Nous sommes deux fumeurs d'opium chacun dans son nuage, sans rien voir au-dehors, seuls, sans nous comprendre jamais nous fumons, visages agonisants dans un miroir, nous sommes une image glacée à laquelle le temps donne l'illusion du mouvement, un cristal de neige glissant sur une pelote de givre dont personne ne perçoit la complexité des enchevêtrements [...] [M.E.]

[...] la musique est un beau refuge contre l'imperfection du monde et la déchéance du corps. [M.E.]À propos d'une petite valse pour flûte et violoncelle, l'auteur écrit :
La petite valse est une drogue puissante : les cordes chaleureuses du violoncelle enveloppent la flûte, il y a quelque chose de fortement érotique dans ce duo d’instruments qui s’enlacent chacun dans son propre thème, sa propre phrase, comme si l’harmonie était une distance calculée, un lien fort et un espace infranchissable à la fois, une rigidité qui nous soude l’un à l’autre en nous empêchant de nous rapprocher tout à fait. [M.E.]Si, plus tôt dans l'année, j'ai avoué ne pas avoir été interpellé à sa juste valeur par L'usage du monde de Nicolas Bouvier qui partageait un décor semblable, ici, j'ai été envoûté, enivré par le discours, par le regard mélancolique sur un passé de voyages, de découvertes, de visites de lieux mythiques, Istanbul, Damas, Alep, Téhéran, Palmyre, par une déclaration d'amour de quatre cents pages, par une érudition qui ne m'est pas apparue ostentatoire, mais réelle et partagée avec bonheur. Je me suis laissé porter, béat, par ce pèlerinage inscrit dans une vie et un territoire que je n'aurai probablement jamais la chance de fouler.
Pour qui arrivait de Damas, Alep était exotique ; plus cosmopolite peut-être, plus proche d’Istanbul, arabe, turque, arménienne, kurde, à quelques lieues d’Antioche, patrie des saints et des croisés, entre les cours de l’Oronte et de l’Euphrate. Alep était une ville de pierre, aux interminables dédales de souks couverts débouchant contre le glacis d’une citadelle imprenable, et une cité moderne, de parcs et de jardins, construite autour de la gare, branche sud du Bagdad Bahn, qui mettait Alep à une semaine de Vienne via Istanbul et Konya dès janvier 1913 [...] [M.E.]
Il y aurait peut-être une apostille à rajouter à mon ouvrage, une coda, voire un codicille [...] [M.E.]
Avait-il ressenti, lui aussi, l’effroi du désert, cette angoisse solitaire qui serre la poitrine dans l’immensité, la grande violence de l’immensité qu’on imagine receler bien des dangers et des douleurs — peines et périls de l’âme et du corps mêlés, la soif, la faim, certes, mais aussi la solitude, l’abandon, le désespoir ; [...] [M.E.]
Sans l'Orient (ce songe en arabe, en persan et en turc, apatride, qu'on appelle l'Orient) pas de Proust, pas de Recherche du temps perdu [...] [M.E.]
Il y a tout l'univers dans une bibliothèque [...] [M.E.]
À l’orient de l’Orient on n’échappe pas non plus à la violence conquérante de l’Europe, à ses marchands, ses soldats, ses orientalistes ou ses missionnaires — les orientalistes sont la version, les missionnaires le thème : là où les savants traduisent et importent des savoirs étrangers, les religieux exportent leur foi, apprennent des langues locales pour mieux y rendre intelligibles les Évangiles. [M.E.]
___________
Sur Rives et dérives, on trouve aussi :
Énard | Mathias | Le Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs | |
Énard | Mathias | Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants |