mercredi 26 août 2020

Garage Molinari - Jean-François Beauchemin

C'était pourtant un jour de printemps, et dans les nids les oisillons perçaient leur coquille avec leurs becs de débutants. [J.-F. B.]

Garage Molinari faisait partie de ma pile à lire depuis belle lurette, je ne sais ce qui me retenait et je regrette maintenant de n'avoir pas plongé dans cet univers romanesque alors qu'il s'offrait à moi. Est-ce que j'aurais eu la même ouverture qu'aujourd'hui? Est-ce que j'aurais fait le même accueil à ce conte tout en tendresse qui ne raconte que la vie qui passe et la recherche du bonheur dans une petite famille synthétique faite de Jérôme, Joëlle la voisine de HLM, Jules qui ne grandit plus et les êtres qui tournent autour d'eux y compris une multitude d'oiseaux et d'oisillons? Est-ce que j'aurais été sensible à cette langue toute en naïveté?

De Jean-François Beauchemin, je n'avais lu que La fabrication de l'aube qui est un récit très personnel totalement d'une autre teneur. Il m'avait plu. 

Garage Molinari nous entraîne, quant à lui, dans une sphère hors du commun, hors du réel, tout en étant absolument imprégnée de vie et d'espoir avec une tournure fantaisiste. On y croise des êtres qui ont été blessés par le passé, mais dont le courage dans un drôle de quotidien permet d'explorer une voie vers la reconstruction.  J'ai de la difficulté à exprimer la joie que provoque cette lecture, mais elle est bien réelle et sentie. Je vous souhaite de la découvrir à votre tour.

En réalité autour de nous avec toute cette noirceur on ne voyait pas beaucoup l’avenir, mais Joëlle a souri quand même. [J.-F. B.]

Appréciation : 4/5 

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Jean-François

La Fabrication de l’aube

15/07/2018

 

mercredi 19 août 2020

Comment marchent les philosophes? - Roger-Pol Droit

Pour commencer, trouvez un balcon donnant sur la rue. Mieux vaut qu'il soit situé vers le cinquième ou sixième étage. Trop bas, il ne vous permettra pas de bien observer. Trop haut, vous risquez de ne plus discerner les détails qui comptent. [R.-P. D.]

J'avais lu avec intérêt et un sourire l'ouvrage 101 expériences de philosophie quotidienne que Roger-Pol Droit nous a déjà offert. J'étais curieux de retrouver ce philosophe et enseignant dans le contexte déambulatoire de la marche. Des péripatéticiens jusqu’à Wittgenstein en passant par Montaigne ou Diderot, l'auteur nous convie à une randonnée philosophique alliant le bâton de marche et l’itinéraire de la pensée. Il parcourt l'histoire de la philosophie en y mettant de l'avant les liens qu'on peut établir entre marche et pensée, entre déambulation et philosophie qui se trouvent dans un mouvement semblable et permanent de chutes et de redressements. Marcher, parler et penser constituent trois actes qui nous permettent d'avancer dans l'histoire et le développement de la pensée philosophique.

Ce dernier essai n'est peut-être pas aussi divertissant qu'a pu l'être les 101 expériences, mais il se présente avec la même fraicheur, la même volonté de partage et il suscite la même curiosité chez le lecteur que je suis.

Alexandre, en poursuivant une chimère, a donc rencontré un monde réel, jusqu’alors inconnu. Il n’est pas exclu que ce puisse être une définition de ce que font les philosophes. [R.-P. D.]

Il [Nietzsche] marche pour voir selon différents angles, selon plusieurs perspectives. Il explore, et nous avec lui, des dénivelées, des différences de potentiel dans le temps et l’espace. Ce pourrait être une façon d’envisager le travail des philosophes. [R.-P. D.]

Pourquoi marcher encore? Parce qu'il n'y a pas de fin au voyage des humains. Les pas d'un individu, un jour, s'arrêtent. Ceux des autres continuent. Ce qui paraît sans issue, à l'échelle de ma vie limitée, est en réalité sans fin. Infime, chaque pas. Infinie, la route. [R.-P. D.]

