lundi 15 mars 2021

Le traducteur cleptomane et autres histoires - Dezsö Kosztolányi

 

Nous parlions de poètes et d’écrivains, d’anciens amis qui avaient commencé la route avec nous, jadis, ils étaient ensuite restés en arrière et leur trace s’était perdue. [D.K.]

Voici un ouvrage original. Dezsö Kosztolányi, auteur hongrois du début du XXe siècle, y met en scène un personnage qui pourrait être son double, son alter ego. Kornél Esti est le fil conducteur de ces onze nouvelles. C'est souvent le protagoniste ou celui qui narre l'épisode qui s'amorce. Chacune des nouvelles de ce recueil présente une certaine sensibilité envers la langue ou la communication, on en fait l'éloge tout en y relevant les incongruités. Chaque épisode est raconté avec une certaine distance qui rend l'humour ou l'ironie encore plus décalés. Mais, derrière l'insolite, on trouve une certaine critique de la société. On met en lumière ses incohérences et, par là, les textes de Kosztolányi rappellent Kafka alors même qu'on peut y déceler une ressemblance avec Calvino. J'ai adoré cette incursion dans le monde étrange de Kosztolányi et me promets d'explorer d'autres aventures de cet énigmatique Kornél Esti.

Appréciation: 3,5/5

dimanche 7 mars 2021

Dernières nouvelles des choses - Roger-Pol Droit

Il s'avance vers moi, tend la main. Il dit : «Alors, comment vont les choses?» [R.-P. D.]

Roger-Pol Droit, pour le projet de cet ouvrage, s'est astreint à un exercice particulier, celui de porter sur les choses ordinaires de son environnement un regard philosophique et métaphorique. Il s'insère dans cet univers des objets inanimés pour tenter de les approcher, les épier, tel un explorateur en constituant un journal de bord de ses observations. Du trombone à la théière en passant par le lave-linge autant que le répondeur, Roger-Pol Droit, à travers son expérimentation tous azimuts des réalités concrètes, dévoile un peu de lui-même en exposant, sans embarras, son rapport aux choses dont il donne des nouvelles. Il y a dans cette expédition quelque chose qui relève de l'infra-ordinaire comme l'appelait si bien Perec qui a ouvert la recherche et l'analyse de « ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel... » [Georges Perec, L'infra-ordinaire, 1989]. Dernières nouvelles des choses s'apparente, dans l'esprit de la démarche comme dans le type d'interrogations ou le ton personnel de la posture, aux 101 expériences de philosophie quotidienne qui m'avait déjà séduit. 

Dans un premier temps, l'auteur tente une classification des choses :

Je me pose sur le banc à la sortie du village, essayant de discipliner des hordes de choses innombrables et diverses qui s’agitent dans ma tête. Choses liquides, choses solides. Choses proches du corps, en contact avec la peau de manière durable (vêtements, sous-vêtements) ou temporaire (savons, serviettes-éponges, mouchoirs) et choses éloignées du corps. Choses tactiles et choses à regarder. Choses à faire marcher et choses inertes. Classements par taille, par poids, par couleur, par provenance, par matière, choses simples et choses composées, choses naturelles et artificielles, artisanales et industrielles, durables ou éphémères, lumineuses ou obscures, choses avec ou sans bouton, uniques ou non... Aucun classement ne tient. À peine évoqué, il se disloque. [R.-P. D.]

Je n'ai pas pu m'empêcher de me remémorer, à cet égard, une citation de Jorge Luis Borges rapportée, je crois, par Alberto Manguel : « Les animaux sont classés comme suit : (a) ceux qui appartiennent à l’Empereur; (b) ceux qui sont embaumés; (c) ceux qui sont dressés; (d) les cochons de lait; (e) les sirènes; (f) les animaux fabuleux; (g) les chiens errants; (h) les animaux inclus dans cette classification; (i) ceux qui tremblent comme s’ils étaient fous; (j) les animaux indénombrables; (k) ceux qu’on dessine avec un pinceau très fin en poil de chameau; (l) et cetera; (m) ceux qui viennent de casser le vase de fleurs; (n) ceux qui, vus de loin, ressemblent à des mouches. »

J'ai adoré ce voyage bien personnel que nous a offert Roger-Pol Droit et je me demande bien comment je pourrais entreprendre de répondre à sa requête de poursuivre l'expérience avec mes propres choses et les pensées qu'elles suscitent en moi. 

[...] ni héroïque ni téméraire, mais fidèle et sérieux, le trombone est une figure de l’éthique. [R.-P. D.]

Les choses destinées à la musique forment une tribu à part. Leur relation au corps est tout à fait singulière. Elles lui dictent leur loi, en même temps, elles attendent tout de lui. La flûte exige une exacte position du tronc, des bras, des doigts, un placement précis des lèvres et du souffle. Quelques millimètres d'écart, tout change. [R.-P. D.]

Imaginez, pendant quelques secondes, qu’un virus encore inconcevable atteigne demain toutes les tables du monde et les fasse disparaître. [R.-P. D.]
Appréciation : 4/5
__________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi ;

Droit

Roger-Pol

Comment marchent les philosophes?

