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mercredi 12 janvier 2022

Algèbre, Éléments de la vie d'Alexandre Grothendieck - Yan Pradeau

Il n'a pas lu le tract qu'il tient à la main et ne le lira pas. Pourtant son nom y figure. [Y.P.]

C'est en quelques jours que j'ai parcouru avidement cette biographie romancée. Est-ce toutefois le bon terme pour parler de ce livre ? J'aurais plutôt tendance à utiliser "récit biographique". Quoiqu'il en soit, j'ai été happé par cette lecture qui me transportait dans la vie exceptionnelle d'un mathématicien français hors-norme, celle d'Alexandre Grothendieck. Son nom résonne peut-être un peu moins au Québec qu'en France, mais, dans le milieu mathématique, son apport à la science comme ses opinions extrêmes sont grandement réputés. Étudiant universitaire en mathématiques fondamentales dans les années 70, j'ai évidemment été marqué par l'influence du groupe Bourbaki, et donc par Grothendieck, la topologie algébrique, la théorie des catégories et toutes ces sortes de choses. Son refus d'aller recevoir en URSS la médaille Fields qui lui avait été décerné, ses positions politiques, notamment quant au financement militaire de la recherche mathématique ou physique ou son parti pris pour l'environnement, m'avaient alors impressionné. J'étais heureux de le croiser à nouveau et d'en apprendre plus sur son parcours grâce à ce court récit que nous offre l'auteur et enseignant en mathématique Yan Pradeau. Celui-ci réussit à présenter au monde les interstices d'un théoricien d'une intuition phénoménale, un penseur radical dans le domaine mathématique comme dans le domaine social et politique. Un immense travail de recherche et une écriture remarquable ont permis à Pradeau de dresser un portrait significatif du génie mathématique que demeurera Grothendieck. 

Khéops n'a bâti aucune pyramide de ses mains. [Y.P.]

La même année, à Besse-et-Saint-Anastaise, en Auvergne, naît un petit Nicolas qui deviendra, lui aussi, un grand mathématicien. De ses parents on ne sait rien, sauf qu'ils venaient d'une région oubliée du Caucase, la Poldévie. Bientôt sa route croisera celle d'Alexandre. Il s'agit de Nicolas Bourbaki. [Y.P.]

Un jour, Alexandre invoque un nombre premier pour les besoins d'une démonstration. "Lequel?" dit un auditeur. "Prenons le nombre 57 par exemple", lui répond Alexandre, et de continuer son exposé, comme si de rien n'était, en oubliant que 57 n'est pas un nombre premier. Cette anecdote porte la griffe du talent d'Alexandre, ses raisonnements ne s'appuient jamais sur des exemples. Depuis, 57 s'appelle "nombre premier de Grothendieck". [Y.P.]

"La société industrielle et la cellule cancéreuse partagent une même philosophie, celle de la croissance illimitée." [Alexandre Grothendieck] 

mercredi 8 décembre 2021

La déesse des petites victoires - Yannick Grannec

À l'exacte frontière du couloir et de la chambre, Anna attendait que l'infirmière plaide sa cause. [Y.G.]

Début des années 80, Anna Roth travaille comme documentaliste à l'Institute for Advanced Study de Princeton.  Elle a notamment pour mandat de convaincre Adèle Gödel de céder à l'institut les dernières archives de son mari, l'un des mathématiciens et logiciens les plus importants du XXe siècle, Kurt Gödel, décédé en 1978. Le roman, car c'en est un et l'auteure ne prétend pas établir ici une thèse historique, repose sur cet argument pour revisiter de belle façon le parcours de Kurt Gödel et de son épouse Adèle depuis leur rencontre à Vienne en 1926. L'auteure affirmera même : «Cette histoire est une vérité parmi d’autres : un tricotage de faits objectifs et de probabilités subjectives.» 

