samedi 11 juillet 2020

Déchéance de rationalité - Gérald Bronner

Chacun se souvient de ce qu’il faisait lors des attentats du 11 septembre 2001. [G.B.]
De Gérald Bronner, j’avais lu avec intérêt La démocratie des crédules ainsi que quelques interventions dans des magazines. Tout cela se faisait sur le ton assez neutre de l’essai. Avec Déchéance de rationalité, le sociologue s’adresse à nous sur un ton plus personnel pour narrer une expérience où il quitte le rôle d’observateur de la société pour y intervenir de façon directe dans le cadre de la tentative de mise en place d’un centre de déradicalisation, centre qui n’aura accueilli que neuf jeunes avant de fermer ses portes moins d’un an plus tard. Bronner croit à l’utilité d’un tel centre et s’y engage pour rencontrer sur une base régulière les jeunes qui y séjournent de façon volontaire. Il cherche, par ses interventions et ses analogies, à les amener à déconstruire eux-mêmes leurs fausses croyances en leur rappelant, notamment, qu’on a tous pu « croire à des choses folles sans être fou » pour autant.  Cette importante expérience n’aura toutefois pas les appuis gouvernementaux nécessaires et les oeillères de la bureaucratie auront tôt fait d’en freiner les élans.

Par ce témoignage, face à la désinformation, face à la démagogie, face à l’impérialisme de la crédulité, Gérald Bronner fait un appel à la militance citoyenne pour défendre la rationalité dans le débat public.
Si par quelques improbables et méchants hasards de l’histoire nous avions pu mettre en application nos principes de vie sociale lisses et purs comme la perfection, l’humanité aurait probablement disparu... [G.B.]
Appréciation : 4/5
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jeudi 2 juillet 2020

Un automne de Flaubert - Alexandre Postel

À son entrée dans Concarneau, Flaubert crève de sommeil et de faim. [A.P.]
Après Le vol de la Joconde ou Marx dans le jardin de Darwin, notamment, je poursuis mes lectures d’œuvres où l’auteur s’inspire de faits véridiques et historiques pour créer une trame, des dialogues, des moments qui n’ont peut-être pas existé dans la fenêtre d’espace-temps que nous occupons, mais qui, on peut imaginer, occupent une place dans l’un ou l’autre des univers parallèles créés par diverses bifurcations de la réalité. Cette fois-ci, c’est Alexandre Postel qui nous fait vivre l’une des dernières saisons de Gustave Flaubert. Il est las, inquiet par certains problèmes financiers, en panne d’écriture, sa santé est fragile, il demeure triste, mélancolique. Il quitte vers la mer, pour s’y baigner et partager de bons moments avec son ami Georges Pouchet, un naturaliste qui a monté, à Concarneau, un petit laboratoire de dissection d’animaux marins.
Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. [A.P.] 
Flaubert s’abandonne, puis, au gré des marches et des baignades, une certaine énergie semble revenir. Elle fait revivre les idées qui lui permettront de se remettre à l’écriture d’un conte, au moyen d’ajouts et de corrections multiples. Ce sera donc les premières versions de La Légende de saint Julien l'Hospitalier et un retour sur l’histoire des deux bonshommes que sont Bouvard et Pécuchet.
Son pas est lent, son souffle court, et son esprit, loin de s’ouvrir aux forces et aux flux du monde, se resserre sur les menus accidents du chemin, une racine glissante, une roche instable, une ronce à écarter. [A.P.]
Postel rend avec grâce ces instants dans la vie de Flaubert et son écriture permet de nous plonger nous-mêmes dans ces moments bretons, sentir l’air salin et voir l’inspiration renaître sous la plume du maître.

Appréciation : 4/5

mercredi 17 juin 2020

Les anarchiques, Histoires d'un siècle disparu - Vahé Légende

Tel Grandgousier qui se chauffait les couilles « à beau, clair et grand feu », en contant en famille les belles histoires du temps jadis, et pour capter votre attention, nous allons suivre sans plus tarder une ombre, un fantôme. [V.L.]
L’incipit promettait, la quatrième de couverture également, mais à mi-chemin, je me suis surpris à abandonner cette lecture. Cela m’arrive rarement, mais voilà que l’écriture déjantée de l’auteur n’est pas allée chercher mon adhésion. J’aimais l’intention. Je me suis toutefois senti englouti sous la verve anarchique et inventive, il faut le reconnaître, de Légende. Après quelques chapitres, n’ayant pas trouvé la clef ni l’espoir de la repérer au loin, j’ai opté pour faire valoir un des droits inattaquables du lecteur et je suis passé à une autre lecture qui sera plus accueillante.

