Les Américains qui ont débarqué en 1944 en Normandie étaient de vrais gaillards ils mesuraient en moyenne 1m73 et si on avait pu les ranger bout à bout plante des pieds contre crâne ils auraient mesuré 38 kilomètres. [P.O.]Voilà un livre d'histoire totalement hors norme ! Déstabilisant par son contenu comme par sa forme, cette brève histoire est parfois noire, parfois révélatrice, toujours incisive, toujours écrite avec une plume déroutante. Est-ce un essai ? Un pamphlet ? On ne peut concevoir le rayon sur lequel devrait être déposé cet ouvrage. Depuis la première phrase jusqu'aux toutes dernières, les anecdotes et les faits s'entrecroisent avec les concepts, les généralisations et les théories. Les inventions s'interposent avec les moments de guerre, les clichés et les raccourcis. C'est, en quelque sorte, une apposition d'éléments divers tirés du XXe siècle, livrés dans un style qui, dans un premier temps, déconcerte, mais qui, par la force des choses, en vient à donner au texte un rythme hallucinant. On est littéralement plongé dans un amas de faits, d'incidents, de circonstances dont l'organisation nous échappe alors que, saisis de façon globale, on a là un portrait d'une certaine réalité du siècle même si elle peut paraître éclatée. Voilà donc l'histoire racontée d'une telle façon qu'elle impose en mémoire des images fortes et un regard social troublant.
Un blog qui, de Montréal à Bordeaux, tente de toucher toutes les rives et se permet toutes les dérives.
mercredi 13 avril 2022
Europeana, une brève histoire du XXe siècle - Patrik Ourednik
vendredi 8 avril 2022
La petite cloche au son grêle ; Maman, Marcel Proust et moi - Paul Vacca
Le retour du collège relève pour moi d'un ordre aussi immuable que le lever du jour, la chute des corps ou la ronde des saisons. [P.V.]
Quel magnifique petit roman. Voilà un texte initiatique ou un récit d'apprentissage qui fait sourire, qui fait du bien, qui rend compte de la découverte du monde littéraire à travers une relation étroite entre un jeune et sa mère. La petite cloche, c'est celle de la porte d'entrée du café tenu par ses parents. Entre l'école et ce café, le jeune narrateur croisera l'amour, le plaisir de lire, l'amitié et puis, ce qu'il faut pour lui donner la force d'affronter l'impensable perte de sa mère.
La petite cloche au son grêle présente autant de tendresse que son titre peut supposer. Écrit avec une magnifique plume, ce roman nous transporte dans le monde étrange et plein de bouleversements qu'on a tous connu, celui de la sortie de l'enfance. C'est dans cet état de transition que le jeune homme de 13 ans va croiser l'écriture de Marcel Proust et cela viendra le transformer tout autant que sa communauté. Si le titre est annonciateur de l'humanité et de l'émotion contenues dans ce roman, le sous-titre, Maman, Marcel Proust et moi, en dresse le territoire. J'ai adoré cette lecture et cela me rappelle que je prendrais plaisir à poursuivre ma découverte de La Recherche...
Est-ce que nous-mêmes, nous comprenons tout ce que nous lisons ? Je n'en suis pas persuadée. Au fond, n'est-ce pas mieux comme cela ? Lire, c'est aller vers l'inconnu, c'est chercher à découvrir de nouveaux mondes, à percer de nouvelles énigmes... Sans garantie de succès. D'ailleurs, on ne fait jamais le tour d'un livre, on n'épuise jamais la totalité de son mystère. C'est même peut-être ce qui nous échappe qui est le plus important... [P.V.]
Comme à ces savants qui découvrirent que deux droites pouvaient à la fois être parallèles et se croiser dans l'infiniment petit, l'impensable vient de lui être révélé : oui, on pouvait aimer à la fois Proust et le football ! [P.V.]_______
Vacca | Paul | Nueva Königsberg |
mercredi 30 mars 2022
Science, culture et nation (textes choisis et présentés par Yves Gingras) - Frère Marie-Victorin
Prononcer le nom de Marie-Victorin, c'est d'abord évoquer, comme un automatisme, le Jardin botanique de Montréal et la Flore laurentienne. Ce sont là - on ne peut en douter - de grandes réalisations, mais elles ne doivent pas masquer le fait que Marie-Victorin fut aussi, tout au long de l'entre-deux-guerres, une figure centrale du milieu intellectuel québécois. [Yves Gingras]
Ouvrez n'importe que recueil de vers canadiens et vous êtes sûr de rencontrer, généralement au bout des lignes, les inévitables primevères et les non moins fatales pervenches. Ces deux mots sont harmonieux, commodes et complaisants pour la rime. Malheureusement ici encore, nous avons affaire à des plantes étrangères à notre flore. [F.M.-V.]
Nous ne serons une véritable nation que lorsque nous cesserons d'être à la merci des capitaux étrangers, des experts étrangers, des intellectuels étrangers : qu'à l'heure où nous serons maîtres par la connaissance d'abord, par la possession physique ensuite des ressources de notre sol, de sa faune et de sa flore. [F.M.-V.]
