dimanche 8 septembre 2024

L'origine des larmes - Jean-Paul Dubois

Il pleut tellement. Et depuis tant de temps. Des averses irréversibles qui semblent surgir de partout, la nuit comme le jour. [J.P.D.]

Il pleut beaucoup dans L'origine des larmes. En cette année 2031, les dérèglements climatiques se sont établis à terme et cela dresse, pour le roman de Dubois, un paysage anxiogène. Paul, le personnage fétiche de l'auteur, solitaire et mélancolique comme il se doit, a envers son père un tel ressentiment qu'il abat son corps déjà inanimé dans une morgue à Toulouse. Un juge le condamnera à un an de prison avec sursis et obligation de suivre une thérapie pendant cette année. C'est donc en suivant le cours des séances mensuelles de Paul avec le docteur Guzman qui, par ailleurs, souffre de conjonctivochalasis qui fait pleurer sans répit son œil droit, que s'étalent l'histoire, la vie et les épanchements du principal intéressé. On reconnaît la plume de l'auteur qui, dans ce registre psychanalytique, se permet des digressions, des parenthèses et des écarts toujours invitants. Et les thèmes inhérents à l'œuvre de Dubois, le rapport au père, la mort et la perte, s'inscrivent encore avec un soupçon d'ironie dans ce roman qu'on pourrait qualifier de tragi-comique. 

[...] la justice des hommes ressemble au Saint-Laurent, ce fleuve inexorable qui marche et avance à pas lents. [J.P.D.] 

Il était une aberration mathématique, un barbarisme de calcul, un dénombrement surnuméraire. [J.P.D.] 

Par principe j’évite de rentrer dans les églises, mais passer devant celle-ci, regarder les emboîtements de son existence, les approximations des hommes, m’assouplit toujours l’humeur. [J.P.D.] 

2032. Généralement, je fais cela le soir du premier de l’an. Un examen rituel des propriétés du nombre de l’année. Cette fois je procède avec quarante-huit jours de retard. C’est la première fois. La première fois aussi qu’une année me déçoit autant. 2032 n’est pas un nombre premier, ni un nombre de Fibonacci, ni de Bell, ni de Catalan, ce n’est pas une factorielle, ni un nombre régulier, ni parfait, ni polygonal. L’année possède cinq facteurs premiers et dix diviseurs positifs. Ses moyennes : arithmétique : 396,8 / géométrique : 45,077710678339 / harmonique : 5,1209677419355. Je ne peux rien de plus pour lui. C’est un nombre ingrat voué à finir en poussière dans les caves du temps. [J.P.D.]

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mercredi 4 septembre 2024

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux - Robert Bober

Si je préfère de beaucoup l’autobus au métro – et je choisis alors une place sur la plate-forme –, c’est encore à pied que j’aime le mieux me déplacer. [R.B.]

De Robert Bober, je ne savais que peu de choses, qu'il avait été un collaborateur de Perec dans le projet de Récits d'Ellis Island, qu'il avait été réalisateur au cinéma et, au détour d'un balado de France-Culture, j'ai pu découvrir quelques-unes de ses lectures (Dans la bibliothèque de Robert Bober). Le hasard aura fait que le premier roman de Bober que je lise soit On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. Et que cette lecture suive de près celle de Le nom sur le mur d'Hervé Le Tellier. En fait, il s'est présenté, entre ses deux lectures successives, un effet de résonance que j'aime bien déceler. Le Tellier évoque Henri-Pierre Roché car ce dernier aurait, en 1941, amorcé l'écriture de Jules et Jim, le roman dont Truffaut aura fait plus tard l'adaptation, à Dieulefit dans la Drôme où André Chaix perdra la vie en 1944. Le roman de Bober se déroule à une autre époque, au début des années soixante, et il s'ouvre sur l'opportunité qu'a Bernard, le narrateur, de faire de la figuration dans le prochain film de Truffaut, Jules et Jim. Il n'en fallait pas plus, je devrai placer le roman de Roché dans ma liste de livres à lire et le film de Truffaut dans celles des films à revoir.

