Ma dernière bibliothèque se trouvait en France, logée dans un vieux presbytère au sud de la vallée de la Loire, au coeur d'un village paisible d'à peine dix maisons. [A.M.]L'événement, dont on ne connait pas les détails, qui fera en sorte que cet écrivain et penseur exceptionnel remette les 35 000 livres de sa bibliothèque dans des boîtes pour leur trouver un nouveau lieu, une nouvelle alcôve, est en quelque sorte le déclencheur d'une réflexion autour de ces livres, autour de ce qu'ils évoquent, autour de la littérature, de la lecture, des expériences d'écriture. Dans un court texte, Alberto Manguel ne nous lasse pas de ses digressions où il fait référence à son expérience auprès de Borges, où il met à profit son érudition, où il raconte sa relation avec les bibliothèques, où il narre l'histoire de la bibliothèque «qui avait atteint le statut de modèle pour toutes les bibliothèques, celle d'Alexandrie», où il met en scène son rapport aux dictionnaires et aux mots.
C'est un livre de passions livré ici par un maître ès passions, un livre à placer d'office dans la pile des livres à relire.
J'avais organisé ma bibliothèque en fonction de mes exigences et préjugés personnels. Contrairement à une bibliothèque publique, la mienne n'avait pas besoin de codes communs, compréhensibles et partagés par d'autres lecteurs. Une certaine logique saugrenue en gouvernait la géographie. [A.M.]
[...] je trouve plus facile de me souvenir d'une histoire lue une fois, voilà longtemps, que du jeune homme qui en fut le lecteur. [A.M.]
Et ici Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, un livre qui avait appartenu à l’homme d’affaires canadien Timothy Eaton et dont les pages n’avaient été coupées que jusqu’à la quatre-vingt-treizième, avec un marque-page de l’hôtel Savoy, à Londres – et qui symbolisait pour moi mon pays d’adoption : la quintessence du roman québécois, écrit par un Français, lu jusqu’à la moitié par un magnat anglo-canadien dans un aristocratique hôtel londonien. [A.M.]
Les livres ont toujours parlé pour moi et m’ont appris beaucoup de choses longtemps avant que ces choses n’arrivent matériellement dans ma vie, et la présence physique des volumes a été pour moi très proche de celle de créatures vivantes partageant ma table et mon toit. Cette intimité, cette confiance, commence dès les débuts chez les lecteurs. [A.M.]
Chaque expérience de lecture tient uniquement à son lieu et à son temps, et ne peut être dupliquée. [A.M.]
Je me souviens qu’un jour, chez un ami en Gaspésie, au Canada français, nous nous demandions si le mot névé [...] était originaire du Québec. Mon ami appela sa femme : “Chérie, dit-il, amène Bélisle à table !”, comme s’il invitait l’auteur du Dictionnaire général de la langue française au Canada, l’érudit Louis-Alexandre Bélisle en personne, à partager notre repas. Je crois qu’une telle familiarité en dit long sur la nature des relations d’un lecteur avec les dictionnaires. [A.M.]
Pensez à Noah Webster, qui fut découvert par son épouse dans les bras de la servante. “Docteur Webster, s’écria-t-elle, je suis surprise !” “Non, madame, la reprit-il. Je suis surpris. Vous êtes étonnée.” [A.M.]
En soi, un dictionnaire ressemble à un ruban de Möbius, objet auto-définissant à surface unique, concentrant et expliquant sans la revendiquer une troisième dimension narrative. [A.M.]
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