lundi 7 octobre 2019

Et si les oeuvres changeaient d'auteur ? - Pierre Bayard

Il existe un si grand nombre de raisons de ne pas laisser les auteurs en l'état, mais de les transformer, en partie ou en totalité, que je m'en tiendrai ici à trois. [P.B.]
Pierre Bayard, critique littéraire iconoclaste, marche dans les pas de Borges qui nous avait offert un surprenant Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Portant plus loin son regard ludique sur la littérature, posture développée dans des ouvrages comme Comment améliorer les oeuvres ratées? ou Comment parler des livres que l'on a pas lus?, Bayard redonne encore ici au lecteur un pouvoir de création en libérant toute la potentialité que recèle la réattribution des oeuvres à de nouveaux auteurs.

Si l'essayiste nous amène dans cette analyse à revoir certaines manipulations biographiques ou créations de pseudonymes issues d'interventions de quelques écrivains sur eux-mêmes (Émile Ajar ou Vernon Sullivan, par exemple), il nous offre également une réflexion sur des théories concernant l'origine de certaines oeuvres comme L'Odyssée (récit écrit par une femme), les pièces attribuées à Shakespeare (ou à Édouard De Vere, un comte d'Oxford) ou celles signées Molière (qui auraient pu l'être par Corneille). Poussant encore plus loin la démarche révélée ici, il se permet d'explorer de nouvelles réattributions, comme L'étranger de Franz Kafka ou Autant en emporte le vent de Tolstoï, expliquant à chaque fois comment ce nouvel auteur vient teinter la lecture du texte original, comment on peut y reconnaître sa plume, sa façon de faire, l'univers de ses personnages comme ses thématiques récurrentes. Puis, dans un nouveau saut qualitatif, Bayard abat certaines frontières théoriques et envisage Le Cuirassé Potemkine d'Alfred Hitchcock ou Le Cri de Robert Schumann. Délectable.


On pourrait croire que Pierre Bayard a bien choisi ses pairages oeuvres-auteurs pour mieux illustrer ses thèses et dégager ainsi la puissance critique qui peut s'exprimer par le changement d'auteur. C'est probablement le cas, mais dans la mesure où à la fois l'oeuvre et l'auteur appartiennent à ce que lui-même appelle la bibliothèque collective (l'ensemble large de tous les livres déterminants sur lesquels repose une certaine culture à un moment donné) ou encore la bibliothèque virtuelle (un espace ludique de communication sur les livres dans lequel il est admis de parler de livres non lus ou seulement parcourus), on pourrait imaginer que tout pairage puisse révéler, par une nouvelle lecture, un potentiel critique novateur, un regard différent, un angle propre, venant encore confirmer que la lecture constitue un acte foncièrement créateur.


Bayard m'aura encore fasciné par ce curieux essai où la théorie érudite est poussée vers le jeu littéraire, où la thèse exprimée devient ludisme créateur.


[...] tout nom d’auteur est un roman. Loin d’être un simple mot, il attire autour de lui toute une série d’images ou de représentations, tant personnelles que collectives, qui viennent interférer avec le texte et en conditionnent la lecture. [P.B.]
Autrement dit, la part d’invention que comporte toute activité de lecture ne s’arrête pas à l’oeuvre, elle s’étend jusqu’à l’auteur, qui est lui-même pris dans ce mouvement de création. On pourrait de ce fait aller jusqu’à dire que, d’une certaine manière, l’auteur fait lui aussi partie de l’oeuvre et en constitue même un personnage, pour être comme elle soumis au travail de réécriture du lecteur. [P.B.]
Préserver le dynamisme du texte et l’intérêt de la lecture en prônant le recours systématique à l'attribution mobile, c’est donc prendre la mesure de tous les mondes possibles qui se rencontrent en chaque oeuvre et de tous les auteurs qui auraient pu l’écrire, et, loin de s’arrêter à telle filiation définitive, nouer sans cesse, entre les écrivains et les textes, de nouvelles unions. [P.B.]

