samedi 27 mai 2023

Les crépuscules de la Yellowstone - Louis Hamelin

Ce livre raconte la remontée d’un fleuve. [L.H.]

Que voilà un parcours intéressant, le périple de John James (Jean-Jacques) Audubon, l'auteur des magnifiques planches des Oiseaux d'Amérique, sur le Missouri et le Yellowstone, en territoire indien, en dessinant tout du long des espèces sauvages. Audubon, vieillissant, s'aventure en 1843, dans cette contrée mythique, accompagné du trappeur Étienne Provost dans l'espoir de garnir ses cahiers de dessins de quadrupèdes particuliers et d'oiseaux remarquables. Cela se fait dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. S'ils traversent des territoires indiens peu explorés, Audubon, son équipe, Provost et les chasseurs métis qui les accompagnent sont à l'affut des troupeaux de bisons. Les règles respectées dans une expédition naturaliste de l'époque sont à des années-lumière de celles d'aujourd'hui. Le contexte est plutôt celui d'un prédateur en chasse, ce qui anticipe le massacre qui suivra. Beau paradoxe. Mais, cela est magnifiquement raconté par un auteur qui, lui-même ornithologue, manifeste du respect devant le chant d'un oiseau et les lithographies réalisées par Audubon. 

D'ailleurs, on accompagne également le narrateur dans sa démarche, ses souvenirs et sa visite des mêmes terres maintenant parsemées de puits de pétrole, la destruction se poursuit. Les crépuscules de la Yellowstone est un roman à nul autre pareil. L'auteur le qualifie de western écologique, c'est aussi un regard sur l'histoire du fait français en Amérique.

Je feuillette lentement les reproductions des lithographies originales, avec le mélange de studieux respect et de dévotion admirative qui convient à la lecture d’un livre sacré. Ces oiseaux qu’il massacrait pour mieux les peindre, personne, avant lui, ne les avait rendus aussi vivants. [L.H.]

mercredi 17 mai 2023

Impressions d'Afrique - Raymond Roussel

Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff. [R.R.]

La littérature explorée comme une mécanique de précision, comme un dispositif libre, inventif, mais méthodique et minutieux, comme un catalogue de procédés, comme un treillis de conceptions, comme un étalage organique de plantes, d'animaux, d'êtres et de machines aux propriétés toutes plus éclatées et déconcertantes, voilà devant quoi je me trouvais en m'immergeant dans cette relecture de l'œuvre majeure de Roussel, auteur que d'aucuns perçoivent comme un surréaliste avant l'heure, comme un plagiaire par anticipation de l'Oulipo, tout au moins comme un écrivain à l'imagination débordante. Cela peut être déroutant, mais il est impératif d'accepter de se laisser porter par cette écriture aux saveurs originales pour en déguster le nectar. 

Dès les premières lignes, nous sommes devant une représentation qui met en scène des numéros qui apparaissent disparates (cirque, chants, démonstrations d'appareils merveilleux, récitals), c'est le gala des Incomparables. Le narrateur nous en livre des descriptions détaillées; chaque numéro possède son univers. Voilà la première partie d'Impressions d'Afrique. La seconde aurait pu la précéder en ce qu'elle en révèle les tenants, l'origine et la préparation. On voit alors les machines et les appareils du Gala se construire avec toute la précision et la rigueur que cela pouvait supposer. C'est comme si Roussel nous exposait la construction du roman en organisant les mots et le langage tel une machine qui libère l'imagination.

La nuit s'était faite peu à peu, et, sur la rive, un phare d'acétylène, fixé au sommet d'un pieu, éclairait, à l'aide de son puissant réflecteur braqué avec soin, tous les détails de l'étonnante machine vers laquelle convergeaient tous les regards. [R.R.]

Au sommet de chaque cylindre, une manette tournant facilement sur elle-même servait à régler l’ouverture d’un robinet intérieur communiquant par le conduit de métal avec la cage en verre ; Bex pouvait ainsi changer à volonté la température de l’atmosphère interne ; par suite de leurs perturbations continuelles les fragments de bexium, agissant puissamment sur certains ressorts, actionnaient et immobilisaient tour à tour tel clavier ou tel groupe de pistons, qui, le moment venu, s’ébranlaient banalement au moyen de disques à entailles. En dépit des oscillations thermiques les cordes conservaient invariablement leur justesse, grâce à certaine préparation imaginée par Bex pour les rendre particulièrement rigides. Doté d’une résistance à toute épreuve, le cristal utilisé pour les parois de la cage était merveilleusement fin, et le son se trouvait à peine voilé par cet obstacle délicat et vibrant. [R.R.]

dimanche 14 mai 2023

Fuir - Jean-Philippe Toussaint

Serait-ce jamais fini avec Marie?  [J.-P.T.]