Ce n'est pas en bâtissant hâtivement des systèmes plus ou moins ingénieux, mais en expliquant à fond des cas particuliers, que la science progresse. La démonstration et l'interprétation exacte du moindre fait exercent des répercussions infinies. [F.M.-V.]
Aussi ne voulons-nous en aucune manière favoriser l'affreux divorce des études scientifiques d'avec les disciplines littéraires et historiques. [...] Science et philosophie se portent un mutuel appui et ne peuvent longtemps s'écarter l'une de l'autre sans s'affaiblir mutuellement. [F.M.-V.]
L'homme qui pense peut et doit demander à la géologie - cette stéréoscopie de la géographie - la vraie signification des paysages familiers, paysages qui ne sont jamais que l'état présent des ruines d'un passé plein de choses, rejoignant, à travers le présent, le futur inexploré. [F.M.-V.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :
Gingras | Yves | Histoire des sciences | |||||
Gingras | Yves | L’impossible dialogue, Sciences et religions | |||||
Gingras | Yves | Les dérives de l’évaluation de la recherche | |||||
Gingras | Yves | Sociologie des sciences |
dimanche 13 mars 2022
Angélus des ogres - Laurent Pépin
J'habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. [L.P.]
Nouvelle, conte, roman court ? Peu importe ! L'Angélus des ogres de Laurent Pépin se présente comme une extension onirique de Monstrueuse féerie. Le parcours du protagoniste se poursuit. Son statut d'intervenant transite de plus en plus vers celui de bénéficiaire des services du centre psychiatrique anonyme et quasi fantasmé qu'il habite maintenant. Des monstres le hantent toujours, mais une porte s'ouvre avec Lucy, ses vibrations et ses reflets, cette thanatopractrice qui présente des crises de désespoir nocturne qui prennent des allures de banquets prodigieux autant qu'inquiétants. L'écriture poétique de Pépin ne se dément pas et il poursuit avec ce nouveau conte une exploration mythifiée et revendicatrice du monde psychiatrique. Son langage évocateur tonne subtilement.
Parmi les sanctions thérapeutiques que l’administration avait mises au point, celles que redoutaient le plus les Monuments, c’étaient les séances de cinémastoche : la thérapeute calculait la quantité de stimulations imaginaires douloureuses à leur adresser afin de corriger leurs erreurs comportementales, suivant des algorithmes impartiaux, puis façonnait des images mentales de supplice qui s’appuyaient sur les subtilités de la décompensation poétique de chacun d’eux. [L.P.]
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :
Pépin | Laurent | Monstrueuse féerie |
mercredi 9 mars 2022
La plaisanterie - Milan Kundera
Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. [M.K.]
La plaisanterie était ma première lecture d'un roman de Kundera... Non, je n'ai pas encore lu L'Insoutenable légèreté de l'être ! J'aurai donc commencé par son premier roman. Publié en 1967, juste avant le Printemps de Prague, plusieurs y ont vu un roman essentiellement politique. Évidemment, l'histoire, racontée par plusieurs intervenants sur un mode polyphonique, se déroule de l'après-guerre jusqu'à la période précédant immédiatement les événements de 1968 en Tchécoslovaquie, la tentative de libéralisation fortement réprimée par l'U.R.S.S. Si le régime alors en force constitue un cadre incontournable, il ne m'est pas apparu fonder l'essence même de ce qui est ici narré et exposé. Enfin, c'est ma lecture...
J'y ai vu l'histoire d'une déchéance, d'un destin qui s'est faufilé derrière les rideaux de la scène avant qu'elle ne se joue, d'amours déçus, d'amours trahis, d'illusions perdues, l'histoire d'une réalité qui ne se laisse pas saisir, d'une vie détruite à partir de quelques mots. C'est, principalement, l'histoire de Ludvik Jahn, un jeune étudiant communiste, bien vu du système, qui, à vouloir se moquer en utilisant le second degré dans une carte postale, devient un ennemi du régime et sa vie est bouleversée. Il est relégué aux mines et au camp de redressement. Les personnages doutent, ont peur, partagent leurs espoirs et leurs regrets, mais, somme toute, ils ont peu de contrôle sur leurs parcours. Pourrait-on dire qu'il s'agit là d'un roman psychologique ?
Je commençai à comprendre qu'il n'existait aucun moyen de rectifier l'image de ma personne, déposée dans une suprême chambre d'instance des destins humains ; je compris que cette image (si peu ressemblante fut-elle) était infiniment plus réelle que moi-même ; qu'elle n'était en aucune façon mon ombre, mais que j'étais, moi, l'ombre de mon image [...] [M.K.]
[...] lire des vers, pour moi ce n'est pas seulement comme si je parlais de mes sentiments, mais comme si, ce faisant, je me tenais en équilibre sur un pied ; quelque chose de compassé, dans le principe même du rythme et de la rime, m'embarrasserait si je devais m'y abandonner autrement qu'étant seul. [M.K.]