mercredi 3 avril 2019

La revanche de l'écrivaine fantôme - David Turgeon

Ça commence dans un train en marche. [D.T.]
David Turgeon aime raconter et il le fait si bien. Cette fois, c'est dans un dédale d'histoires mises en abyme qu'il nous invite, qu'il nous plonge, qu'il nous immerge. Cela débute par ce train qui déraille et par cet échange impromptu entre un dessinateur et l'une de ses lectrices dans un lieu hors du monde. Cette dernière veut connaître l'intrigue du prochain livre de son compagnon d'infortune. Il improvisera les premières lignes d'un roman autour d'une auteure obscure, Johanne Delambre, devenue écrivaine fantôme. On suit alors le travail de cette écrivaine, ses rencontres avec la jeune artiste à laquelle elle loue sa plume. Puis, on s'engage à l'intérieur d'un roman de Delambre, roman dont certains critiques et auteurs suspecteront la source. S'agirait-il ici d'un plagiat d'une oeuvre de Raymond Loquès qui a la particularité d'écrire des romans qui aborde tout justement le processus d'écriture de romans?

On se laisse bercer par ces intrigues dont les fils s'entrecroisent entre les réalités et les fictions, entre les personnages et les auteurs, et on accepte sans fausse joie le jeu que nous propose David Turgeon en nous interpelant comme lecteur, en nous embobinant dans son délire imaginatif.
Le capitaine impassible embarque volontiers nos personnages ainsi que la suite des choses, ce qui poussera, du moins le temps que durera la traversée, la vitesse de l’intrigue à une bonne vingtaine de noeuds. [D.T.]
… j’ai découvert dans ce livre, sous des abords presque racoleurs dans leur maniérisme, une attachante aisance dans la déambulation du récit, comme un piège qui se referme silencieusement sur son lecteur insouciant qui ne saura peut-être pas qu’il a été piégé,… [D.T.]
Avec moi, ce sera différent, j’ai de l’imagination et je n’ai pas peur d’en faire usage. [D.T.]

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mercredi 27 mars 2019

Des vies possibles - Charif Majdalani

Il était destiné à l’érudition, raison pour laquelle il fut envoyé à Rome dès 1621. [C.M.]
Le décor, c'est celui du XVIIe siècle. On empruntera des navires, des galères ou des caravelles. On vivra différents lieux, des montagnes du Liban à Rome, de Venise à Istanbul, ou encore à Amsterdam. On se plongera littéralement dans des tableaux de l'époque. On fréquentera la science naissante. On construira une érudition fondée sur la connaissance des langues. Et tout cela, dans de courts, très courts chapitres, qui, chacun, pourraient devenir le synopsis d'un récit, la trame d'une aventure, le germe d'une odyssée. On parcourt ainsi une partie de ce siècle en accompagnant Raphaël Arbensis, de son vrai nom Roufeyil Harbini. Les vies possibles du titre, ce sont les siennes, celles déterminées par des coups de tête, par des choix irréfléchis, par des lancées de dés du dieu hasard, par des rencontres fortuites. Qu'auraient pu être ces vies si le hasard avait fait d'autres choix, si la destinée avait tourné autrement, si d'autres circonstances s'étaient présentées? Voilà les questions qui se profilent dans les réflexions de Raphaël qui nous interpelle à propos de la liberté et du libre arbitre.

Voilà une lecture qui m'aura littéralement transporté ailleurs et c'est avec joie que je l'ai laissé faire.
Il rêva peut-être de dômes rutilants, mais dut apprendre qu’une ville se vit non par en haut mais par en bas, dans les venelles et l’odeur de cuisine [...]. [C.M.]
Une force l’aurait ainsi mené sur le chemin du bien, du meilleur possible pour lui, depuis le début, une force présidant avec intelligence à la chaîne des faits qui a constitué son existence, et donc à son destin. [C.M.]
[...] seuls le hasard et la marche erratique des choses président au devenir du monde. [C.M.]
Le nécessaire, écrit-il encore, n’est chaque fois qu’un coup de dés jugé favorable a posteriori dans la suite des coups de dés à jouer dans cette partie imprévisible qu’est une existence. [C.M.]
Il aime le bruit de l’eau qui coule dans les canaux et le craquement du bois des meules dans le silence de midi. [C.M.]

lundi 18 mars 2019

La nébuleuse du crabe - Éric Chevillard

Crab, s'il avait à choisir entre la surdité et la cécité, n'hésiterait pas une seconde et deviendrait sourd sur-le-champ. [É.C.]
Écrit inclassable. Celui qui nous offre quotidiennement depuis 2007 trois petits billets, trois fragments, dans le cadre du blogue L'autofictif est un véritable spécialiste de la forme courte, du petit papier, de l'anecdote hors contexte. En 1993, Éric Chevillard sévissait déjà avec La nébuleuse du crabe. Je me suis donc plongé dans cette lecture qui, après quelques pages, m'a ramené aux belles heures de découverte de Palomar où Calvino nous offre par la pensée de monsieur Palomar quelques observations philosophiques. Mais, à bien y penser, Crab, le personnage de La nébuleuse du crabe, par son caractère flou, indéfini, multiforme, ressemble aussi à un personnage que je découvrais récemment, Plume de Michaud qui est plongé dans des aventures surréalistes, ou encore à Qfwfq des Cosmicomics toujours d'Italo Calvino, qui nous fait découvrir l'évolution de l'univers depuis le big bang par les aventures rocambolesques d'un être aussi protéiforme que Crab.

Je me suis particulièrement amusé en me perdant dans les divers petits chapitres de cette lecture.

