jeudi 22 décembre 2022

L'art de philosopher - Bertrand Russell

Commençons par dire quelques mots de ce qu'est la philosophie. [B.R.]

Bertrand Russell, ce mathématicien, logicien et philosophe, l'un des grands du XXe siècle, nous offre ici trois courts textes qui résument dans un langage simple et abordable quelques idées sur le métier de philosophe et les outils qu'il faut détenir pour l'accomplir. C'est au début des années 1940 qu'il s'adresse ainsi à des étudiants, apprentis philosophes. Le premier essai pose les bases de ce qui est nécessaire pour s'initier à la pensée critique, l'art de la conjecture rationnelle. Cela passe notamment par l'histoire des sciences et la distinction entre savoir et croyance. Le deuxième texte porte sur la logique et l'art de l'inférence. Enfin, le dernier, l'art du calcul, porte sur l'outil mathématique. J'ai aimé y trouver des illustrations et des analogies que j'avais autrefois utilisées dans mon enseignement des mathématiques. 

L'art de philosopher veut faire saisir l'esprit de la démarche philosophique à tout un chacun. Même si l'âge du texte transparait plus d'une fois, on doit convenir que la proposition est une réussite.  

Celui qui veut devenir philosophe trouvera profit à s’intéresser à l’histoire de la science, et tout particulièrement à la lutte qui l’a opposée à la théologie. [B.R.]

Sommes-nous en mesure de connaître quoi que ce soit de ce qu’est le monde, par opposition à ce qu’il semble être ? Voilà ce que le philosophe veut savoir, et c’est dans ce but qu’il lui faut faire un aussi long apprentissage de l’impartialité.  [B.R.]

Cependant, si les mathématiques étaient bien enseignées, il y aurait bien moins de gens pour les détester qu’il n’y en a actuellement.  [B.R.]

C’est dire que les mathématiques fournissent les meilleures hypothèses de travail pour comprendre le monde. [B.R.]

____________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Russell

Bertrand

Le monde qui pourrait être 

30/12/2014

mercredi 7 décembre 2022

La fin des temps - Haruki Murakami

L’ascenseur continuait à monter avec une extrême lenteur. [H.M.]

Dans ce roman datant de la fin des années 80, Murakami se permet une part d'imaginaire encore plus vive pour intervenir dans la trame narrative reposant sur les deux univers qui se côtoient dans le cerveau d'un informaticien. On pourrait croire que l'un de ces deux mondes est en fait un monde virtuel peuplé d'avatars, mais chacun des deux versants de cette fin des temps recèle sa portion de fantastique, sa portion de décalage avec la réalité, sa portion d'étonnant. Des ténébrides, ces monstres informes qui peuplent les souterrains de Tokyo, aux licornes qui paissent dans les prés et les forêts jouxtant une cité derrière des murs, Murakami nous entraîne dans des réflexions sur la mémoire, sur les capacités de nos cerveaux, sur la recherche et les expériences dont ils peuvent être l'objet. La structure alterne entre deux mondes, entre deux sensibilités, entre roman d'aventures et poésie fabulatrice, entre le narrateur et son ombre, entre pays des merveilles et fin du monde. Le parallélisme entre les deux univers qui s'incarnent dans l'esprit trituré du protagoniste tente lui-même d'inscrire des passerelles pour établir une perméabilité des mondes et, comme les oiseaux, se permettre de franchir la muraille. La virtualité continue à questionner, Murakami n'a pas fini de contribuer à cette interpellation du réel. 

L’acte sexuel est quelque chose d’extrêmement subtil, ce n’est pas la même chose que d’aller acheter une bouteille thermos le dimanche dans un grand magasin. [H.M.]

Ça sonnait comme du turc, mais le problème c’est que je n’avais jamais entendu parler turc de ma vie, par conséquent ce n’était peut-être pas du turc. [H.M.]

Le bon bûcheron, c’est celui qui n’a qu’une cicatrice. [H.M.]

Dans la brasserie était diffusée, on ne sait pourquoi, une symphonie de Bruckner. Je ne savais pas exactement de quel numéro il s’agissait mais, de toute façon personne ne connaît les numéros des symphonies de Bruckner. En tout cas, c’était bien la première fois que j’entendais du Bruckner dans une brasserie. [H.M.]