19/08/2020

Droit

Roger-Pol

101 expériences de philosophie quotidienne

29/04/2019


vendredi 26 février 2021

Ce qu'ici-bas nous sommes - Jean-Marie Blas de Roblès

Ce mémoire est une mise en forme de mes carnets de route destinée, sur la suggestion du professeur Binswanger, à mettre un peu d'ordre dans le chaos de mes souvenirs. [J.M.B. de R.]
Voilà une magnifique expédition dans un monde improbable, une errance encyclopédique dans un univers en marge du réel, une incursion dans l'imagination fertile d'un ethnographe baroque. Jean-Marie Blas de Roblès, celui-là même qui nous avait livré L'île du point Nemo, nous entraîne ici dans une exploration anthropologique relevant du fabuleux, de la chimère ou de la curiosité excentrique, une invention cocasse où chaque détail est relevé avec grand souci. On s'engouffre avec le protagoniste dans le trou noir délimité par Zindãn et son dieu vivant Hadj Hassan. On est propulsé hors du temps, dans un monde n'appartenant à aucune époque, même si son charme et son esthétique semblent provenir des encyclopédies du dernier siècle avec des illustrations et des collages de la main de l'auteur qui nous propulsent dans la poésie de leurs légendes. Placé dans un état d'ouverture approprié, on pourra accueillir au mieux cette expérience hors du commun qui se joue en deux temps, le premier comme une errance ou un périple de découverte dans cette invraisemblable oasis, le deuxième, quarante ans plus tard, se remémorant le premier et cherchant à en faire l'inventaire, dans une clinique sur les rives d'un lac chilien.

J'ai adoré ce voyage.
[...] après tout ce que j’ai raconté de mon séjour jusqu’alors, peut-être puis-je suggérer ici avec moins d’incongruité le postulat auquel je m’accrochais pour ne pas devenir fou: sous tous ces aspects, Zindan était un monde à coefficient de rationalité variable en fonction des individus, ce qui est à la rigueur admissible, mais aussi du temps et de l’espace. [J.M.B. de R.]

* Sur France-Culture, on trouve une intéressante entrevue de Jean-Marie Blas de Roblès à l'émission La salle des machines animée par Mathias Énard : https://www.franceculture.fr/emissions/la-salle-des-machines/jean-marie-blas-de-robles-diane-meur.  

Appréciation : 4,5/5

_______

Sur Rives et dérives, on trouve aussi : 

Roblès

Jean-Marie Blas de

Là où les tigres sont chez eux

24/09/2021

Roblès

Jean-Marie Blas de

L’île du point Nemo

04/01/2021


samedi 20 février 2021

Dehors la tempête, La vie dans les livres - Clémentine Mélois

D’abord, j’ouvre le livre en grand et je colle mon nez au milieu des pages pour les respirer.
[C.M.]

Clémentine Mélois nous ouvre sa bibliothèque intérieure. Elle nous raconte, sans autres détours, sa relation privilégiée, olfactive et passionnelle avec les livres, les ouvrages qui sentent la mer et le large, comme ceux qui s'ancrent sur sa table de chevet, ceux qui ont compté et ceux qui s'accrochent. Elle raconte comment elle aime les listes et les inventaires. Elle nous emporte dans son délire et sa verve humoristique pour aborder des anecdotes ainsi que des questions qu'on ne se posait pas à propos de ses auteurs préférés, autour des textes qu'elle préfère et des extraits qui la font vibrer. On ne peut que vibrer aussi et toute cette frénésie nous amène à porter un regard sur notre propre relation aux livres, à la lecture et à tout cet univers conceptuel qui tourne autour de la création littéraire. Dehors la tempête aura engendré de beaux moments de lecture en compagnie de cette artiste plasticienne et récente membre de l'Ouvroir de littérature potentielle qu'est Clémentine Mélois.

À la gauche du lit, près de la lampe de chevet, dans l’ordre de la pile : Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino, une édition jaunie de 1981[...] [C.M.]
On trouve là des livres depuis longtemps aimés et qu’on garde près de soi comme des grigris, des livres d’auteurs découverts récemment, des livres prêtés qu’on a oublié de rendre, des livres empruntés, des livres offerts, des livres tout juste retrouvés, des livres qu’on relit sans cesse, des livres qu’on aimerait relire, des livres auxquels on voudrait accorder une nouvelle chance, des livres qu’on aimerait lire mais qu’on ne lira jamais, des livres décidément trop compliqués, des livres décevants, des livres écrits par des amis, des livres qui nous sont tombés des mains, des livres dont on se dit qu’il faudrait tout de même les lire un jour (Quel manque de culture ! Tu ne l’as pas lu ? C’est pourtant un classique…), des livres qu’on nous a conseillés, des livres dont on a oublié pourquoi ils se trouvaient là… des livres, toutes sortes de livres sur ma table de chevet. [C.M.]

Les citations sont là pour ça, pour se tirer habilement et sans trop se mouiller, d’une situation embarrassante, quand on ne sait pas quoi dire d’autre. [C.M.]

Appréciation : 4/5