Des mystères, des hasards, quelques circonstances et coïncidences, et l'étrange sensation que le monde se déroule en dehors de nous, voilà ce qu'on peut ressentir devant cette nébuleuse mission professionnelle réalisée pour Marie, la femme avec qui le protagoniste dépassé du roman vient de rompre, lui qui est entraîné dans un tourbillon incontrôlable et l'étrangeté d'un parcours de train entre Shanghai et Pékin, en passager sur une moto endiablée près de la Cité interdite, puis sur l'île d'Elbe pour accompagner le deuil de Marie. Ce court roman est magnifiquement écrit d'une plume qui assume totalement son décalage. J'ai aimé me laisser guider par ce narrateur qui ne semble pas comprendre plus que moi et qui transmet son désarroi dans cette fuite en écriture.

Nous nous faufilions entre les véhicules pour glisser le long de ronds-points embouteillés et accélérions encore, suivions à toute allure, le visage au vent, d’interminables lignes droites bordées de blocs d’habitation en mauvais carrelage blanc, parfois de simple béton brut, couleur sablée ou vieux plâtre, centres administratifs et bâtiments officiels sur lesquels veillaient des militaires en faction, quand je vis soudain apparaître sur ma gauche le monumental portrait de Mao au-dessus de l’entrée de la Cité interdite, et, fugitivement, dans le même mouvement fuyant de la moto qui nous emportait, les fameuses enceintes roses du Palais impérial que nous étions en train de longer, en même temps que Zhang Xiangzhi, devant moi, qui continuait de conduire la moto sans ralentir, lâchait un instant le guidon pour m’indiquer l’édifice du bras en me criant : Gugong, Gugong !, tout en levant le pouce en l'air dans le vent pour témoigner sans doute en quelle haute estime il tenait le monument (et m'en conseiller par là même, en quelque sorte, implicitement, la visite), et que moi-même, cramponné à son dos et la vue gênée par un vieil autobus vert et jaune qui était en train de nous dépasser, je me retournais pour apercevoir une dernière fois l'enfilade de toits en pagode de la Cité interdite qui disparaissait déjà au loin (ainsi fut-il ce jour-là de ma visite de la Cité interdite: j'eus à peine le temps de reconnaître que nous l'avions déjà dépassée). [J.-P.T.]
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La salle de bain

31/07/2023




lundi 27 février 2023

J'étais juste à côté - Patrick Nicol

Quand j'étais jeune, j'avais un Etch A Sketch. [P.N.]

Voilà un roman en forme de journal d'observations du monde, des observations faites depuis un point de vue marginalisé, un regard déjà vieux, une filature du temps qui fuit par un enquêteur dépassé. C'est Pierre, un enseignant en littérature au collégial, qui porte sur la société son œil désabusé, déçu. Réfugié dans la littérature dont il n'a pas su transmettre la passion, il ne sait pas allier son intimité à celles des autres et il voit les saisons se suivre depuis la grève étudiante de 2012 jusqu'au début de la pandémie. C'est par l'entremise du quotidien que l'auteur, Patrick Nicol, fait entrevoir et expose la nostalgie de son personnage, peut-être un double de lui-même ou une excroissance de sa propre expérience. On ne peut que se reconnaître dans certaines attitudes ou quelques postures face à la vie et la société. Voilà un auteur dont je lirai assurément d'autres romans.

dimanche 5 février 2023

Le sanatorium des écrivains - Suzanne Myre

Exaspérée de m'entendre soupirer aux dix secondes, Corinne, ma « copine », avait ramassé ses affaires aussi vite qu'un typhon à deux bras (c'est l'image qui m'est restée) pour s'en retourner vivre chez elle, emportant dans son maelström mon pote, son chat. [S.M.] 
Le thème m'attirait. Je connaissais l'auteure de nom et j'en avais une opinion favorable sans avoir lu l'une ou l'autre de ses productions, principalement des nouvelles. Pourquoi ne pas me lancer dans cette lecture québécoise ? Je ne l'aurai pas regretté. J'ai souri et même ri plus d'une fois aux pointes d'humour, de cynisme et de satire qui visent le milieu littéraire. J'ai suivi avec intérêt les déboires de Christian Granger avec l'écriture, la critique et la fuyante inspiration devant le projet d'un deuxième livre. Il est attiré par la réclame d'un centre pour auteurs désespérés, un sanatorium pour écrivains en panne. Les yeux bandés, il est introduit, après avoir laissé son cellulaire en consigne, dans le mystérieux lieu où les auteurs en manque de souffle doivent se choisir un pseudonyme au nom d'un auteur décédé. Pour lui, ce sera Edgar Allan Poe. Il côtoiera notamment Arthur Rimbaud, Gabrielle Roy, Daphné du Maurier, Tatiana de Rosnay et J. D. Salinger, les pseudonymes de ses collègues. Sont organisés des ateliers d'écriture, des marches en nature et un ensemble d'activités voulant stimuler la créativité des auteurs qui apparaissent comme autant de personnages décalés. Puis une trame plus inquiétante se glisse dans l'expérience qui se déroule dans cette « bâtisse digne du château de Dracula ». Edgar et Daphné vont amorcer une enquête. Mais que vient faire David Foenkinos dans cette galère ?

Voilà donc un récit fantaisiste qui contient une bonne part d'autodérision.