mercredi 16 août 2023

Marcher droit, tourner en rond - Emmanuel Venet

Je ne comprendrai jamais pourquoi, lors des cérémonies de funérailles, on essaie de nous faire croire qu’il y a une vie après la mort et que le défunt n’avait, de son vivant, que des qualités. [E.V.]

Emmanuel Venet est psychiatre et romancier et sans que cela insère de la lourdeur dans ses écrits, on sent bien que les deux volets de son être collaborent constamment. Le narrateur de Marcher droit, tourner en rond présenterait des symptômes de la stéréotypie idéocomportementale fréquemment en lien avec le syndrome d'Asperger, mais surtout il présente un rapport à la vérité qui n'est que d'un bloc et sans compromis. Autant dire qu'il a du mal avec la société en général et que l'exaspération est souvent présente, notamment dans cette cérémonie de funérailles pour sa grand-mère Marguerite. Les réflexions du narrateur au moment de cette cérémonie constituent l'amorce du texte ainsi que l'essentiel. Sa révolte s'exprime devant l'incohérence du monde, devant les choix discordants, devant les contradictions les plus évidentes des êtres qu'il côtoie, les membres de sa famille. Un texte fort, plein de décalages, de dénonciations, d'humour et d'ironie.

Cependant il me semble qu’il serait plus sain de préférer la vérité au mensonge, et que l’humanité devrait plutôt s’attacher à dessiller les crédules et à punir les profiteurs qui entretiennent le climat de duplicité et de tromperie dans lequel, pour notre plus grand malheur, notre espèce baigne depuis la nuit des temps. [E.V.]

Autour de moi, chacun vit comme si les choses sérieuses se cantonnaient aux signes extérieurs de richesse, à l’incessant échange d’opinions rebattues et à l’ostentation de plaisirs ignorant tout des sentiments. On parle garde-robe, cac40, taux de triglycérides, Vatican II, tarifs du vétérinaire, produits touristiques équitables ou nouvelles techniques de fitness, mais on évite soigneusement d’évoquer le besoin d’aimer, le bonheur de s’abandonner l’un à l’autre, l’exaltation que procure la vie à deux ou l’impeccable rationalité du crime passionnel assumé, tel que le journal en rapporte chaque semaine au moins un exemple. [E.V.] 

lundi 7 août 2023

La diagonale Alekhine - Arthur Larrue

À cette époque, le champion du monde d'échecs s'appelait Alexandre Alexandrovitch Alekhine et il avait la coquetterie de ne pas vouloir porter de lunettes en dehors du jeu. [A.L.]

Je ne connaissais ni Alekhine ni Larrue, mais l'idée de ce roman tournant autour de la vie d'un champion d'échecs russe naturalisé français qui aura maintenu son titre avant et après la Seconde Guerre mondiale, qui aura été le premier champion du monde à reconquérir son titre et le seul à mourir alors qu'il le détenait, m'intriguait. J'ai trouvé là une intéressante histoire qui s'entretissait allègrement avec les chambardements du monde, avec l'absurdité de la guerre et les déclarations contradictoires qu'elle suscite. L'écriture est fluide, bien que le style et le registre employés par l'auteur semblent varier de chapitre en chapitre, ce qui m'a parfois déstabilisé. Dans l'ensemble, toutefois, j'aurai eu du plaisir à lire ce roman inspiré de ce personnage sombre et ambigu qu'aura été Alexandre Alexandrovitch Alekhine.

Alekhine ne semblait admettre aucune différence entre les guerres napoléoniennes qui avaient redessiné l'Europe et ses combats sur l'échiquier. Quand Alekhine parlait, Lupi avait l'impression que le jeu comptait autant que l'histoire réelle. L'influence dont Alekhine se sentait doté dépassait l'échiquier et le seul enjeu des tournois. Elle agissait directement sur le monde et sur les hommes. Par l'effet d'une sorte de confusion ancrée dans son esprit, les échecs n'étaient plus la métaphore d'une bataille, mais la bataille elle-même. [A.L.]

Staline tenait à jour des listes d'hommes à abattre, dressait des listes de bourreaux pour les abattre, puis des listes de bourreaux pour abattre les bourreaux, et ainsi de suite... [A.L.]

lundi 31 juillet 2023

La salle de bain - Jean-Philippe Toussaint

Lorsque j’ai commencé à passer mes après-midi dans la salle de bain, je ne comptais pas m’y installer ; non, je coulais là des heures agréables, méditant dans la baignoire, parfois habillé, tantôt nu. [J.-P.T.]