Après ça, je me rendis dans un magasin de disques, où j’achetai quelques cassettes. Cet assortiment varié comprenait la meilleure sélection de Johnny Mattis, La Nuit transfigurée de Schönberg dirigé par Zubin Mehta, Stormy Sandy de Kenny Burrel, Les Morceaux les plus populaires de Duke Ellington, les Concertos brandebourgeois dirigés par Trevor Pinnock, et une cassette de Bob Dylan avec Like a Rolling Stone. J’étais obligé de faire un choix varié, car je n’avais moi-même aucune idée du genre de musique qu’on avait envie d’écouter dans une Carina 1800 GT Twin Cam Turbot. [H.M.]

Je ne sais pourquoi, ça me faisait bizarre de voir un prunier dans le jardin d’un restaurant italien, mais en fait ce n’était peut-être pas si bizarre que ça. Il y a peut-être des pruniers en Italie. Il y a bien des loutres en France !  [H.M.]

Mourir, c’est laisser derrière soi une bombe de mousse à raser à moitié vide. [H.M.]

______ 

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Murakami

Haruki

1Q84 

31/07/2015

Murakami

Haruki

Kafka sur le rivage

07/11/2016

Murakami

Haruki

La ballade de l’impossible

29/01/2018

Murakami

Haruki

La course au mouton sauvage

28/09/2022

Murakami

Haruki

Le Meurtre du Commandeur

26/05/2019

Murakami

Haruki

Le passage de la nuit

07/02/2017

Murakami

Haruki

L’éléphant s’évapore

27/07/2017

Murakami

Haruki

Les amants du Spoutnik

27/11/2019

Murakami

Haruki

L’étrange bibliothèque

21/10/2016


dimanche 27 novembre 2022

Portrait du baron d'Handrax - Bernard Quiriny

Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960) : peintre mineur, oublié de nos jours. Je m’en suis entiché par hasard, après avoir acheté une toile de lui chez un antiquaire, pour une bouchée de pain. [B.Q.]

Bernard Quiriny nous entraîne ici dans l'univers hétéroclite d'un personnage exceptionnel. Le narrateur était venu, dans un petit musée régional, à la rencontre d'œuvres d'un peintre mineur qu'il apprécie, Henri Mouquin d'Handrax. Voilà l'occasion de faire la connaissance de son petit-neveu Archibald, l'actuel baron d'Handrax, un aristocrate qu'il serait convenu de qualifier de fantasque, fantaisiste, changeant, mais toujours extravagant. L'auteur nous offre comme dans un cabinet de curiosités de petites fenêtres ou de minuscules portes s'ouvrant sur de multiples aspects d'une vie qu'il serait euphémique de dire qu'elle est hors du commun.

On a droit à une visite du manoir, de ses pièces à fonction particulière, comme celle du train électrique ou encore celle qui, plongée dans le noir, nous permet de découvrir de nouvelles sensations tactiles en tâtant de mystérieuses matières. On est instruit des collections du baron. On prend connaissance des deux familles qu'il a fondées en les installant dans des ailes opposées de l'habitation. On aurait aimé assister à l'un des dîners de sosies qu'organise Archibald. Le baron, en effet, invite à des soirées spéciales celles et ceux qu'ils croisent lorsqu'ils paraissent avoir les traits de personnages historiques d'importance (Nietzsche, Mme Récamier, Nikola Tesla, George Sand et Churchill, par exemple, ont ainsi partagé un repas chez d'Handrax).

Voilà une pseudobiographie qui, écrite dans un style tout à fait classique et admirable, nous expulse du quotidien pour nous projeter dans un espace de fiction étrange, burlesque et drolatique. J'en reprendrais assurément.

– Hélas, mon cher. Hélas. – Oui ? – Vous ne ressemblez qu’à vous-même.  [B.Q.]

On s’y sentait délicieusement bien, comme dans le jardin d’un vieux presbytère – le Baron en y pénétrant ne manquait jamais de déclamer les vers célèbres de Gaston Leroux : Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. [B.Q.]

« C’est un art difficile, le livre d’aphorismes. Il faut qu’ils soient bons ; mais en même temps, il faut que certains soient en fait assez plats, pour que les meilleurs prennent du relief par contraste. Alors, paradoxalement, vous aurez dans les mains un meilleur recueil que si tous avaient culminé, car aucun ne serait ressorti, et le livre aurait paru moins bon. »  [B.Q.]

Notre existence terrestre est une lutte quotidienne entre le sommeil et la vie. [B.Q.] 

dimanche 13 novembre 2022

Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline

Ça a débuté comme ça. [C.]