C'est ainsi qu'on suivra les déboires des premiers moments, la fuite vers l'Amérique en passant par la Russie et le Japon, l'installation à Princeton, les échanges avec les collègues de Kurt Gödel, dont Robert Oppenheimer, Oskar Morgenstern et même un certain Albert Einstein. L'amitié qui unissait Albert Einstein à Kurt Gödel est probablement ce qui aura contribué à maintenir ce dernier en action dans les domaines mathématiques et philosophiques à Princeton. Cela est bien rendu.

Le parcours qui nous est proposé, c'est par les yeux d'Adèle qu'on le suit. Il est donc teinté du regard qu'elle porte sur les talents de mathématicien de Kurt, mais aussi sur son inaptitude sociale, son hypocondrie ainsi que sa paranoïa (l'épisode du maccarthysme n'a de toute évidence rien aidé). Les petites victoires, ce sont celles qu'elle gagna sur la fatalité et le mal de vivre de son logicien de mari.

J'ai adoré ce roman à saveur historique qui permet de se replonger dans cette atmosphère un peu étrange qui entourait le Projet Manhattan et ses suites, les discussions de Gödel sur la logique, en particulier sur l'incomplétude et l'existence sous certaines conditions d'énoncés mathématiques indécidables, sur les questionnements philosophiques qui en découlent, sur la vie hors norme qui se déroulait à Princeton dans les années 50. Voilà un roman passionnant qui narre une partie de l'histoire sur la base d'un amour qui aura duré, lui, plus de cinquante ans.

- Je m'appelle Kurt Gödel. Et vous, mademoiselle Adèle. C'est correct? - Presque correct, mais vous ne pouvez pas tout savoir! - Cela reste à démontrer. [Y.G.]

« Si les gens ne croient pas que les mathématiques sont simples, c'est uniquement parce qu'ils ne réalisent pas à quel point la vie est compliquée. » [John von Neumann, cité par Y.G.]

Image même de sa chère récursivité, il ne rendait des comptes qu'à lui-même. [Y.G.]

- L'infini existait pourtant avant que l'homme invente les mathématiques ! [Y.G.]

La soif de sens, présente chez tous les êtres humains, fait de certains des proies faciles. Le pas est trop aisé entre synchronicité, hasard sensé et prémonitions, médiums... [Y.G.]

- [...] Vous aimez trop les mots pour un mathématicien. [Y.G.]  


mercredi 1 décembre 2021

Un père étranger - Eduardo Berti

Quelques heures avant l’enterrement de ma mère, l’après-midi où on la veillait, et alors que l’usage aurait voulu qu’on expose son cadavre, mon père donna l’ordre de laisser le cercueil fermé. [E.B.] 
Voilà un livre mystérieux, un roman en partie autobiographique qui navigue entre les concepts d'identité, d'altérité, de migration, de paternité et d'écriture. Eduardo Berti constate à la mort de son père, un Roumain réfugié en Argentine, que celui-ci tentait d'écrire en espagnol un roman à propos d'ouvriers roumains. Le fait ainsi d'écrire dans la langue de son pays d'accueil l'amène à tracer un parallèle avec un de ses projets, celui de tracer le parcours de l'auteur polonais et britannique Joseph Conrad (Józef Konrad) qui écrivait pour sa part en anglais. Voilà autant d'occasions, en parlant de son père, de Conrad ou du livre qu'il est en train d'écrire, de s'exprimer sur la langue, sur la littérature, sur le statut d'écrivain et sur le fait d'être étranger en son monde tout en portant en soi toute une bibliothèque. Voilà un auteur, membre récent de l'Oulipo, dont j'ai bon espoir de croiser encore l'œuvre sous peu.

À l’époque, j’aimais bien la notion selon laquelle la « patrie » d’un écrivain est sa langue natale. Aujourd’hui, avec plus d’ancienneté comme étranger, je préfère l’idée que son véritable pays se trouve dans ses livres : ceux qu’il a lus ou désire lire (sa bibliothèque), ceux qu’il a écrits ou rêve d’écrire (certains appellent cela une « œuvre »).  [E.B.]

Les lecteurs cherchent et voient les ressemblances entre les livres, nombreux ou non, d’un écrivain ; l’écrivain, de son côté, voit surtout leurs différences. [E.B.]

