett

Gwenda n'avait pas peur du noir, et pourtant elle n'avait que huit ans. (K.F.)
Dans Un monde sans fin, Ken Follett nous invite à un saut de deux cents ans après Les piliers de la terre, toujours autour du village de Kingsbridge en Angleterre (en 1327). Ce sont les descendants des bâtisseurs de la cathédrale qui s'affrontent dans ce monde où la politique, l'église et la science s'entrecroisent pour faire face à de nouveaux défis, à de nouvelles épreuves, à des sursauts de vie, de guerre, de fièvre et de peste. Des personnages attachants, des êtres qui ne soient pas univoques, des humains sensibles dont les vies s'étalent sur 1 286 pages et 35 ans. La cathédrale et le prieuré, le pont et la tour, l'ile aux lépreux et les boisés environnants sont les lieux de ce monde qui veut survivre et ne point s'éteindre.

mercredi 19 août 2009

Nicolas Bourbaki - Histoire d'un génie des mathématiques qui n'a jamais existé - Amir D. Aczel


C'était une lecture entendue. La lecture d'Impératif catégorique de Jacques Roubaud m'a replongé dans une époque où l'appréhension structurelle des mathématiques était ma vie, une période où Bourbaki était encore au centre des développements de cette science.

Nicolas Bourbaki, membre éminent de l'Académie des sciences de Poldévie, n'a, en effet, jamais existé. Il est le nom emprunté, sur la base d'un canular, par un groupe de mathématiciens français regroupés autour d'Henri Cartan, Claude Chevalley, Jean Dieudonné et André Weil (frère de la philosophe Simone Weil). Cette association des amis de Nicolas Bourbaki, à laquelle se sont joints plusieurs autres mathématiciens influents, a été le phare de l'organisation rigoureuse des mathématiques pendant le XXe siècle. La publication, sous le nom de Nicolas Bourbaki, des différents volumes de l'œuvre collective que constitue les Éléments de mathématique a marqué l'évolution, l'organisation, le développement ainsi que l'enseignement des mathématiques jusqu'au début des années soixante-dix et même au-delà.

Comme mathématicien, j'étais bien conscient de cette prépondérance bourbakiste dans le développement structurel des mathématiques du XXe siècle. Ce que je connaissais moins et que cette lecture m'a fait découvrir, c'est la place que Bourbaki a occupé dans la naissance du structuralisme.

Je ne savais pas que le structuralisme trouvait son origine en linguistique, que c'est Saussure et Jakobson (dans les années trente) qui avaient délimité les principes fondateurs de la linguistique structurale, que cette linguistique structurale s'exprime par la prééminence de la structure dans l'étude d'une langue [nos linguistes me corrigeront, j'espère]. J'ai appris que l'utilisation que Lévi-Strauss a fait du concept en anthropologie résidait en partie sur un lien qu'il avait établi avec André Weil (de Bourbaki) et que c'est l'application de la théorie des groupes à un problème proposé par Lévi-Strauss qui initie le mouvement structuraliste à l'extérieur de la sphère linguistique.

Finalement, cet ouvrage m'aura permis de constater les liens multiples entre un groupe de mathématiciens, la notion de structures en mathématiques et la ramification de l'influence structuraliste dans des domaines aussi divers que la psychologie avec Piaget, la psychiatrie et la psychanalyse avec Lacan, l'économie avec Leontief, ... et la littérature avec l'Oulipo, l'Ouvroir de littérature potentielle (eh oui). La boucle est donc bouclée.

vendredi 7 août 2009

Chamboula - Paul Fournel


Au Village Fondamental, la vie était organisée selon les compétences de chacun. (P.F.)
Mais, l'africain Village Fondamental sera chamboulé. Pas tant par l'incommensurable beauté de Chamboula qui s'inscrit dans la juste lignée de l'évolution et est approuvée par les Ancêtres, mais plutôt par l'intrusion incongrue d'éléments d'un autre monde, par l'envahissement cryptocolonialiste d'extracteurs d'or noir, or noir qui se trouvera sous le sol, à l'endroit même où les Ancêtres tiennent leurs assemblées.

