mercredi 20 octobre 2021

Le vicomte pourfendu - Italo Calvino

On faisait la guerre aux Turcs. [I.C.]

J'ai savouré ce petit conte de la même façon délicieuse que les deux autres volets de la série Nos ancêtres de Calvino. Voilà un conte ancestral et moral. Une morale qui ne se prend pas la tête, mais une morale tout de même. Un conte sur les deux faces de l'être. Un conte sur les parties et le tout qui se porte mieux que l'ensemble de ses parties. [Septembre 1992]

Si, à ma première lecture, en 1992, je considérais Le vicomte pourfendu telle une oeuvre morale, je pourrais dire aujourd'hui qu'il s'agit d'un conte philosophique à la manière de Voltaire que je n'avais pas lu à l'époque. Ce vicomte, séparé en ses deux moitiés par un acte de guerre, nous expose sa double nature, son ambivalence envers le bien et le mal et les excès de l'un comme de l'autre, et cela est fait avec une plume parfois cynique parfois ironique, mais toujours merveilleusement tenue par Calvino.

Il s'agit ici d'une nouvelle traduction de cette oeuvre maintenant classique. Toutefois, il y a un tel écart de temps entre mes deux lectures que je ne peux dire en quoi la nouvelle traduction diffère de la première.

Si jamais tu deviens la moitié de toi-même, et je te le souhaite, mon garçon, tu comprendras des choses qui vont au-delà de l’intelligence commune des cerveaux entiers. Tu auras perdu la moitié de toi et du monde, mais la moitié qui te restera sera mille fois plus profonde et plus précieuse. [I.C.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Calvino

Italo

La journée d’un scrutateur 

17/06/2016

Calvino

Italo

Si par une nuit d’hiver un voyageur 

27/01/2016

 

mercredi 13 octobre 2021

La grande vie - Jean-Pierre Martinet

Et Madame C. se tournait alors vers moi, elle me disait qu’elle avait peur de mourir étouffée ici, dans cette loge minuscule, qui lui laissait juste la place de respirer, entre ses plantes vertes et les photos en couleur de Luis Mariano […] [J.P.M.]

La lecture de Martinet m'a été suggérée par une lectrice de la famille, lectrice que je remercie ici. J'accueille évidemment les suggestions avec bonheur même si, à cet égard, il peut m'arriver d'entretenir une attitude proche de celle qu'énonce Denis Lavant en préface de La grande vie : « Car si j’aime toujours recevoir un ouvrage inconnu, je rechigne parfois à être orienté trop ouvertement dans le choix de mes lectures. Préférant par habitude m’en remettre au hasard ou au seul ricochet poétique qui fait qu’un ouvrage en répercute d’autres et ainsi de suite comme une chambre d’écho ou un jeu de miroir, à l’infini… ».

J'avais été avisé, Martinet a une plume magnifique, mais une plume noire, une plume qui chamboule, une plume qui tourmente. Dans cette grande nouvelle, Adolphe, employé des pompes funèbres, un nain à la vie misérable, à la sexualité qui l'est tout autant, au passé familial trouble, fantasme sur les visiteuses du cimetière qu'il observe depuis son appartement. Il subit les avances de l'énorme Madame C., concierge à la sexualité insatiable qui le domine. C'est cet univers glauque que Martinet évoque en nous transposant dans la tête du narrateur, cet Adolphe qui peine à se relever et qui chemine sa vie à la limite du burlesque.

Voilà une étonnante lecture et je me promets bien d'explorer davantage l'oeuvre qui m'apparaît noire et pessimiste de Martinet.

Ma règle de conduite était simple : vivre le moins possible pour souffrir le moins possible. Pas très exaltant, peut-être, comme précepte, mais très efficace. Essayez, vous verrez. [J.P.M.] 

La vie ne m’avait jamais paru aussi lente et atroce. Terrifiante. Le ciel prenait une vilaine couleur de foie de veau avarié. [J.P.M.] 

dimanche 10 octobre 2021

Le Scribe - Célia Houdart

Les yeux du douanier restèrent un moment fixés sur les lignes du passeport qui n'étaient pas écrites en anglais. [C.H.]

À ma première visite à Paris, je déambulais dans les rues du centre de la ville impressionné par la présence de nombreuses artères portant des noms à la mémoire de mathématiciens, il semble qu'il y a près de cent voies de Paris ainsi nommées. Bien que mon voyage n'avait rien de mathématique, j'avais l'impression d'être au coeur d'une partie importante de l'histoire de la recherche en ce domaine. Peut-être que Chandra, le jeune mathématicien indien qui est le protagoniste de ce roman, se sentait-il ainsi en abordant l'Institut-Henri-Poincaré, cet antre de la recherche mathématique sur la montagne Sainte-Geneviève ?

Dans le même voyage, je ne pouvais passer outre Le Musée du Louvre. Attiré particulièrement par les antiquités égyptiennes, j'avais hâte d'être devant Le Scribe accroupi  dans lequel je me reconnaissais quelque peu en raison de mes compétences mathématiques comme mon statut de fonctionnaire ou mon intérêt pour l'histoire... J'aurais aimé l'observer autant qu'a pu le faire Chandra.