Je n’ai pas lu Jouhandeau : il fait partie de la longue liste d’écrivains que, je suppose – sauf miracle ou cas de force majeure – je ne lirai jamais ; c’est impossible, il faudrait vivre mille ans ou, plutôt, ne pas vivre et ne faire que lire, lire et lire. Lire qui, d’accord, est aussi vivre. Mais qui ne l’est pas si on ne fait que ça.  [E.B.]

 

dimanche 15 août 2021

La Castafiore, Nouvelle biographie très enrichie et toujours non autorisée ! - Albert Algoud

Depuis que je suis enfant, la Castafiore n’a jamais cessé de m’intriguer. [A.A.]

J’ai déjà mentionné, il me semble, avoir un faible pour l’intertextualité, pour les oeuvres qui s’interpellent au-delà des genres, au-delà des auteurs, au-delà des normes. La Castafiore d’Albert Algoud emprunte sans détour ce chemin et se permet un grand jeu de balles rebondissantes entre réalités et fictions, entre personnages de papier et personnages historiques, entre auteurs et créatures imaginées. On ne peut prétendre lire cette biographie éclatée sans s’esclaffer, sans vanter plus d’une fois l’inventivité fantaisiste de l’auteur. L’argument est simple, la Castafiore est un personnage historique qui cache un secret qui sera révélé sous la plume d’Algoud dès les premières pages. La Castafiore est le dernier des castrats. L’auteur appuie cette divulgation sur divers indices, mais c’est surtout l’impact que cela aura eu sur la vie mouvementée du rossignol milanais qui nous est raconté tout au long de cet ouvrage fortement documenté. De sa naissance à sa métamorphose, de sa vie avant Tintin à sa première rencontre avec Hergé, de son entourage, le pianiste Wagner et la fidèle Irma, au monde politique et artistique, on croisera avec Bianca Castafiore plusieurs personnages signifiants de l’histoire. Algoud nous instruit du rôle surprenant de la Castafiore dans la résistance sous l’Occupation, en particulier dans le réseau Pinson. On en apprendra sur sa relation avec Edgar P. Jacobs, mais aussi avec Blake ainsi que Mortimer, avec des artistes importantes, telle Joséphine Baker ou Anna Marly, avec le monde du pop art et du rock, Andy Warhol et Lou Reed, son rapport difficile avec Fidel Castro, jusqu’à ses dernières apparitions où le rossignol allonge son ombre sur le monde. Cette biographie constitue un voyage trépidant et je m’en serais voulu de ne pas en avoir été. 

Fantasque fantôme issu d’un opéra de papier, moderne Nadja, étonnante piétonne, passereau qui passe, éternelle en-allée, diva hybride que nulle morale ne bride, c’est vers la Beauté que ta voix immatérielle nous guide ! [A.A.]

«  Mourir n’est rien quand on a connu tant de félicité », lui murmura-t-il en arabe et en expirant. » [A.A.]

vendredi 2 juillet 2021

Le rêve de Champlain - David Hackett Fischer


Notre point de départ est une gravure française du début du XVIIe siècle. C'est une scène de bataille comme on en trouverait chez tout bon marchand de dessins anciens en Europe.
[D.H.F.]