Puis il faudra songer à revernir les baleines. [É.C.]
Crab était aussi un médiocre flûtiste. [É.C.]
Il n'y a pas deux manières d'être heureux sur cette terre. Crab en prit soudain conscience. Il faut être trompettiste de jazz. [É.C.]
Crab disposait là d'une matière fabuleuse puisque tous les livres passés et à venir s'y trouvaient fondus [...] [É.C.]
Combien de fois devra-t-il plier le ciel pour le faire tenir dans sa poche? [É.C.]

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mercredi 6 mars 2019

Je remballe ma bibliothèque, une élégie & quelques digressions - Alberto Manguel

Ma dernière bibliothèque se trouvait en France, logée dans un vieux presbytère au sud de la vallée de la Loire, au coeur d'un village paisible d'à peine dix maisons. [A.M.]
L'événement, dont on ne connait pas les détails, qui fera en sorte que cet écrivain et penseur exceptionnel remette les 35 000 livres de sa bibliothèque dans des boîtes pour leur trouver un nouveau lieu, une nouvelle alcôve, est en quelque sorte le déclencheur d'une réflexion autour de ces livres, autour de ce qu'ils évoquent, autour de la littérature, de la lecture, des expériences d'écriture. Dans un court texte, Alberto Manguel ne nous lasse pas de ses digressions où il fait référence à son expérience auprès de Borges, où il met à profit son érudition, où il raconte sa relation avec les bibliothèques, où il narre l'histoire de la bibliothèque «qui avait atteint le statut de modèle pour toutes les bibliothèques, celle d'Alexandrie», où il met en scène son rapport aux dictionnaires et aux mots.

C'est un livre de passions livré ici par un maître ès passions, un livre à placer d'office dans la pile des livres à relire.

J'avais organisé ma bibliothèque en fonction de mes exigences et préjugés personnels. Contrairement à une bibliothèque publique, la mienne n'avait pas besoin de codes communs, compréhensibles et partagés par d'autres lecteurs. Une certaine logique saugrenue en gouvernait la géographie. [A.M.]
 [...] je trouve plus facile de me souvenir d'une histoire lue une fois, voilà longtemps, que du jeune homme qui en fut le lecteur. [A.M.]
Et ici Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, un livre qui avait appartenu à l’homme d’affaires canadien Timothy Eaton et dont les pages n’avaient été coupées que jusqu’à la quatre-vingt-treizième, avec un marque-page de l’hôtel Savoy, à Londres – et qui symbolisait pour moi mon pays d’adoption : la quintessence du roman québécois, écrit par un Français, lu jusqu’à la moitié par un magnat anglo-canadien dans un aristocratique hôtel londonien. [A.M.]
Les livres ont toujours parlé pour moi et m’ont appris beaucoup de choses longtemps avant que ces choses n’arrivent matériellement dans ma vie, et la présence physique des volumes a été pour moi très proche de celle de créatures vivantes partageant ma table et mon toit. Cette intimité, cette confiance, commence dès les débuts chez les lecteurs. [A.M.]
Chaque expérience de lecture tient uniquement à son lieu et à son temps, et ne peut être dupliquée. [A.M.]
Je me souviens qu’un jour, chez un ami en Gaspésie, au Canada français, nous nous demandions si le mot névé [...] était originaire du Québec. Mon ami appela sa femme : “Chérie, dit-il, amène Bélisle à table !”, comme s’il invitait l’auteur du Dictionnaire général de la langue française au Canada, l’érudit Louis-Alexandre Bélisle en personne, à partager notre repas. Je crois qu’une telle familiarité en dit long sur la nature des relations d’un lecteur avec les dictionnaires. [A.M.]
Pensez à Noah Webster, qui fut découvert par son épouse dans les bras de la servante. “Docteur Webster, s’écria-t-elle, je suis surprise !” “Non, madame, la reprit-il. Je suis surpris. Vous êtes étonnée.” [A.M.]
En soi, un dictionnaire ressemble à un ruban de Möbius, objet auto-définissant à surface unique, concentrant et expliquant sans la revendiquer une troisième dimension narrative. [A.M.]

mardi 26 février 2019

Sérotonine - Michel Houellebecq

C'est un petit comprimé blanc, ovale, sécable. [M.H.]
Je dois l'avouer d'office, j'ai de la difficulté avec Houellebecq.  Je reconnais la puissance de sa plume, son talent d'écriture, sa verve imaginative, et, plus d'une fois, je m'attarde sur une phrase pour y constater la beauté de la construction, le style assumé ou la potentialité poétique. Mais, et ce mais est majeur, je suis incapable de côtoyer pendant tout le cours d'un roman, soit-il merveilleusement écrit, un personnage, comme celui créé par Houellebecq, misogyne, raciste, adolescent attardé, qui ne voit une femme que comme un être voué au don de soi jusqu'à sa dissolution, comme une pourvoyeuse de sexe. Houellebecq a sur la société un regard critique et cynique, cela pourrait, en un certain sens, par sa lecture, devenir une contribution à ma perception du monde, mais cet avis critique sur la collectivité est tordu, réduit à moins que rien quand, d'un coup de plume, il crache sur la moitié du monde.
[...] les années d'études sont les seules années heureuses, les seules années où l'avenir paraît ouvert, où tout paraît possible, la vie d'adulte ensuite, la vie professionnelle n'est qu'un lent et progressif enlisement. [M.H.] 
Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées, comme disait l'autre, je veux rêver et non pleurer, ajoutait-il comme si on avait le choix [...] [M.H.]
Il était architecte, me dit-il. Un architecte raté, précisa-t-il. Enfin, comme la plupart des architectes, ajouta-t-il. [M.H.]
Toute chose existe, demande à exister, ainsi des situations s'assemblent, parfois porteuses de puissantes configurations émotives, et une destinée finit par s'accomplir. [M.H.] 

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