dimanche 6 juin 2021

Le roi n'avait pas ri - Guillaume Meurice

La salle d'apparat aux épais murs de pierres résonnait à présent d'un calme terrifiant. [G.M.]

C'est Triboulet lui-même qui s'adresse à nous dans ce roman à saveur historique qui a avec le présent de magnifiques résonnances. Triboulet, c'est un bouffon, un fou du roi, le plus célèbre d'entre eux. Il a œuvré auprès de Louis XII et de François Ier.  Il aura inspiré plusieurs auteurs, dont Rabelais et Hugo. Son histoire, il nous la raconte ici de façon simple. Meurice n'a pas, je crois, la prétention de nous livrer une thèse sur Triboulet, c'est plutôt une joyeuse évocation historique qui s'offre une caricature du pouvoir dans un style allègre fait de phrases courtes qui ne ménagent pas les chutes. Voilà une lecture agréable, une occasion de s'interroger sur la frontière entre le rire et l'offense. Jusqu'où la caricature peut-elle s'aventurer ? À quel point peut-elle malmener les bases de l'autorité ?

Et si telle était ma fonction ? Divertir sans glisser. Chercher la limite, le point d'équilibre entre le rire et l'offense. Entre la grâce et l'abîme. [G.M.]

Où s'arrête l'insolence, ou commence l'outrage ? Moi-même, je l'ignorais. Mais, le roi sourit. Et les autres aussi. [G.M.] 

J'ai toujours aimé l'odeur des livres. Ces effluves de fibres et d'encre me remplissent chaque fois d'une joie profonde. Le savoir est physique. L'intellect, intuitif. Je me plongeai dans la lecture.  [G.M.] 

Désormais, les balivernes parcouraient l'Europe, couchées sur du papier. Comment cet outil merveilleux, source de savoir, pouvait être dans le même temps véhicule de tromperies ? Était-ce un poison qui soigne et tue à la fois ? [G.M.]

- Ne t'en fais point ! Si quelqu'un te tuait, je le ferais pendre un quart d'heure après.
- Grand merci, mon roi. Mais je préférerais un quart d'heure avant.
 [G.M.]

La religion goûte peu la plaisanterie. La vérité révélée est pourtant source réjouissante d'absurdité. [G.M.]

Le besoin de brûler, piller, soumettre, tuer, dominer, d'où vient-il ? Est-il enfoui en chacun de nous ? N'attend-il qu'un prétexte pour jaillir ? Peut-être étions-nous tous fous. [G.M.] 

 

dimanche 30 mai 2021

Tintin et le trésor de la philosophie - Philosophie magazine (Sven Ortoli, rédacteur en chef)

Tintin parcourt le monde au gré de ses aventures, mais il sillonne aussi les territoires de la philosophie.
Encore un magazine autour du thème Tintin, je ne me lasse pas et cela ne risque pas d'arriver de sitôt. Il y a dans les aventures de ce reporter qui n'écrit pas d'articles et dont on ne connait pas le journal, une richesse incontestable qui rapproche ces histoires partagées par la culture populaire de la mythologie des Anciens. Cela devient une référence à laquelle on se mesure, par laquelle on se construit ; on grandit à la lecture de Tintin et de son monde. Dans le cas de ce hors-série, Tintin et les divers personnages qui peuplent ses aventures deviennent un support pour aborder de grandes thématiques telle la métaphysique de la raison, la superstition ou la magie. Quelques cases suffisent pour placer le sujet et le croiser au discours des philosophes. On abordera ainsi des thèmes relevant de l'éthique (le devoir, le courage, l'amitié, le respect ...). Le philosophe Jean-Luc Marion affirme d'ailleurs à cet égard que « [...] Tintin lui-même se réduit, en quelque sorte, à une épure. » Il représente l'éthique, l'universel. Enfin, ce voyage philosophique dans l'œuvre d'Hergé nous entraîne du côté de la politique pour jeter un regard sur les idées de justice, d'État, de propriété, de liberté et de pouvoir. On ne détourne pas Les aventures de Tintin en les plaçant au centre de ces concepts philosophiques, on en extrait des lectures parallèles, on en fait un archétype, ce qu'ils sont déjà pour appartenir à l'inconscient collectif.

 

mercredi 26 mai 2021

Les bases secrètes - David Turgeon

 

Au moment où commence cette histoire, Irénée Manche vient d’entendre, au loin, la sonnerie de sa porte. [D.T.]

Comment qualifier ce roman qui prend pour socle la littérature et l'écriture, dont le décor n'est autre que le monde littéraire et ses acteurs, où le lecteur est invité à assister à la fabrication même du roman en se faufilant dans des recoins dont on ne sait s'ils appartiennent à l'histoire principale ou à l'une de ses multiples branches ? Est-ce un roman à tiroirs ou un roman à clef, une aventure littéraire ou l'exercice d'un déploiement des potentialités narratives ? C'est, selon moi, quelle que soit la catégorie officielle dans laquelle on tenterait de le classer, un roman où l'invention est en première place, où le lecteur, bien volontaire, se laisse bousculer de belle façon, avec une intelligente plume qui manie à merveille les pleins et les déliés.   