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lundi 30 septembre 2019

Les vies de papier - Rabih Alameddine


On pourrait dire que je pensais à autre chose quand je me suis retrouvée avec les cheveux bleus après mon shampoing, et les deux verres de vin n'ont pas aidé à ma concentration. [R.A.]
Que j'ai aimé partager le quotidien et les histoires de cette dame, Aaliya, à la chevelure bizarrement bleue! J'ai apprécié la suivre dans les dédales beyrouthins de son récit de vie, parmi les étagères de la librairie qui l'a accueillie, dans les escaliers de sa maison à appartements où se réunissent parfois des voisines et des sorcières, ou encore dans les pièces redéfinies de son logement où elle camoufle les résultats de ses travaux clandestins de traduction de grandes oeuvres littéraires selon un surprenant modus operandi. Combien j'ai gouté parcourir les sentiers qu'ouvrait Aaliya dans ses multiples digressions pour s'aventurer dans des univers liés à la littérature, à l'histoire de la ville, à la guerre, au temps qui file, à la vieillesse ou à la solitude! On doit reconnaître le don de l'auteur, Rabih Alameddine, pour s'insérer si bien dans la tête d'une vieille dame qu'on oublie totalement que le livre qu'on tient dans nos mains est l'oeuvre d'un homme.
Une plaisanterie circulait quand j'étais petite, et elle a encore sans doute cours aujourd'hui: quelle est la définition des droites parallèles dans les livres de géométrie d'Arabie Saoudite? Deux lignes droites qui ne se croisent jamais, sauf si Dieu dans toute Sa gloire le veut. [R.A.]
[...] la plupart d'entre nous pensons que nous sommes ce que nous sommes en raison des décisions que nous avons prises, en raison des événements qui nous ont façonnés, des choix de ceux de notre entourage. Nous considérons rarement que nous sommes aussi façonnés par les décisions que nous n'avons pas prises, par les événements qui auraient pu avoir lieu mais n'ont pas eu lieu, ou par les choix que nous n'avons pas faits, d'ailleurs.  [R.A.]
Tolstoï, Gogol et Hamsun ; Calvino, Borges, Schulz, Nadas, Nooteboom ; Kis, Karasu et Kafka ; des livres du souvenir, d'intranquillité, mais pas du rire et de l'oubli. Des années de livres, des livres où coulent les ans. Du temps perdu, une vie perdue.  [R.A.]
Des livres partout, des piles et des piles, des rayonnages, des caisses de livres, des tas les uns sur les autres, moi dans un fauteuil vieillot qui n'a pas été rembourré depuis que je l'ai acheté, au début des années soixante. [R.A.]
Je me cale dans le fauteuil de lecture, je remonte mes jambes. En route pour un long et voluptueux voyage. [R.A.]

mardi 24 septembre 2019

À vos ordres, colonel Parkinson - François Gravel


Je n'ai jamais été doué pour les sports. [F.G.]

François Gravel, un auteur québécois dont j'apprécie particulièrement la versatilité et la simplicité de la plume, nous livre ici un récit tout à fait personnel. Il fait état du choc provoqué par une rencontre avec un diagnostic pas banal livré par un médecin spécialiste : « Vous êtes atteint de la maladie de Parkinson... ». Comment réagir à une telle annonce? Gravel, lui, utilise l'arme qu'il connait le mieux: l'écriture. Il nous décrit donc, face à ce verdict, ses états d'âme, sa façon d'apprivoiser cette nouvelle venue, ses symptômes et leur évolution, mais, il aborde également un volet documentaire en s'informant sur l'histoire de la maladie, ses différentes formes ou les parkinsonnés connus. Tout cela est exprimé dans un court essai personnel avec le ton particulier que Gravel sait si bien donner à ses textes, un ton qui mêle l'humour, l'intime, la gravité et la tendresse.
J’ai longtemps cru que le parkinson était une maladie. Je m’aperçois aujourd’hui qu’il s’agit plutôt d’un cours de philosophie.  [F.G.]