Je ne connaissais pas tant l'histoire de Samuel de Champlain. Il me restait quelques traces de mes cours d'histoire du Canada, quelques lectures au hasard des commémorations historiques, mais sans plus. Je me suis donc lancé tout à fait ouvert dans cette somme consacrée à l'homme multiple qu'était Champlain, le soldat, le navigateur, le cartographe, l'ethnologue et même l'humaniste, selon l'auteur. On ne peut que louer le travail immense qu'a pu constituer l'écriture de cet ouvrage. David Hackett Fischer relate parfois avec un minutieux détail qui laisse songeur sur la place qu'a pu prendre l'invention ou tout du moins l'extrapolation historique. Mais, au-delà de cette inquiétude, Le rêve de Champlain demeure une lecture prenante et enrichissante même si elle a tendance à s'apparenter à une hagiographie. On y voit comment Champlain dans ses efforts de développement d'une société en terres d'Amérique a pu agir d'une façon différente que celle utilisée par les conquérants espagnols au sud du continent. La thèse que Fisher défend avance que Champlain a voulu construire une société où colons et Indiens auraient pu vivre en paix dans un équilibre où chacun apprenait de l'autre. Il demeure difficile de juger avec l'oeil d'aujourd'hui les agissements d'intervenants du XVIIe siècle. Le rapprochement que Champlain souhaite avec les peuples indiens est-il mu par l'humanisme ou par la stratégie militaire ? Quoiqu'il en soit, le regard que porte Fisher sur le parcours de Champlain demeure essentiel et je ne peux que remercier l'ami qui m'en a suggéré la lecture.

De 1599 à 1633, il traversa l’Atlantique au moins vingt-sept fois et fit des centaines d’autres voyages sans jamais perdre un navire. [D.H.F]

Après les délires de la rectitude politique, la haine idéologique, le multiculturalisme, le postmodernisme, le relativisme historique et les manifestations les plus extrêmes du cynisme universitaire, les historiens aujourd’hui redécouvrent les fondements de leur discipline avec une foi nouvelle dans les possibilités du savoir historique, et ce, avec des résultats surprenants. [D.H.F]

Samuel de Champlain sut maintenir des relations étroites avec de nombreuses nations indiennes tandis qu’il fondait des colonies européennes permanentes dans le Nouveau Monde. Il vécut parmi les Indiens et passa une bonne partie de son temps avec eux, tout en contribuant à l’essor de trois populations et cultures francophones : les Québécois, les Acadiens et les Métis. [D.H.F]

 

dimanche 7 février 2021

Montaigne - Stefan Zweig

Hélas, le propre des Essais, depuis quatre siècles et demi, est que chacun y trouve ce qu’il y cherchait. [Olivier Philipponnat, En préface]

Que voilà un magnifique complément d'Un été avec Montaigne d'Antoine Compagnon que j'ai lu avec joie et curiosité il y a quelques années. Depuis ce moment, je ne rate pas une occasion de me frotter aux idées de Michel Eyquem, sieur de Montaigne (que ce soit par les écrits ou via les passionnantes émissions des Chemins de la philosophie). Je ne connaissais pas encore l'écriture de Stefan Zweig, j'ai donc trouvé là une porte d'entrée dans son oeuvre multiple et foisonnante faite d'essais, de biographies et de romans. J'y ai trouvé une écriture agréable et coulante qui encourage à persévérer dans cette exploration. Montaigne est à la fois essai, biographie et compte-rendu personnel de Zweig sur sa rencontre avec l'oeuvre du philosophe et humaniste de la Renaissance. Ma lecture m'a ouvert à un nouveau regard sur Montaigne et m'incite, par la rencontre de Zweig, à d'autres projets et découvertes en lecture.  

Il est quelques rares écrivains accessibles à tout âge et à toute époque de la vie – Homère, Shakespeare, Goethe, Balzac, Tolstoï – et d’autres qui ne dévoilent toute leur portée qu’à un certain moment. Montaigne est de ceux-là. [S.Z.]

[...] un homme du milieu, un homme du lien, tournant ses regards de tous côtés sans préjugé, dénué d’étroitesse à tous égards, un libre penseur * et un citoyen du monde *, un esprit libre et tolérant, fils et citoyen non d’une race et d’une patrie, mais citoyen du monde par-delà les pays et les époques. [S.Z.]
Ce que cherche Montaigne, c’est son moi intérieur, lequel ne doit appartenir ni à l’État, ni à la famille, ni à l’époque, ni aux circonstances, ni à l’argent, ni aux possessions matérielles, ce moi intérieur que Goethe appelait la « citadelle » et où il ne laissait pénétrer personne. [S.Z.]

