mercredi 3 novembre 2021

L'inexistence - David Turgeon

Sur la photo, quatre jeunes gens assis côte à côte sur une banquette. [D.T.]

La porte d'entrée de ce roman n'est rien d'autre que cette photo prise devant le Café Ludwig. Trois hommes et une femme. On sait que la photo a été découpée dans un journal, probablement Le Mercure de Privine. Interroger les photos, les questionner, en extraire l’anecdote ou l’aventure, voilà le travail qu'effectue l'historienne Sabine Oloron. Ses enquêtes et quelques hypothèses permettent d'identifier les personnages apparaissant sur cet extrait de journal, notamment Carel Ender qui serait en toute apparence « fonctionnaire de l'Empire ». Ce sera la figure centrale du roman que déploie David Turgeon, une tranche de vie de ce Carel d'origine kadienne dans un Empire construit sur la disparition de ses ascendances dans un monde inventé qui, parfois, partage certaines caractéristiques avec une quelconque réalité. 

Entre un mal-être existentiel, une militance artistique et politique éclatée et des réflexions essentielles, l’auteur campe, au travers le groupe d’amis de ce Carel et à l’aide de son écriture stylée et recherchée, diverses situations qui résonnent avec du connu, avec des problématiques qui s’inscrivent subrepticement dans le manifeste, tout en laissant avec la fin de l’épisode, avec la fin de cet univers imaginaire, quelques questions en suspens.

J’ai adoré ce voyage littéraire en forme de puzzle qui se situe à la fois hors et dans le temps, cette fable moderne totalement inscrite à l'intérieur d'une simple photo.

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Turgeon

David

À propos du style de Genette

11/09/2019

Turgeon

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La raison vient à Carolus

27/06/2021

Turgeon

David

La revanche de l’écrivaine fantôme

03/04/2019

Turgeon

David

Les bases secrètes

26/05/2021

Turgeon

David

Simone au travail

17/11/2017

dimanche 31 octobre 2021

De racines et de mots, Persistance des langues en Amérique du Nord - Sous la direction d'Émilie Guilbeault-Cayer et de Richard Migneault

La langue constitue l'une des racines culturelles d'un peuple, et les mots, eux en sont les témoins.
Richard Migneault est amoureux du genre littéraire que constitue la nouvelle et il en fait la promotion de diverses façons. S'il a, plus d'une fois, croisé le polar avec la nouvelle en regroupant des auteurs autour de divers thèmes (Crimes à la bibliothèque, Crimes à la librairie, Crimes au musée), cette fois, c'est autour de l'histoire et de la langue que se construira ce recueil né d'une rencontre avec l'historienne Émilie Guilbeault-Cayer.  

Le projet, magnifiquement réalisé, regroupe des historiennes et historiens, géographes, ethnologues, romancières et romanciers lancés dans cette entreprise d'illustrer au moyen de nouvelles la notion de persistance des langues en Amérique du Nord. La plupart de ces nouvelles se situent sur une mince frontière entre récit historique et fiction documentée. On ne reconnait pas systématiquement ce qui relève des faits ou ce qui est dû à l'imagination de l'auteur, mais cela ne constitue en rien un obstacle au plaisir de lire et de s'insérer par là dans l'histoire d'un territoire et des langues qui l'ont raconté. De la survivance du français de la Nouvelle-France via des missives recréées à la langue de l'exode et des départs, de la rencontre des langues autochtones d'hier à la résurgence des langues retrouvées, littérature et histoire font bon ménage dans ce recueil de douze nouvelles multiformes qui nous transportent dans l'univers des mots et des langues qu'il ne faut pas oublier. J'y ai puisé un véritable plaisir de lecture.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions du Septentrion pour l'envoi de ce recueil dans le cadre d'une opération "Masse Critique 100 % québécoise".

