vendredi 1 août 2025

Contrefeu - Emmanuel Venet

Le premier incendie auquel fut confronté le père Philippe Ligné s'alluma dans sa culotte le dimanche 26 juin 1988, à l'occasion du baptême de Grégoire Mourron : MarieAnge, la mère du nouveau-né, portait ce jour-là une robe d'été vert pomme au décolleté plongeant, et resplendissait comme une madone. [E.V.]

L'incendie de la cathédrale de Saint-Fruscain, lieu de résidence de nombreuses reliques, centre de responsabilité épiscopale de Philippe Ligné, ci-devant évêque, et théâtre des premiers émois sexuels de ce dernier, est l'argument sans faille d'un portrait social de la petite ville de Pontorgueil. On fera, avec l'auteur, le tour de tous les Pontorgueillais, et Pontorgueillaises qui ont, d'une façon ou d'une autre, un lien avec la cathédrale, avec l'incendie ou avec ses conséquences. Tous les vices d'une petite société de province sont ainsi décrits sans retenue : bêtise, cupidité, bassesse, carriérisme et hommerie. C'est un tableau de mœurs plein de satire et d'ironie à la Flaubert, y compris des descriptions architecturales de type encyclopédique qui ne feraient honte ni à Bouvard, ni à Pécuchet. Voilà un petit bijou que j'ai pris plaisir à lire.

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Marcher droit, tourner en rond

16/08/2023


mardi 29 juillet 2025

Un automne rouge et noir - Marc Ménard

Lorsque j'ouvre les yeux, le son régulier d'une goutte qui frappe l'émail du lavabo m'indique que je suis seul. [M.M.]

Montréal 1936. Montréal, avant la Seconde Guerre. Montréal, encore blessée par la crise économique. Un Montréal du chômage, des quartiers ouvriers et de la recherche de combines pour s'en sortir. C'est ce Montréal que Marc Ménard met en scène pour ce roman réaliste ancré dans le Faubourg à m'lasse, décor dans lequel Stanislas, âgé de 18 ans, tente de survivre avec sa mère et sa sœur alors que son père est décédé et qu'il se retrouve chef de famille et sans emploi. Confronté à ses responsabilités dans un milieu hostile, confronté à ses rêves, à ses réflexions politiques et morales, il navigue à vue dans ce terreau propice au développement d'idées qui proposent des voies sociales divergentes. Entre les tractations mafieuses, les discours antisémites du Parti national social chrétien d'Adrien Arcand et les espoirs communistes qui s'inscrivent dans l'organisation du mouvement ouvrier, Stan tente de s'élever en lisant les ouvrages qu'Alice, la jeune libraire d'une librairie marxiste, lui refile ou en peaufinant son éducation politique lors de soirées de discussions avec un vieil anarchiste. Un automne rouge et noir qui raconte ainsi l'histoire de Stan, son évolution et la construction de son identité à travers ses expériences, pourrait être considéré comme un roman d'apprentissage, apprentissage qui se déroule sur une période courte, mais intense. La qualité de la reconstitution historique de cette période, où l'horizon était obstrué, est remarquable.

L'oncle Arthur se définit comme un anarcho-syndicaliste. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais ce qui est clair, c'est qu'il déteste les capitalistes, les patrons et, plus encore peut-être, les stalinistes. [M.M.]

mercredi 23 juillet 2025

Dix petites anarchistes - Daniel de Roulet


On était dix et à la fin on n’est plus qu’une. On s’appelle Valentine Grimm, née le 30 novembre 1845.
 [D.de R.]

Daniel de Roulet emprunte la voix de Valentine, la dernière rescapée d’une épopée hors du commun, pour nous raconter l’histoire d’un groupe de femmes qui, entre le constat d’inégalités qui perdurent et des espoirs nourris de discours libertaires tenus notamment par Bakounine lors du Congrès antiautoritaire de Saint-Imier en 1872, vont quitter le Jura bernois avec le projet de bâtir, à l’autre bout du monde, une société anarchiste. Dès le départ, embarquées sur la frégate à voiles La Virginie qui se rend en Nouvelle-Calédonie, elles croiseront Louise Michel qui, avec des communards, était déportée. Le groupe libertaire, quant à lui, posera pieds à Punta Arenas, en Patagonie, et c’est sur cette terre a priori inhospitalière que ces femmes tenteront de faire vivre leur utopie à l’effigie d’une brebis noir guidées par la devise Ni Dieu, ni maître, ni mari. Encouragées dans leur projet par Errico Malatesta qu’elles avaient aussi rencontré dans le Jura, elles se déplaceront vers l’archipel Juan Fernandez et l’île Robinson Crusoe, puis vers Buenos Aires, maintenant toujours en elles la ferveur solidaire du projet d’une société juste, égalitaire et libre. Le courage de ces femmes est admirable. La réinvention du monde devrait toujours demeurer à l’ordre du jour des aspirations de justice et de liberté. Voilà un court roman de révolte pacifique écrit dans un style direct, mais sensible, qui aura permis une lecture passionnée. 