Ce roman est construit sur deux sphères, celle de Chandra à Paris qui tourne autour de l'IHP et de la Sorbonne, une sphère qu'on pourrait apparenter à un roman initiatique, celle qui fait référence parfois au monde de la recherche mathématique (et à l'incomparable collection de modèles mathématiques de l'Institut) ; et puis celle de l'univers que Chandra a quitté, à Calcutta, ses soeurs, sa famille, une usine de traitement de l'eau où son père travaille et la situation environnementale.

Au coeur du roman, dans cette tranche de vie de ce jeune mathématicien, on trouve l'écrit, le message, la trace laissée pour les générations qui viennent. J'ai aimé même si je m'attendais à un roman où l'univers mathématique serait plus présent.

- Combien de lignes de définition faut-il pour écrire la démonstration de l'intégrale de Riemann ? Il y eut un silence. Dans les premiers rangs, un étudiant répondit : 42. [C.H.]  

Chandra regardait le long des berges les canards qui dormaient au soleil. Leur tête vert émeraude ou beige tacheté de brun était enfuie dans leur plumage soyeux. Ils formaient des virgules au bord de l'eau. [C.H.]

vendredi 8 octobre 2021

Spinoza encule Hegel - Jean-Bernard Pouy

Le cadavre est au bord de la route, une de ses mains est prise dans le bitume gluant.  [J.B.P.]

Un polar déjanté où des factions philosophico-idéologiques s'affrontent dans un décor post-apocalyptique, voilà ce que nous trace Jean-Bernard Pouy, et cela de magnifique façon. Nous sommes ainsi plongés dans un univers étrange, une Phrance éclatée qui exhume les groupuscules politiques de mai 68 pour les transcender en une version à la fois punk et philosophique. On y verra la Fraction Armée Spinoziste s'en prendre aux Jeunes Hegeliens et c'est au moyen d'une improbable émission radiophonique que les défis sont lancés. C'est Julius Puesh, alias Spinoza, qui est le moteur central, le protagoniste, de cette invraisemblable fable. C'est chaussé de ses bottes de lézard mauve qu'il déambule à travers ses amours maladroites et les combats inachevés dans cette sphère où l'ordinaire est une denrée rare et la révolution permanente.  La langue de Pouy est tout à fait celle qu'il fallait pour décrire ce constant marasme éthique.

Je décidai d’attendre un peu ; regardant, vide, le paysage qui l’était aussi. [J.B.P.] 

Sur la chaussée, le va-nu-pieds me dit : — La poésie est la plus grande des stratégies !  [J.B.P.] 

Gloire à ceux qui perpétuent le degré zéro de la mythologie moderniste ! [J.B.P.] 

C’était la phase finale. Ultime. Merveilleuse. Blanche et étincelante comme le chapitre final de Gordon Pym.  [J.B.P.]

Ce n’est pas l’idéologie signifiée qui nous pousse au meurtre organisé, mais plutôt l’idéologie signifiante. Pour certains, cela dévalorise nos luttes, pour nous, c’est la seule justification. [J.B.P.]

Le grand merdier avait produit des mutations imprévisibles. [J.B.P.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi  :

Pouy

Jean-Bernard

La petite écuyère a cafté 

17/04/2015

Pouy

Jean-Bernard

Spinoza encule Hegel 

29/11/2015



mercredi 6 octobre 2021

Les buveurs de lait sont des mutants et autres révélations étonnantes de la biologie - Guy Drouin

Pendant des millénaires, les êtres humains ont eu recours aux mythes pour expliquer le monde qui les entourait. [G.D.]

Cet été, j'ai été confronté à cette lecture biologique, un ouvrage de vulgarisation sur l’évolution, la génétique et leurs effets parfois surprenants. J'ai lu Les buveurs de lait sont des mutants et autres révélations étonnantes de la biologie de Guy Drouin. J'y ai pris beaucoup de plaisir, un plaisir lié à la découverte, à l'apprentissage de nouvelles connaissances. C'est un ouvrage présenté comme un texte de vulgarisation teinté d'humour. Disons que l'humour est assez secondaire, mais cela n'en constitue pas l'objectif. En ce qui concerne la vulgarisation, il m'a semblé que l'auteur était parfois avare d'images pour bien faire passer ses idées et les concepts qu'il nous présente. Je suis assuré n'avoir pas été le seul à être largué dans quelques passages. Puis, bizarrement, alors que c'est un ouvrage qui porte principalement sur l'évolution et que l'auteur nous invite plus d'une fois à considérer l'aspect fondamentalement aléatoire de ce processus d'évolution, il se laisse aller dans quelques phrases, dans quelques paragraphes, à donner à l'évolution un pouvoir de décision ou un sens allant vers une fin, vers un objectif.

[L’évolution] doit procéder en modifiant ce qui existe tout en s’assurant que les changements apportés ne sont pas délétères. [G.D.]
Étant donné que cette mutation s’est produite il y a environ 30 000 ans et que le climat en Asie de l’Est était chaud et humide à cette période, il est possible qu’elle ait été sélectionnée pour mieux résister à la chaleur. [G.D.]

J'avoue que cela m'a troublé, même s'il ne s'agissait probablement que de simple abus de langage. Un texte de cette nature devrait, selon moi, faire bien attention à ne pas suggérer ce type d'idées et en revenir systématiquement au hasard et à la nécessité.

Le temps est donc venu de reléguer les réponses de nos diverses religions au statut de curiosités historiques et politiques. Ce sont des hypothèses qui ne sont pas testables, ni nécessaires. [G.D.]