Comme avec Fuir que j'avais récemment lu, l'auteur nous déstabilise. On entre dans ce roman avec l'impression qu'il nous manque une clé, puis c'est ce manque qui prend toute la place. On l'apprivoise, on apprécie le décalage. Et puis, on y trouve un humour retenu, de l'absurde fellinien, un quotidien déjanté, une philosophie du temps qui passe. Un jeune homme est allongé depuis quelques moments dans sa salle de bain alors que des peintres polonais effectuent des travaux dans l'appartement que le protagoniste partage avec sa compagne, galeriste. À l'aide de touches minimalistes, l'auteur, dans la peau du narrateur, décrit comme un spectateur de sa propre vie les aléas d'un ensemble de faits divers qui basculent dans une fuite inexpliquée vers Venise et des rencontres incongrues. Tout cela est écrit avec toute la fluidité de la plume de Jean-Philippe Toussaint qui nous entraîne ainsi dans d'agréables moments de lecture.

Des débats ont été engagés, dirait l’ambassadeur, des suggestions émises, des conclusions tirées et des programmes adoptés. Ces projets, qui ont été élaborés dans le sens de l’harmonisation des textes, visent, à travers une définition précise des études préalables, à renforcer la mise en œuvre des dispositions établies lors de la précédente réunion. Les mêmes dispositions tendent, du reste, à inspirer aux participants une programmation plus rigoureuse de leurs activités d’étude pour une meilleure maîtrise des projets, de manière à mettre en œuvre les modalités d’une amélioration de l’efficacité pratique des capacités. [J.-P.T.]

L’ancien locataire, homme distingué, regardant la bouteille, estima que c’était du très bon vin, mais nous confessa avec un rire prudent qu’il n’aimait pas le bordeaux, préférant le bourgogne. Je répondis que moi, je n’aimais pas tellement la façon dont il était habillé. Son sourire fut gêné, il rougit. Il y eut un certain froid du reste, la conversation ne reprit pas tout de suite. [J.-P.T.]

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Toussaint

Jean-Philippe

L’appareil-photo

04/11/2024

Toussaint

Jean-Philippe

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17/01/2024

Toussaint

Jean-Philippe

Fuir

14/05/2023


 

mercredi 28 juin 2023

Le monde se repliera sur toi - Jean-Simon DesRochers

Cette phrase, qu'est-ce que je disais ? Fixant la moulure du plafond, Noémie cherche les mots qu'elle vient à peine de prononcer dans un rêve. [J.-S.D.]

La théorie des Six degrés de séparation émise en 1929 se voit régulièrement réformée par l'omniprésence des réseaux sociaux. Selon certains, on en serait à un peu moins de cinq. Jean-Simon Desrochers, l'auteur, notamment, de La canicule des pauvres qui se trouve dans ma pile de livres à lire, joue de ce principe pour nous offrir un roman qu'on pourrait dire « à relais ». Chaque chapitre constitue une parcelle du monde, un regard oblique sur la société, un interstice dans le théâtre de l'humain. Puis, un personnage de cette minuscule tragicomédie en est extrait pour devenir le cœur du chapitre suivant. Et le même procédé est répété de chapitre en chapitre, de ville en ville. C'est en cela que le monde se replie sur le lecteur. Avec quelque trois tours du monde, les minuscules récits concoctés par Desrochers participent à une magnifique polyphonie qui fait intervenir près de cinquante personnages s'entrecroisant, certains plus d'une fois. La scène globale que nous dépeint Desrochers est faite de solitudes, de dépossession, de terrorisme, de bonheurs cachés, d'écologisme militant, d'espoirs menacés. Et puis, on en conclut, après ce tour de force, que le monde est bien petit.

De Paris à Zhèngzhôu, l'illusion de proximité se gère à coups de fils de cuivre, de fibre optique et de serveurs informatiques, réalité que Feng a peine à se figurer autrement qu'en appuyant sur les icônes d'un écran; grâce à une magie sans mystère, son image peut se retrouver presque n'importe où. [J.-S.D.]

 

dimanche 25 juin 2023

Crépusculaires - Stanley Péan

L'autre soir, en songe, au milieu du labyrinthe où s'amalgament le présent, le passé et l'avenir, l'homme que je suis aujourd'hui a revu le jeune homme que j'étais au moment de ma découverte de Jorge Luis Borges. [S.P.]

Stanley Péan, cet homme de radio et d'écriture, renoue avec ce genre trop peu loué que sont les nouvelles. Et il le fait, dans des formats variant de quelques lignes à quelques pages, avec toute l'expérience qu'il transporte. En peu de mots, il sait faire naître des univers étranges, mystérieux, parfois oniriques, parfois bien ancrés dans le réel, des univers qui partagent avec le titre choisi ce clair-obscur caractéristique du peintre Caravage. On rencontre des êtres éprouvés, confrontés à la perte, cherchant tout de même des raisons de continuer au-delà du départ, plus loin que la mer, dans des zones insoupçonnées. La littérature et la musique ne sont jamais loin des inspirations de l'auteur et son écriture coule entre la mort et l'espoir, entre le passé et le renouveau, entre le blues et le jazz.

Accablée par un soleil de plomb tout l'après-midi, Montréal au grand complet donnait l'impression de suffoquer dans la quête désespérée d'un peu de fraîche, d'un peu d'ombre, d'une ondée bienfaisante.  [S.P.]

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28/12/2022

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19/09/2010