Montaigne loue comme principal avantage des livres leur capacité à stimuler, par leur diversité, sa faculté de jugement. La lecture l’incite à répondre, à exprimer sa propre opinion. Ainsi prend-il l’habitude d’annoter les ouvrages, de souligner, puis d’inscrire à la fin la date à laquelle il les a lus, parfois aussi l’impression qu’il en a retirée à ce moment-là. [S.Z.]

Appréciation : 4/5

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Compagnon

Antoine

Un été avec Montaigne 

27/01/2014

Bakewell

Sarah

Comment vivre ? : une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse 

25/01/2016

jeudi 2 juillet 2020

Un automne de Flaubert - Alexandre Postel

À son entrée dans Concarneau, Flaubert crève de sommeil et de faim. [A.P.]
Après Le vol de la Joconde ou Marx dans le jardin de Darwin, notamment, je poursuis mes lectures d’œuvres où l’auteur s’inspire de faits véridiques et historiques pour créer une trame, des dialogues, des moments qui n’ont peut-être pas existé dans la fenêtre d’espace-temps que nous occupons, mais qui, on peut imaginer, occupent une place dans l’un ou l’autre des univers parallèles créés par diverses bifurcations de la réalité. Cette fois-ci, c’est Alexandre Postel qui nous fait vivre l’une des dernières saisons de Gustave Flaubert. Il est las, inquiet par certains problèmes financiers, en panne d’écriture, sa santé est fragile, il demeure triste, mélancolique. Il quitte vers la mer, pour s’y baigner et partager de bons moments avec son ami Georges Pouchet, un naturaliste qui a monté, à Concarneau, un petit laboratoire de dissection d’animaux marins.
Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. [A.P.] 
Flaubert s’abandonne, puis, au gré des marches et des baignades, une certaine énergie semble revenir. Elle fait revivre les idées qui lui permettront de se remettre à l’écriture d’un conte, au moyen d’ajouts et de corrections multiples. Ce sera donc les premières versions de La Légende de saint Julien l'Hospitalier et un retour sur l’histoire des deux bonshommes que sont Bouvard et Pécuchet.
Son pas est lent, son souffle court, et son esprit, loin de s’ouvrir aux forces et aux flux du monde, se resserre sur les menus accidents du chemin, une racine glissante, une roche instable, une ronce à écarter. [A.P.]
Postel rend avec grâce ces instants dans la vie de Flaubert et son écriture permet de nous plonger nous-mêmes dans ces moments bretons, sentir l’air salin et voir l’inspiration renaître sous la plume du maître.

Appréciation : 4/5

dimanche 10 mai 2020

Le vol de la Joconde - Dan Franck

L’histoire commence un matin, dans les premières années du XXe siècle, à la terrasse d’un café, Dôme ou Rotonde selon l’inclinaison du soleil. [D.F.]
En 1911, la Joconde disparaît du Musée du Louvre. Un vol a été commis. La Mona Lisa ne reprendra sa place que deux ans plus tard. Dans l'intervalle, une enquête s'anime, mais l'objet de ce roman n'est pas tellement cette enquête, c'est plutôt l'impact que cela aura sur une certaine société artistique marginale de Paris. Guillaume Apollinaire, dont l'une des relations avait déjà trempé dans la disparition de statuettes ibériques qui étaient en montre au même Louvre quelques années plus tôt, craint que des soupçons soient portés sur lui, d'autant plus que, comme son ami Pablo Picasso, il est d'origine étrangère (il est né en Italie de parents polonais). S'amorce ainsi un joyeux périple dans le Paris de ce début de siècle. Les deux lurons que sont Apollinaire et Picasso visitent à tour de rôle leurs amis et connaissances du milieu et cherchent désespérément un coin où cacher leur valise contenant les deux statuettes ibériques qui avaient inspiré Picasso pour Les Demoiselles d'Avignon. On croisera ainsi le Douanier Rousseau, Alfred Jarry, Modigliani et Gertrude Stein parmi tant d'autres. On s'insèrera dans des lieux mythiques comme le Bateau-Lavoir et on se frottera avec bonheur au vécu de cette grandiloquente bohème parisienne. Voici donc un roman qui, bien qu'il soit court, s'imprègne de belle façon et avec un sourire complice dans l'imaginaire de notre bibliothèque personnelle.