mardi 8 juillet 2025

Des éclairs - Jean Echenoz

Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c'est possible. On aime mieux être au courant de l’instant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l’air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. [J.E.]

Jean Echenoz réitère sa formule de roman construit sur des vies revisitées. Après Ravel et Courir (sur Zatopek), il s'inspire de Nikola Tesla qu'il réinterprète sous le nom de Gregor. Est-ce pour se donner la distance nécessaire pour entrecroiser l'imaginaire et le réel ? Est-ce parce que Tesla, dans la culture populaire, a des contours moins marqués ? Peu importe, le Gregor d'Echenoz empruntera, depuis sa naissance, un soir d'orage, jusqu'à ses succès d'inventions électriques, en passant par ses goûts vestimentaires et sa passion pour les pigeons, le parcours sinueux de Tesla. Comme lui, bien qu'il fût l'inventeur du courant alternatif pour le transport d'énergie, qu'il ait travaillé sur les communications et le transport d'énergie sans fil, sur les bases de l'automation et de la radiocommande, il a échappé à la gloire et s'est fait voler plein d'idées, notamment par Edison. Echenoz ne fait toutefois pas de Tesla un portrait idéalisé. On trouve plutôt un personnage solitaire, un génie quelque peu antipathique, mais la manière qu'a Echenoz de le décrire vaut le détour.

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mardi 1 juillet 2025

Une malle pleine de gens - Antonio Tabucchi

Il y a d'emblée quelque chose d'excessif dans la biographie de ce Portugais qui risque de devenir au fil des ans l'un des poètes majeurs du XXe siècle: quelque chose de trop excessif pour ne pas éveiller de soupçons, ou même alarmer celui qui se lance sur ses traces. [A.T.]

Antonio Tabucchi nous ouvre la porte de l’univers de Fernando Pessoa et de ses multiples hétéronymes. Ce recueil rassemble plusieurs essais sur ce sujet complexe et captivant. On a ainsi droit à une incursion dans le labyrinthe des diverses identités créées et endossées par Pessoa au fil de ses productions selon les diverses écritures qu'il adopte lorsqu'il personnifie l'un ou l'autre de ses hétéronymes. Il est parfois Alberto Caeiro da Silva, son maître et celui d'Alvaro de Campos, poète solitaire et discret. Parfois, il s'insère dans la peau d'Alvaro de Campos, ingénieur naval et poète dandy à la pointe de l'avant-garde. Il peut aussi incarner Ricardo Reis qui a vécu au Brésil et était à la fois médecin et un poète au classicisme revendiqué. Il devient parfois Bernardo Soares, son hétéronyme le plus proche, aide-comptable en la ville de Lisbonne, qui a livré l'incomparable Livre de l'intranquillité. Pessoa se glisse dans la nature de plein de gens qui ont chacun leur histoire, chacun leur parcours, chacun leur production, parfois minime, parfois exceptionnelle. Et les membres de cette tribu, qui vivent dans l'imaginaire foisonnant de Pessoa, entretiennent occasionnellement des échanges épistolaires, commentant l'un, s'interposant aux opinions de l'autre ou intervenant même dans la vie de leur géniteur. Grâce à Tabucchi, traducteur et spécialiste de l'œuvre de Pessoa, nous avons accès à une meilleure compréhension de la création polymorphe de ce dernier.

Dès mon enfance, en effet, j’ai eu tendance à m’environner d’un monde fictif, à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé. […] Depuis l’époque où je me connais pour celui que j’appelle moi, je me rappelle avoir toujours dessiné mentalement, leur donnant silhouette, mouvement, caractère et histoire, un certain nombre de personnages irréels qui étaient, pour moi, aussi visibles et aussi miens que les objets de ce que l’on appelle, abusivement peut-être, la vie réelle. [Lettre à Adolfo Casais Monteiro sur la genèse des hétéronymes, Fernando Pessoa]

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