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mercredi 11 septembre 2019

À propos du style de Genette - David Turgeon


J'avais lu quelques romans de David Turgeon et j'y avais trouvé un grand plaisir. Et puis, cet essai est venu à ma connaissance. Je n'avais jamais entendu parler ni de Genette, ni de la narratologie, mais, je ne sais pourquoi, cela m'attirait. M’engager dans la lecture de cet essai aurait pu être difficile. J'aurais pu m'empêtrer dans les concepts, me perdre dans une théorie absconse et n'être plus capable de trouver la voie de sortie. Eh bien non, les réflexions de David Turgeon m'ont fait agréablement découvrir tout un monde, celui de l'art du récit, celui qui tente de nommer des concepts pour l'analyse des structures de l'oeuvre littéraire. J'ai aimé y découvrir, par exemple, les réflexions sur les différents types de narrateurs et l'impact que cela peut avoir sur la façon dont est rendu le récit.

Cette théorie analytique, Turgeon s'est permis de l'appliquer aux propres textes théoriques de Gérard Genette, l'un des fondateurs de la narratologie. La prétention, ici, est que l'on peut fourbir les outils relevant de l'analyse stylistique même lorsqu'il s'agit d'un essai théorique.

Que peut-on dire du style d’un essai théorique? [D.T.]
Le défi m'est apparu relevé, selon l'humble analyse que je peux me permettre.
N’importe quel livre, en théorie, est une porte d’entrée vers la bibliothèque de tous les textes existants. [D.T.]
En parlant de Barthes, David Turgeon s'exclame : « Le propos de Barthes m’est souvent obscur, mais il est un écrivain dont la lecture me procure souvent beaucoup de plaisir, qui donne du grain à moudre à ma pensée. ». Je pourrais probablement exprimer quelque chose de semblable concernant cet essai de David Turgeon; il est clair, vu mon inexpérience dans le domaine, que je n'ai pas tout saisi des idées avancées, mais cette lecture m'a donné matière à réfléchir et j'en suis reconnaissant à l'auteur.


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26/05/2021

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mardi 3 septembre 2019

La transparence du temps - Leonardo Padura

La lumière crue de l'aube tropicale, filtrée par la fenêtre, tombait comme un éclairage de théâtre sur le mur où était accroché l'almanach avec ses douze cases parfaites, réparties en quatre colonnes de trois rectangles chacune. [L.P.]
Quel plaisir de parcourir pendant un moment le chemin que nous trace un nouvel auteur apparu dans notre bibliothèque! Quand cette nouveauté de personnages, d'intrigues et d'histoires se pare et se déploie dans un lieu qu'on vient de croiser, dans un espace qu'on veut découvrir encore plus, le bonheur est d'autant plus affirmé. Voilà ce que m'a permis la lecture récente de ce polar cubain. On y perçoit la ville de La Havane d'une façon beaucoup plus riche que ce que m'aura permis le court séjour que j'y ai fait il y a quelques semaines. Mais, il est toujours agréable de croiser au fil des pages des places, des lieux, des artères qui font images en accord avec notre mémoire. Mario Conde, ex-policier devenu revendeur de livres et, à l'occasion, enquêteur privé, approche avec difficulté la soixantaine. Il parcourt les rues et ruelles de La Havane. Il cherche, comme la plupart de ses amis havanais, une manoeuvre sinon une manigance pour se maintenir et éviter les ennuis. Puis, un ancien collègue se présente à lui et lui demande de dénouer une affaire où se croisent l'histoire, le marché de l'art, les bidonvilles et des milieux louches. Conde et son groupe d'amis plongent dans cette enquête armés de caféine et de bouteilles de rhum dans la cité de La Havane où une surprenante richesse côtoie parfois la misère.
Poussé par ses urgences urinaires et la nécessité de survivre, il assuma sa décision de sortir du lit, d'ignorer son envie de se plonger dans un bon livre (il y en avait tellement à lire mais il restait de moins en moins de temps pour les terminer !) et même son désir persistant de se lancer lui aussi dans l'écriture.  [L.P.]
La conviction que l'écriture n'est guère plus que la possibilité de construire d'autres êtres à partir de ce que tu as été et de ce que tu es t'avait servi pour tenter de prendre de la distance envers toi-même, pour te voir dans une perspective qui fut finalement révélatrice, à la fois agréable et douloureuse. [L.P.]
Il y a des choses que je sais... mais beaucoup d'autres que j'ignore... [L.P.]