Ce choc de deux mondes, cette étincelle, sera l'occasion pour Fournel de décliner l'histoire sous forme d'un conte à volets, sous forme de récits se propageant dans des univers parallèles sinon perpendiculaires, des aventures reflétant des réalités se côtoyant dans des contextes distants. Chamboula sera donc à la fois un roman se situant résolument contre l'impérialisme et un conte constituant un exercice de style sur les parcours possibles d'une réalité inventée. À ce titre, Chamboula possède des points communs avec L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Perec. Mais, est-ce surprenant? Perec et Fournel sont de la même école.

Paul Fournel est l'actuel président de l'Ouvroir de Littérature Potentielle.

dimanche 26 juillet 2009

La route - Cormac McCarthy

Quand il se réveillait dans les bois dans l'obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l'enfant qui dormait à son côté. (C.McC.)

Quel univers que celui, sec, dévasté et gris de McCarthy! Il est très difficile de décrire ce livre. Le père et le fils marchent. Ils marchent dans une Amérique détruite, brulée et ensevelie. Ils marchent à la recherche du bleu de la mer, à la recherche de la sérénité perdue, à la recherche d'un passé presque oublié. McCarthy a, par ce livre, exploré les sentiments profonds d'un homme face à la désolation, face à l'inimaginable et pour qui son fils constitue le seul lien avec ce qui reste de la vie. La route est un roman dépouillé qui déstabilise autant par sa forme que par son objet.

samedi 13 juin 2009

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? - Pierre Bayard



Né dans un milieu où on lisait peu, ne goutant guère cette activité et n'ayant de toute manière pas le temps de m'y consacrer, je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations délicates où j'étais contraint de m'exprimer à propos de livres que je n'avais pas lus.
(P.B.)

C'est la première phrase de cet ouvrage, mais il faut aussi mentionner la citation d'Oscar Wilde que Pierre Bayard met en exergue:
Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique; on se laisse tellement influencer.

Pierre Bayard cache bien sa provenance, car ce livre dont le titre peut faire sourire démontre une grande connaissance du monde des livres et de ses diverses bibliothèques. P.B. en souligne d'ailleurs trois :
  • la bibliothèque collective : l'ensemble large de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné. Bayard insiste sur le fait que le lecteur ou le non-lecteur doit pouvoir s'orienter dans la bibliothèque collective et pour ce faire la lecture intégrale n'est pas essentielle;
  • la bibliothèque intérieure : sous-ensemble de la bibliothèque collective sur lequel notre personnalité se construit et qui organise notre rapport aux textes et aux autres, une bibliothèque où figurent quelques titres précis, mais qui est surtout constituée de fragments de livres oubliés et de livres imaginaires à travers lesquels nous appréhendons le monde;
  • la bibliothèque virtuelle définie comme un espace ludique de communication sur les livres dans lequel il est admis de parler de livres non lus ou seulement parcourus, un espace composé de livres-fantômes, objets insaisissables et mouvants que nous faisons surgir quand nous parlons d’un livre.
Bayard parle longuement du livre intérieur, celui que, moi, j'ai intégré. J'ajouterais celui que j'ai créé, car pour moi l'acte de lecture a toujours été un acte créateur. Le livre que j'ai lu n'est pas celui que vous avez lu, même s'il porte le même titre et les mêmes signes extérieurs.

Est-ce que j'ai mentionné que Pierre Bayard est psychanalyste et qu'il enseigne la littérature à Paris 8?

En parcourant les pages de cet ouvrage et les exemples de non-lectures tirés de la littérature ou du cinéma, un souvenir me hantait. Changement de décor m'avait déjà plongé dans ces réflexions sur les livres que l'on n'a pas lus. Ce roman de David Lodge, caricature pas très éloignée de la réalité du monde universitaire, présentait, en effet, un personnage, professeur nouvellement engagé dans une faculté de littérature anglaise, qui était initié à un jeu intellectuel assez paradoxal. Il s'agit d'avouer la non-lecture d'une oeuvre essentielle que tous doivent avoir lue. On marque un point lorsque nous sommes seul dans le groupe des joueurs à n'avoir pas lu l'oeuvre en question, le «jeu de l'humiliation».

Quelle n'a pas été ma surprise, lorsqu'à la page 113, Pierre Bayard cite lui-même ce jeu et livre un extrait de Changement de décor. Dans cet extrait, le jeune professeur va jusqu'à avouer sa non-lecture de Hamlet, ... dans un département de littérature anglaise...

En bref, Comment parler des livres que l'on n'a pas lus? est un livre à lire (ou non), mais absolument!

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