J'ai aimé m'aventurer dans le labyrinthe construit pour ces personnages issus du monde de l'édition, de salons du livre ou de rencontres d'auteurs. J'ai assisté heureux à cet amour naissant entre un ex-philosophe maladroit et une mystérieuse chanteuse. Dans cette mise en abyme que constitue Les bases secrètes, je me suis guidé du mieux que je pouvais à l'aide de la carte que m'offrait l'auteur et j'en sors riche d'un nouveau voyage. 

Il est remarquable, constate Irénée, que la carte parvienne, sur une superficie comparativement limitée à suggérer toute la complexité du monde représenté; un état de l’univers dépourvu de sens, de finalité, mais pourtant riche de formes et de potentiel; un espace de narration infini au sein duquel toutes les routes se valent. La cartographie, conclut-il avec joie dans le soir qui s’installe, ouvre à un monde plus vaste que le monde lui-même. [D.T.]

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vendredi 21 mai 2021

Pourquoi le Nord est-il en haut? Petite histoire des conventions cartographiques. - Mick Ashworth

Dans La Chasse au Snark, un poème de Lewis Carroll publié en 1876, l’équipage d’un navire se montrait ravi de bénéficier d’une carte pour sa traversée, qui s’annonçait périlleuse. [M.A.]

J’ai abordé cet essai, curieux et avide de connaître quelques-unes des entrailles des cartes si présentes dans l’histoire comme dans le présent. J’y ai trouvé encore plus que je ne l’espérais, une richesse insoupçonnée de questionnements, de problèmes à résoudre, de choix à effectuer, d’interrogations sur la représentation, de réflexions sur la nécessaire limpidité de la communication. Tout cela pour établir d’inévitables conventions supportant les cartes qui nous guident, qui nous conduisent, qui nous informent, qui nous pilotent, qui nous inspirent. J’ai de tout temps aimé lire des cartes, qu’elles appartiennent à un atlas ou à un essai historique, qu’elles se présentent en papier ou virtuelles sur un écran, qu’elles permettent de trouver mon chemin on qu’elles fassent naître un rêve. Les illustrations de cet ouvrage ont magnifiquement contribué à ce périple dans le monde de la cartographie.

Ce ne fut qu’au XIXe siècle que l’on accepta dans le monde entier de respecter la convention voulant que le nord se trouve au sommet des cartes. [M.A.]

Dans le même temps où j’étais happé dans ce monde de représentation géographique, je lisais Les bases secrètes de David Turgeon et une improbable intertextualité se présenta.

Il est remarquable, constate Irénée, que la carte parvienne, sur une superficie comparativement limitée à suggérer toute la complexité du monde représenté; un état de l’univers dépourvu de sens, de finalité, mais pourtant riche de formes et de potentiel; un espace de narration infini au sein duquel toutes les routes se valent. La cartographie, conclut-il avec joie dans le soir qui s’installe, ouvre à un monde plus vaste que le monde lui-même. [D.T.]

 

dimanche 16 mai 2021

L'évasion d'Arthur ou La commune d'Hochelaga - Simon Leduc

 « La neige tombe pus, è pousse. » [S.L.]

Simon Leduc, par ce premier roman, nous livre une multitude de regards, parfois désabusés, parfois amusés, sur des habitants trop souvent ignorés de l'est du bas de la ville de Montréal. Il nous raconte par des événements choc l'émergence d'un projet révolutionnaire, à la fois anarchiste et nihiliste. C'est, entre autres, par les expériences de vie d'Arthur, ce petit garçon de 10 ans, que nous nous insérerons dans une école désaffectée, foyer du mouvement, pour voir comment s'organise un certain idéal libertaire. L'évasion d'Arthur ou La commune d'Hochelaga est une oeuvre construite tel un roman choral, les chapitres sont tour à tour rédigés selon les perspectives des divers acteurs: Arthur, ses parents dépassés, les bums de l'école, des policiers... Cela donne lieu à plusieurs niveaux de langage, à des sections écrites à la première personne (pas toujours la même) ou encore par un narrateur externe. Nous sommes face à une fresque qui s'inscrit dans l'hyperréalisme ou le dépasse carrément pour s'aventurer dans le merveilleux à la manière d'un conte. Cela peut être déstabilisant. Toutefois, on gagne à se laisser porter par l'histoire et à vivre un moment avec cette bande de personnages brisés et amochés, mais toujours vivants.

Oh non! Dis-nous pas qu'il a fallu. Pas ce verbe-là. Falloir. Ça se dit même pas à la première personne. Je faux. Nous fallons. C'est presque plus du français. Pis l'impersonnel, c'est contre-révolutionnaire. [S.L.]

C'est peut-être ce qu'il y a de plus beau à la commune, son secret le mieux gardé : l'annexion du fleuve à son vaste territoire de rêve. [S.L.]

Arthur n'est pas une boule qui gigote, c'est une ombre dont l'innocence s'échappe. [S.L.]