dimanche 23 mars 2025

Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go - Pierre Lusson, Georges Perec, Jacques Roubaud

Dans le chapitre 3 du Genji Monogatari de Murasaki Shikibu, roman japonais écrit aux environs de l’an mil par une femme, et l’un des quelques chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, le héros, l’éblouissant prince Genji, amoureux de la belle Utsusemi, épouse du gouverneur de province Yo No Kami, s’est introduit en fraude dans les appartements de celle-ci avec la complicité du jeune frère d’Utsusemi. Caché derrière une tenture, il épie Utsusemi et son amie Nokia No Ogi absorbées dans une partie acharnée de GO. [G.P.]

Il y a déjà longtemps, un ami avait tenté de m'initier à cette merveilleuse, intrigante et exaltante activité qu'est le go. Le succès a été mitigé sur le long terme, mais j'en conserve un agréable souvenir et j'ai toujours gardé espoir de pouvoir m'y abandonner de façon décontractée et ludique. 

Dans mon parcours parmi les multiples œuvres de Perec, je n'avais pas encore croisé cette contribution à ce manuel d'initiation au go et je m'en voulais qu'elle n'ait pas encore fait partie de mes lectures. Mon écart est maintenant comblé et je me suis plongé avec plaisir dans ce qui constitue à n'en point douter le premier traité en français s'intéressant à l'essor du go et à son introduction en France en présentant de façon agréable aux novices les règles et les stratégies de base du jeu de go. Mais, ces trois amis que sont Lusson, Perec et Roubaud, ne se sont pas empêchés, d'y introduire, tels des potaches assumés, l'humour par des calembours un peu gros, des invectives adressées aux joueurs d'échecs, des pas de côté et des digressions. Cela n'est pas pour déplaire. Cette légèreté ne nuit pas à la mission que se sont donnée les auteurs d'inviter à la découverte de l'art subtil du GO.

La beauté du GO, la fascination qu’il exerce, l’intense émotion qu’il suscite, l’exaltation qu’il provoque viennent du mystère, des mystères qui, à tout instant, à tout niveau, au début ou à la fin de la partie, chez un joueur débutant comme chez un joueur exercé, accompagnent chaque coup, chaque échange.
Ce mystère, cette émotion qui fait que la main a peine à ne pas trembler quand elle pose sa pierre ; cette fascination qui naît lentement puis s’impose à jamais jusqu’à devenir obsession, sinon angoisse, cette beauté ultime qui à tout instant anime l’espace inerte où les adversaires s’affrontent de toute la sauvagerie des escarmouches locales, de toute la quiétude des espaces protégés, de toute la subtilité des pièges longtemps ourdis, déployant dans l’espace et dans le temps le sortilège de figures aux mille renversements, nous aimerions ici, maintenant, un instant, les faire partager, savoir en parler; mais, novices parmi les novices, sachant trop qu’une vie entière ne suffira pas à nous faire percevoir le quart des subtilités dont le GO s’accompagne, nous subissons cette fascination sans pouvoir la dire. 
[G.P.]

Lecteur, il te faut dominer ta concupiscence naturelle, l’enchaîner dans les fers de la droite raison et de la prudence serpentine! En cette conjoncture la force brute n’y a point place. La présomption non plus. [G.P.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

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Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques 

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05/06/2017

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16/02/2010

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01/09/2023

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15/03/2009

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05/09/2016

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La vie mode d’emploi 

10/02/2016

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Le Voyage d’hiver et ses suites

22/08/2019

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Penser / classer 

30/05/2016

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Tentative d’épuisement d’un lieu parisien

09/07/2018

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Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau

13/06/2020

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Un homme qui dort

02/10/2016


 

lundi 17 mars 2025

Mauvaises méthodes pour bonnes lectures - Eduardo Berti

Commencez à lire un livre. Avant d'arriver à la moitié (à la page 130, par exemple), perdez-le. Trouvez-en un autre. Faites comme si c'était le même livre, allez à la page 130 et lisez de là jusqu'à la fin. Vous devrez peut-être faire un certain nombre d'adaptations : comprendre que Marie s'appelle maintenant Tania, que la ville rurale du Texas est maintenant un quartier de Novossibirsk, que monsieur Wilkinson n'a plus de poulets parce que Mme Ivanov et les deux chèvres de Mme Ivanov ont largement pris leur place. Des situations de ce genre. Dites-vous que c'est à ça que servent les bons lecteurs. [E.B.]

D'Eduardo Berti, j'avais lu Un père étranger et cela avait suffi pour que je veuille à nouveau croiser son œuvre, d'autant plus que j'avais alors appris que, depuis 2014, il avait rejoint la bande des oulipiens. Mauvaises méthodes pour bonnes lectures s'inscrit tout à fait dans cet esprit de potentialités des lectures, dans un projet d'éclatement des méthodes traditionnelles de lectures pour s'engager allègrement dans un univers ludique qui donne à la lecture un nouveau vernis, une série d'ouvertures vers le jeu, vers l'amusement, le sourire et même le rire en parcourant les pages d'un ou plusieurs livres. Dans son Argentine natale, où sa formation scolaire s'est réalisée sous la dictature, le livre et son contenu devenaient un objet sérieux et dangereux. Dans cet esprit, imaginer une série de méthodes pour jouer avec le livre et la lecture constitue un pas vers la libération. Les détournements que propose Eduardo Berti dans cet opuscule sont autant de voies vers le loufoque, le farfelu et le déconcertant, mais cela nous pousse dans des tranchées où la réflexion sur notre pratique de la lecture devient incontournable. J'ai adoré m'aventurer ainsi avec Berti dans cet espace de lecture créative.

Un hapax est un mot qui n'apparaît qu'une seule fois dans un livre spécifique, soit dans l'ensemble de l'œuvre d'un auteur. [E.B.]