Un choc, que cette lecture !  Je n'avais pas lu ce classique du XXe siècle bien qu'il apparût dans ma liste de livres à lire depuis plusieurs années. Je ne sais ce qui me faisait hésiter. La découverte lors de ma lecture de ce style particulier qui intègre de façon très coulante le langage parlé m'a marqué. Je comprends que cette écriture peut, à l'époque, avoir bouleversé les façons de faire autant chez les lecteurs que chez les écrivains. Céline s'adresse au lecteur comme l'aurait fait le narrateur Ferdinand Bardamu s'il s'était tenu devant nous. Roman autant politique que personnel, il raconte le parcours du narrateur, de son expérience lors de la Première Guerre mondiale à son contact avec le colonialisme en Afrique, sa fuite vers l'Amérique et les machines du capitalisme naissant, puis son retour en France et son expérience de médecin des pauvres en banlieue parisienne. C'est un roman qui a, sans contredit, des saveurs anarchistes, un roman qui conteste, qui s'élève contre l'absurdité du monde, contre la guerre, contre l'exploitation coloniale, contre le colonialisme intérieur qu'est le capitalisme. Voilà un roman qui constate, mais n'avance pas de réponses et, en ce sens, il peut apparaître comme désespéré.

Il contient un nombre incroyable d'extraits que j'aurais aimé placer ici en citations.

[...] l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches. [C.]

Dans ce métier d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge. [C.]

On est retournés dans la guerre. Et puis il s'est passé des choses et encore des choses, qu'il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d'aujourd'hui ne les comprendraient déjà plus. [C.]

Je me postai devant la grande vitre de la génératrice centrale, cette géante multiforme qui rugit en pompant et en refoulant je ne sais d’où, je ne sais quoi, par mille tuyaux luisants, intriqués et vicieux comme des lianes. [C.]

Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin. [C.] 

Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais, de cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie. [C.]

Puisque nous sommes que des enclos de tripes tièdes et mal pourries nous aurons toujours du mal avec le sentiment. [C.] 

La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. [C.] 

« Écoute ! qu’il a commencé.
– Je t’écoute, que j’ai répondu. »
[C.]

 

mardi 8 novembre 2022

Une sorte de renaissance - Anaël Turcotte

Devant la fenêtre, le vieux professeur cherchait dans le chuchotement des feuilles du boisé une manière de rompre le silence. [A.T.]

En prenant connaissance de ce premier roman de l'auteur Anaël Turcotte, Une sorte de renaissance, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, mais le lecteur en moi, toujours à l'affut d'œuvres de fiction, d'histoires imaginées, de contes inventés, a été rassasié par cette chronique d'un temps futur qui débute par le meurtre d'un mouton. Au contact d'une nouvelle lecture, mon réflexe instinctif, comme celui de plusieurs personnes probablement, est de tenter d'y découvrir des rapprochements avec des textes qui prennent place dans ma bibliothèque intérieure, dans mon histoire de lecteur. L'univers dont les contours ne sont pas précisément dessinés, cette enquête autour d'un mouton et la présence centrale d'une adolescente qui questionne la vie ne pouvaient me diriger autre part que vers Murakami. Entendons-nous, Anaël Turcotte n'est peut-être pas un écrivain japonais (comme peut le déclarer Dany Laferrière), mais j'ai retrouvé dans Une sorte de renaissance une atmosphère qui évoquait, et cela est bien personnel, le décalage subtil qu'il peut y avoir avec la réalité dans plusieurs des écrits de Murakami, et, en projetant plus loin ma lecture, quelques éléments du roman d'apprentissage. 

Voilà donc un roman d'anticipation qui se déroule dans un Québec d'après la Grande Explosive, un Québec dont les grandes villes semblent abandonnées, un Québec qui s'est réorganisé en petites communes menées par le Patronat à l'aide d'un système qui s'apparentent aux castes. Dans cet univers inquiétant, la petite communauté de Monojoly est troublée par le meurtre du mouton, par l'enquête qui en découle, par une jeune fille qui refuse l'état de fait et par des ermites philosophes qui fomentent en marge un nouveau printemps. J'ai aimé m'insérer dans cette œuvre d'imagination emportant avec moi, au sortir de ma lecture, des questions et des sujets de réflexions.  

C'est dans le cadre d'une opération Masse Critique au Québec du site Babelio que les Éditions Tryptique m'ont fait parvenir un exemplaire de ce roman de l'auteur Anaël Turcotte. Je les remercie.

Rien ne changeait à Monojoly, sauf les saisons et les raisons de ne rien faire. [A.T.]
Aucune obligation cruciale ne les attendait sauf le prolongement de leur vie. [A.T.]
Ainsi, ils partagèrent tour à tour leurs peurs fondamentales, leurs espoirs vis-à-vis du futur, leurs préférences, leurs joies, leurs tragédies. [A.T.]