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Migneault

Richard (sous la supervision de)

Crimes à la librairie

29/07/2015


mercredi 27 octobre 2021

Le meilleur dernier roman - Claude La Charité

À 19 h 30, Henri Vernal n’était toujours pas arrivé.  [C.L.C]  

Quelle merveilleuse idée que ce « Prix Anthume du meilleur dernier roman » ! C'est une idée qui a germé chez l'un des membres du département d'études littéraires de l'Université du Québec maritime pour contrer une chute dramatique des nouveaux inscrits aux programmes offerts en littérature. Dans une autre institution que j'ai fréquentée, ces programmes de lettres auraient été inscrits sur la liste orange, dénommée ainsi en raison de la disponibilité fortuite des rames de papier lors de la première impression. 

L'essentiel du roman qu'on pourrait peut-être qualifier d'autofiction (on découvrira que le narrateur se nomme Claude) se déroule lors de réunions de l'assemblée départementale. L'auteur et son double portent là un regard cynique sur l'institution universitaire comme sur le milieu littéraire. Voilà une description pleine d'ironie et de dérision qui est plaisante à lire et on se réjouit de l'oeil désabusé et rieur qui est porté sur l'absurdité relative de certains mécanismes ostentatoires du milieu. J'ai souri et j'ai ri à plus d'un moment tout en appréciant la qualité de la plume de l'auteur.

J'attendais que l'on cite la maxime d'Henri Queuille : «Il n'est aucun problème qu'une absence prolongée de solution ne puisse résoudre.» Mais personne ne connaissait ce président du Conseil de la IVe République française. [C.L.C.]

Faisons preuve d'interdisciplinarité, voire d'intersectorialité! C'est le maître mot de la recherche universitaire de nos jours. Il était évident que désormais notre discussion allait prendre une dimension plus technique, même si certains dénoncèrent l'illusion de scientificité et d'autres, l'imposture de l'interdisciplinarité comme un arbre destiné à cacher le grand n'importe quoi de la recherche actuelle. [C.L.C.]

Après tout, la littérature n'est pas grand-chose d'autre qu'une vue de l'esprit. [C.L.C.]

Il n'est pas exagéré de dire que l'Académie Anthume valait bien l'Académie Goncourt. Même propension à parler de livres qu'on n'a pas lus ou alors pas entièrement ou trop vite, même impression exagérée d'appartenir à l'histoire, même conviction de fabriquer la postérité par l'onction d'un prix dont les voies, comme celles du Seigneur, sont impénétrables. [C.L.C.]

 

vendredi 22 octobre 2021

Le murmure des hakapiks - Roxanne Bouchard

La lame tranche la chair en lanières fine, puis en petits morceaux. [R.B.]

J'ai littéralement été happé par cette lecture policière et madelinienne qui se déroule en grande partie dans le froid du nordet des Îles-de-la-Madeleine. Ce polar québécois constitue la troisième intervention de l'enquêteur d'origine mexicaine Joaquin Moralès admirablement créé par Roxanne Bouchard. L'histoire, en deux volets, fait intervenir l'agente de Pêches et Océans Canada Simone Lord rencontrée dans La mariée de corail. Elle doit monter à bord du Jean-Mathieu qui, en partance de Cap-aux-Meules, se dirige vers une chasse au loup marin du côté de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard avec un inquiétant équipage. Simone doit, à titre d'observatrice, valider les pratiques de chasse alors que le mauvais temps monte. Parallèlement, Moralès, qui vient de retirer son alliance, prend quelques jours pour une expédition de ski de fond longeant le Saint-Laurent. Ces deux personnages, réunis en pensée, vont être précipités dans une aventure pleine de tension et d'angoisse et on vivra la chasse aux phoques d'une particulière façon. Roxanne Bouchard nous fait humer l'air du large comme le huis-clos du chalutier. J'ai adoré cette inquiétante aventure. 

Il fait si froid que tout est immobile : la glace a coincé son petit bout de plage depuis un moment et la marée, apparemment au jusant, fait ressortir  les pointes dures des blocs bleutés. Le ciel est transparent. [R.B.] 

Le vent, aux Îles-de-la-Madeleine, ne se heurte à rien. Il glisse contre les dunes, traverse les lagunes et enveloppe les gens, puis emporte avec lui le superflu du bavardage vers le large. [R.B.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Bouchard

Roxanne

La mariée de corail

12/10/2020


 

mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Calvino

Italo

La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

Calvino

Italo

Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016