jeudi 24 octobre 2024

Le retour de Bouvard et Pécuchet - Frédéric Berthet

Dans le silence, les lourdes portes du siècle et, avec elles, celles plus lourdes encore du second millénaire frémirent sur leurs gonds. [F.B.]

J'avais été séduit par Bouvard et Pécuchet dans sa version originale, ce projet inachevé, mais magistral de Gustave Flaubert. Voilà que le hasard de mes lectures m'amène à découvrir qu'en 1996 était parue une reprise des aventures des deux bonshommes sous la plume de Frédéric Berthet. Une réédition a été réalisée en 2014. Berthet inscrit Bouvard et Pécuchet dans un espace-temps qui se trouve à cent ans de leur continuum spatiotemporel d'origine. Et cela fonctionne. On retrouve leur enthousiasme de néophytes pour appréhender le réel du Chavignoles de 1980 en y diffusant une radiopirate, en explorant les dédales de la bourse, en s'entraînant à devenir des décideurs et des entrepreneurs, en se tournant vers la politique ou l'art d'écrire. Ils envisagent de revenir à Paris, découvrent le Minitel et le nouveau cosmopolitisme qu'il génère, se plongent dans des activités d'un centre de fitness et goûtent à tout ce qui fait le monde des années 80. Le défi était de taille, Frédéric Berthet l'a relevé de belle façon. Il a su trouver le ton juste pour faire de ce retour nettement plus qu'un pastiche.

B&P sont dans un présent perpétuel. [F.B.] 

Comme le livre n’était pas tout à fait terminé, je me suis dit que ces deux personnages n’étaient pas tout à fait morts. [F.B.] 

La Bêtise me suffoque de plus en plus, ce qui est imbécile, car autant vaut s’indigner contre la pluie !  [G.F.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Flaubert

Gustave

Bouvard et Pécuchet 

28/03/2010


dimanche 6 octobre 2024

Le sentiment des crépuscules - Clémence Boulouque


Pourriez-vous m’arrêter ici, s’il vous plaît ?
— Bien sûr, Monsieur. Mais nous ne sommes pas encore sur Elsworthy Road.
— Je souhaiterais continuer à pied. J’ai besoin de marcher.
[C.B.]

Clémence Boulouque est écrivaine, journaliste et critique littéraire. Je ne la connaissais pas avant d'aborder ce roman historique qui, dans la forme et l'argument, représente un défi tout à fait remarquable. L'auteure a fait appel à une somme impressionnante de documents, d'archives, d'échanges épistolaires pour créer tout l'univers des discussions qui surviennent dans une rencontre qui fait intervenir Stefan Zweig, Salvador Dali, Gala et Edward James lors d'une visite à la résidence de Sigmund Freud et de sa fille Anna à Londres. Bien qu'on sache que des liens existaient entre ces personnages historiques et hors norme, il n'est pas établi qu'un tel entretien ait eu lieu à Londres en 1938. Mais, peu importe, voilà l'occasion pour des échanges savoureux, pour des évocations du passé de l'un et de l'autre, pour faire revivre les démons qui les tourmentent, pour exposer ce qui compte pour chacun d'eux, pour échanger sur leur statut de réfugiés ou sur les aléas d'une guerre à venir. Et, au travers ces discussions, Dali, mettant de l'avant son caractère fantasque, malgré la modération que tente de lui imposer Gala, insiste pour exposer à Freud sa méthode paranoïaque-critique.

Toute cette rencontre constitue un magnifique débat d'idées et Clémence Boulouque nous permet d'y être conviés.

Anna repense à la plaisanterie familiale sur ce grand-oncle, un commerçant qui parlait une multitude de langues, mais toutes en yiddish. [C.B.]

Les nazis sont aussi idiots que corruptibles, soupire Zweig. Tellement corrompus et imbéciles que la plupart d’entre nous sommes partis du principe que n’importe quelle personne sensée ne voterait jamais pour ce type d’individus. Que c’était l’histoire d’une saison de vulgarités et de tapageurs. Et c’est précisément à cause de cela que toute la tragédie a pu s’enclencher, à petite vitesse, sous nos yeux. [C.B.] 

— Vous allez beaucoup aimer, s’émoustille Dalí. Chez l’arrrrrière-petite-fille du marrrrquis de Sade, dit-il en roulant des consonnes et des yeux. [C.B.] 

L’Amérique est une erreur. Une erreur formidable, peut-être – néanmoins une erreur. [C.B.] 

 

mardi 1 octobre 2024

Flaubert à la Motte-Picquet - Laure Murat

Anvers. Le métro sort de terre, survole Barbès et les voies ferrées de la gare du Nord. [L.M.]

Ce texte de Laure Murat est hors norme. L'auteure, au hasard d'un déplacement dans le métro parisien, observe un homme qui semble noter dans un carnet une liste improbable de lectures. Ce n'est pas, comme elle l'a, de façon spontanée, présumé, une liste de lectures personnelles ou de lectures à venir. C'est plutôt une énumération des lectures de ses voisins de voyage dans le métro. Cela explique l'incongruité dans la suite observée et l'alternance surprenante des titres. Séduite par l'idée, Laure Murat décide de s'y mettre et de tenter de dresser une cartographie de la lecture souterraine. Il ne faut pas y voir une étude sociologique de la lecture qui se pratique dans les rames. C'est, à mon avis, plutôt, des chroniques sans prétention sur des observations de lectures au gré de déplacements sur les diverses lignes du métro parisien, mais aussi du métro de Los Angeles (l'auteure enseigne à Los Angeles) et de celui de New York. Au-delà des commentaires sur les lectures identifiées, on trouve des remarques sur les lecteurs eux-mêmes, sur les auteurs et sur la vie qui se déroule dans les entrailles du monde urbain. C'est court, amusant et cela donne l'idée d'observer plus attentivement les habitudes littéraires de mes covoyageurs quoique dans le contexte numérique d'aujourd'hui cela soit de plus en plus difficile.

[...] le tracé du mur des fermiers généraux, élevé à partir de 1784, barrière fiscale dont l’impopularité était résumée dans cet alexandrin célèbre : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant. »  [L.M.]

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