Appréciation : 4/5 

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dimanche 16 août 2020

Les villes de papier - Dominique Fortier

Emily est ville toute de bois blanc nichée au milieu de prairies de trèfle et d'avoine. 
[D.F.]

Découvrir un tant soit peu Emily Dickinson par les fragments de poésie en prose de Dominique Fortier, voilà un petit délice. Lorsque cela se fait dans un contexte qui permet de s'attarder sur les mots, de sentir les phrasés, d'apprécier la liberté avec laquelle l'auteure aborde la réalité, on vit alors à l'intérieur de l'imagination et de la littérature et on hume les fleurs qui accompagnaient toujours Emily. La poétesse a vécu dans un monde bien à elle, un monde qui n'existait que sur les bouts de papier recelant sa poésie, un monde qui, comme les villes fictives prenant place sur certaines cartes, n'a de réalité que sur celles-ci. Dominique Fortier nous ouvre tout en douceur et en prenant soin de respecter la tranquillité des lieux le jardin d'Emily Dickinson. À nous maintenant d'y faire nos explorations.

Dans les livres il y a d'autres livres, comme dans un palais des glaces où chaque miroir en réfléchit un second, chaque fois plus petit, jusqu'à ce que les hommes ne soient pas plus grands que des fourmis. [D.F.]
Il fait en parlant beaucoup de gestes, dont certains ne sont pas nécessaires. [D.F.]

[...] un inventaire hétéroclite qui n'était pas sans rappeler certaines des listes vertigineuses de La vie mode d'emploi. [D.F.] 

Il y a des risques à côtoyer l'infini. [D.F.]
*Il faut pour faire une prairie
Un trèfle et une abeille -
Un seul trèfle, une abeille
Et quelque rêverie.
La rêverie suffit
Si vous êtes à court d'abeilles.*
Emily Dickinson [Trad. Michel Leyris, in Esquisse d'une anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle, Gallimard] 
Qui a besoin de Dieu quand il y a des abeilles ? [D.F.] 

J'habite une rue, deux parcs et la montagne voisine. [...] Mon Outremont est à la jonction exacte de l'an 1917 (année où a été construite ma maison) et de l'an 2017 (où j'écris ces lignes) [...]. [D.F.] 

Appréciation : 4/5 

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vendredi 24 juillet 2020

La trajectoire des confettis - Marie-Ève Thuot

- Je prendrais trois cerveaux. [M.-È. T.]
Il s’agit d’un premier roman pour Marie-Ève Thuot. La bouchée était grosse: relater sur presque un siècle les aventures, déboires, sentiments, histoires du quotidien, rapprochements, marginalisations, variations, évolutions, croissances, rapports amoureux et sexuels notamment, de la plupart des représentantes et représentants d’une famille sans tabou. L’auteure parvient à cela en construisant une trame qui, dans chaque chapitre, nous fait parcourir en alternance plusieurs événements qui se déroulent en des lieux et des moments distincts, des histoires liées parfois par un fil ténu. Si cela apparaît déroutant dans les premières pages, on comprend rapidement cette structure et on voit comment veut nous mener l’auteure de cet imposant roman. Elle aura, quant à moi, gagné son pari et c’est bien volontairement qu’on se laisse bousculer d’une époque et d’un couple à l’autre en acceptant le regard moderne et un brin désabusé que peut poser l’auteure sur une société en mouvance ne concédant rien aux interdits.

Si ce roman choral, comme le veut le genre, fait que nous nous intéressons à une multitude de personnages tous distinctifs, on se préoccupera surtout d’une singulière fratrie et des relations que chacun de ses membres entretient avec les femmes. Il y a l’aîné, Zack, qui, avec sa conjointe Charlie, forme un couple ouvert si ce n’est libertin. Il y a Xavier qui vit dans l’abstinence sexuelle depuis 16 ans et qui est séduit par une mystérieuse mythomane. Il y a Louis qui vit chacune de ses relations de façon exclusive même si elles ne durent jamais plus de six mois. Enfin, il y a Justin, le demi-frère, qui doit assumer seul la paternité à 22 ans. 

Certaines ou certains y verront peut-être un roman féministe, j’ai, pour ma part, lu une œuvre considérant de façon cynique certaines normes sociales qui prévalent dans un monde fait de transformations et de paradoxes et j’ai savouré cette lecture.
Travailler à l’élaboration d’un papier peint l’hypnotisait. Elle devait découvrir des façons originales de faire d’emboîter des formes qui portaient en elles la possibilité de l’infini. [M.È. T.]
L'infini est une forme de chaos et les gens ont peur du chaos… [M.È. T.]

Appréciation : 4/5 



samedi 18 juillet 2020

L’avortement , une histoire romanesque en 1966 - Richard Brautigan


C’est une belle bibliothèque, parfaite de tempo, luxuriante et américaine. À l’horloge, il est minuit et la bibliothèque, profonde, est emportée, comme un enfant qui rêve, jusque dans l’obscurité de ces pages. [R.B.]
Richard Brautigan possède l’art de nous entraîner avec lui, comme Murakami, dans un monde qui, tout en étant proche de la réalité, comporte de petits éléments à la limite du fantastique, à la marge de l’absurde, dans un univers qui fait douter, qui crée un certain malaise, mais qui fascine. Ici, le tout débute dans une bibliothèque un peu particulière, une bibliothèque qui a, depuis, fait parler d’elle, en d’autres espaces, en d’autres lieux et en d’autres réalités que celle du livre. La bibliothèque que Brautigan met en scène dès la première page du livre est une bibliothèque qui reçoit tous les manuscrits que les auteurs, professionnels, amateurs ou en devenir, peuvent vouloir lui apporter. Le manuscrit sera classé et mis à disposition sur les étagères de cette bibliothèque fictive. «L’auteur [...] grand et blond, avec une longue moustache jaune qui lui [donne un] air anachronique »,  Richard Brautigan lui-même, y aurait déposé des manuscrits. Depuis, l’idée a fait son chemin, et la bibliothèque a pris forme dans la réalité en 1990 à Burlington, Vermont et a depuis déménagé ses pénates à Vancouver, Washington, où elle loge dorénavant (http://www.thebrautiganlibrary.org/index.html). David Foenkinos, dans Le mystère Henri Pick, en a aussi imaginé une nouvelle incarnation à Crozon en Bretagne où une bibliothèque réserve un certain rayonnage aux projets de livres voués à l’oubli.

Il y a donc cette bibliothèque, les gens qui viennent y déposer le résultat de leurs nuits d’écriture, mais surtout, le bibliothécaire qui l’habite et une jeune et belle femme, Vida, qui fera un peu plus qu’y laisser le manuscrit du livre qui parle de sa relation à son corps. Si L’avortement débute dans un huis clos où le rythme de la vie bat selon les intervalles entre les tintements de la cloche sonnée pour annoncer l’arrivée d’un nouveau manuscrit, le conte et sa poésie toute particulière prennent l’allure d’un roman de route et de voyage car, en 1966, pour qu’un avortement soit pratiqué, on devait se déplacer dans une contrée où les règles étaient moins strictes. Mais, que ce soit dans le huis clos ou la narration du déplacement vers le Mexique, c’est l’écriture de Brautigan ensorcelant le quotidien qui nous ramène à la littérature.
Au bout d’un moment, nous étions dans un tel état de décontraction qu’une agence aurait pu nous faire passer pour un champ de pâquerettes et nous mettre en location. [R.B.]
« Ce que vous êtes belle, ce matin, dit Foster. Vous ressemblez à un rêve que je n’ai pas encore fait. » [R.B.]
Le thème de base du restaurant était le rouge et le jaune, accompagnés d’une surprenante quantité de jeunes et le tintamarre des assiettes. [R.B.] 
Je tenais Vida par la taille. Elle allait bien. Juste un peu faible. « Comment te sens-tu? » lui ai-je dit. « Très bien, a-t-elle dit. Juste un peu faible. » [R.B.] 
Appréciation : 4/5
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Richard
Sucre de pastèque et La pêche à la truite en Amérique 
Brautigan
Richard
Un privé à Babylone