Appréciation : 4/5

samedi 14 mars 2020

Marx dans le jardin de Darwin - Ilona Jerger

Charles, au moment où il aperçut ces trois silhouettes près de la clôture, était en train de réfléchir à ce que pouvait ressentir un Accenteur mouchet, Prunella modularisquand il copule en un dixième de seconde plus de cent fois par jour. [I.J.]
En 1881, Charles Darwin a 72 ans, il habite la campagne voisine de Londres et sa santé est précaire. L'Origine des espèces publié il y a plus de 20 ans en a fait un homme célèbre. Ses théories ont été notamment reprises par les libres-penseurs de l'époque qui y voient une démonstration scientifique de l'inexistence de Dieu. Darwin ne va pas si loin même si ses croyances chrétiennes sont depuis longtemps ébranlées.

En 1881, Karl Marx a 63 ans, il habite un quartier populaire de Londres et sa santé est précaire. Philosophe, théoricien des mouvements ouvriers, historien et économiste, il a publié le premier tome de son oeuvre majeure, Le Capital. Il connaît l'oeuvre maîtresse de Darwin pour l'avoir lu et établit un rapprochement avec le matérialisme historique

Ilona Jerger, auteure allemande, a trouvé dans ce hasard de l'histoire le sujet de son premier roman. Elle imagine donc un lien entre ces deux grands personnages. Ce lien s'inscrit sous les traits du Dr Beckett qui visite l'un et l'autre pour veiller sur l'évolution de leur état respectif et qui se met à rêver à l'organisation d'une rencontre entre les deux esprits que sont Marx et Darwin. Au-delà de Beckett, c'est l'auteure et nous, ses lecteurs, qui souhaitons cette improbable rencontre, ce choc entre science et théorie politique.

Ainsi, l'imagination d'Ilona Jerger est au service d'un nouveau regard sur la fin de vie de ces deux initiateurs de révolutions. Les biographies s'entrecroisent avec le roman et des débats d'idées en naissent. L'auteure, dans une annexe bienvenue, fait la part des choses et établit ce qui repose sur la réalité et ce qui est de son cru.

Voilà une lecture qui a été fort agréable.
Puisqu'il se plaignait de douleurs de part et d'autre de l'épigastre, juste sous les côtes, le Dr Beckett lui palpa plusieurs fois l'hypocondre, sans rien trouver de pathologique. [I.J.]

Appréciation : 4/5 

lundi 24 juin 2019

Les parapluies d'Érik Satie - Stéphanie Kalfon

On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. [S.K.]
J’étais curieux de lire ce premier roman de l’auteure Stéphanie Kalfon, les critiques lues m’avaient tenté. L’aspect musical de son écriture m’intriguait. Et puis, j’ai été séduit. Lu en bonne partie en ayant aux oreilles diverses interprétations des oeuvres connues ou moins connues de Satie, j’ai en effet pu apprécier l’incursion de la forme musicale dans l’oeuvre écrite, comme Satie insérait lui-même des images littéraires dans ses annotations d’interprétation.

Stéphanie Kalfon m’a fourni la meilleure description de son oeuvre alors qu’elle voulait évoquer la dernière chambre de Satie et l’état dans lequel ses amis l’ont découverte :
Les coulisses d’un homme libre et musical, né pour créer et non pour vivre. [S.K.] 
Voici une oeuvre d’une grande sensibilité qui, à la manière des pièces de Satie, fait vibrer des cordes qu’on ne soupçonnait pas, nous fait découvrir un être énigmatique, hypersensible et éternel enfant. Voilà donc un roman biographique, un hommage qui prend le rythme de la joyeuse mélancolie chère à Satie.
Satie doit choisir entre sa musique ou sa mélancolie. [S.K.] 
Je me dégoûte de plus en plus, car je vois bien que je suis né à mon époque [...] [S.K.]