Appréciation : 1/5

samedi 13 juin 2020

Un cabinet d’amateur, Histoire d’un tableau - Georges Perec

Un cabinet d’amateur, du peintre américain d’origine allemande Heinrich Kürz, fut montré au public pour la première fois en 1913, à Pittsburgh, Pennsylvanie, dans le cadre de la série de manifestations culturelles organisée par la communauté allemande de la ville à l’occasion des vingt-cinq ans de règne de l’empereur Guillaume II. [G.P.]
Lu pour la première fois en 1988, c’est à une relecture de ce roman que je me suis adonné ces jours derniers. Voilà une oeuvre hypnotique et ensorcelante qui engage le lecteur dans un maelström de descriptions, dans un tourbillon d’analyses de tableaux, dans une débauche de listes, de catalogues et de répertoires. C’est à une histoire de l’art pictural que nous convie Perec avec ce tableau qui en contient une multitude y compris lui-même, une vraie histoire de l’art du faux mêlée à une fausse histoire du vrai dans l’art. J’ai été entrainé dans ce courant jusqu’à la dernière phrase. Je demeure bouche bée devant cette invention, devant cette mise en abîme picturale et romanesque.
Nombreux sont sans doute les visiteurs qui tiendront à comparer les oeuvres originales et les si scrupuleuses réductions qu’en a données Heinrich Kürz. Et c’est là qu’ils auront une merveilleuse surprise : car le peintre a mis son tableau dans le tableau, et le collectionneur assis dans son cabinet voit sur le mur du fond, dans l’axe de son regard, le tableau qui le représente en train de regarder sa collection de tableaux, et tous ces tableaux à nouveau reproduits, et ainsi de suite sans rien perdre de leur précision dans la première, dans la seconde, dans la troisième réflexion, jusqu’à n’être plus sur la toile que d’infimes traces de pinceaux : Un cabinet d’amateur n’est pas seulement la représentation anecdotique d’un musée particulier ; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu’opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c’est une oeuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s’amplifie jusqu’à l’infini, et où la précision exacerbée de la matière picturale, loin d’être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l’Éternel Retour. [G.P.]

Appréciation : 4,5/5 

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mardi 9 juin 2020

Vie de Gérard Fulmard - Jean Echenoz

J'en étais là de mes réflexions quand la catastrophe s'est produite. [J.E.]
Je n'avais jamais lu de romans de Jean Echenoz. Pourtant, il en a quelques-uns à son actif et j'ai souvent été intrigué par ceux-ci. J'ai donc commencé par son dernier. Pourquoi pas? J'ai lu avec joie cette Vie de Gérard Fulmard. Antihéros classique, en autant qu’on peut voir un certain classicisme dans le fait d’être devant un ex-steward mis à la porte pour une raison obscure, suivi dans le cadre d’une triste et douteuse psychothérapie, qui envisage comme fuite en avant de créer à partir de peu, sinon de rien, une agence de détective privé et s’engage à l’aveugle dans une aventure qu’on pourrait qualifier de politico-policière à la limite du domaine de l’espionnage. Ce n’est pas le message qu’il faut, à mon avis, essayer de dénicher dans cette Vie, mais plutôt un lieu hors du monde, dans une sphère éthérée, où l’on se laisse narrer fort bien une histoire.
Gérard Fulmard, donc, et si j'ai quelques raisons de me plaindre, du moins ne suis-je pas mécontent de ce patronyme assez peu courant, qui ne sonne pas mal, qui est presque le nom d'un bel oiseau marin auquel j'aimerais m'identifier sauf qu'il est grégaire et moi pas plus que ça. Sauf aussi que je n'ai pas le physique, ma surcharge pondérale s'opposant en toute hypothèse à ce que je prenne un jour mon vol. [J.E.]

Appréciation : 3,5/5 

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30/01/2022