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux nous guide dans les rues de ce Paris des années soixante, mais aussi dans les souvenirs du narrateur, dans ses découvertes au hasard de conversations, dans la nostalgie d'un passé révolu, d'un passé qui hésite à se dévoiler, dans l’histoire qui émerge parfois de l’oubli. Par certains aspects et quelques thèmes, cette écriture rappelle celle de Patrick Modiano et, quant à moi, cela n'est pas pour déplaire. Voilà un roman à lire en ayant en tête les photographies de Doisneau et en musique de fond un classique de jazz manouche. 

« Que dois-je devenir ? — Un curieux. — Ce n’est pas un métier. — Ce n’est pas encore un métier. Voyagez, écrivez, apprenez à vivre partout. L’avenir est au curieux de profession. » [Extrait de Jules et Jim

C'est toujours beau, la poésie. Un jour, j'ai compris que je lui devais tout. Parce qu'avec la poésie, on peut tout dire. Il suffit de prendre rendez-vous. [R.B.] 

dimanche 1 septembre 2024

Le nom sur le mur - Hervé Le Tellier

Je cherchais une « maison natale ». [H.L.T.]

Le narrateur, l’alter ego de l’auteur, se met à la recherche d’une maison dans la Drôme. Sur le crépi d’un mur de la maison qui l’accueille, un nom, celui d’André Chaix né en 1924, mort en 1944. Voilà l’amorce de ce roman en forme d’enquête, une incursion dans la brève vie du maquisard qu’aura été André Chaix, militant des Forces françaises de l'intérieur. Voilà une reconstitution, à l'aide de quelques photos, témoignages, menus objets et extraits de journaux, du parcours d'André, de sa relation avec Simone qui devait l'accompagner au cinéma, de son engagement, jusqu'aux mouvements militaires qui causeront sa mort. C'est, sans être une biographie historique ni un essai, l'évocation d'un temps, et l'auteur se permet de transmettre ses sentiments, ses craintes et ses colères face à l'horreur de cette période. Le nom sur le mur est un récit respectueux et Le Tellier réussit à provoquer en nous l'émotion qu'il a pu ressentir lors de cette enquête et à la remémoration des souvenirs qui en émergent. 

Quand un événement fait basculer notre existence, c'est souvent des années plus tard qu'on en prend la mesure. J'ai été éjecté de l'enfance par un film, Nuit et brouillard d'Alain Resnais, vu au ciné-club du lycée. Les images de ces monceaux de cadavres charriés dans des fosses par des bulldozers m'interdisaient soudain l'insouciance. J'avais douze ans et je n'étais plus que questions et colère. J'ai trouvé certaines réponses. La colère, la rage, même, ne sont jamais retombées. Il est bon qu'elles restent intactes. [H.L.T.]

On connaît, de l'autre côté du Rhône, en Haute-Loire, Le Chambon-sur-Lignon, autre bourg de trois milliers d'âmes [...], et les époux Trocmé, fondateurs de « l'école nouvelle cévenole » : le réseau informel du pasteur Trocmé accueillit et cacha plus de trois mille réfugiés, dont un tiers de Juifs. Parmi eux, il y eut l'écrivain André Chouraqui, l'historien Léon Poliakov, et le futur génie mathématique Alexandre Grothendieck, dont le hasard a voulu que je croise le chemin trente ans plus tard, lorsque j'avais moi aussi dix-sept ans. [H.L.T.]

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mercredi 28 août 2024

Parlons philosophie - Normand Baillargeon

Au printemps 2024, Normand Baillargeon regroupait un ensemble d'entretiens qu'il avait mené entre 1994 et 2010 auprès de figures marquantes de la philosophie et de la pensée contemporaine, principalement anglo-saxonne. L'auteur y voyait l'occasion de faire connaître des œuvres, des idées, qui ont participé aux réflexions sur la philosophie analytique, sur l'éthique et la politique, sur la pensée critique et, de façon générale, sur la société. Si certaines entrevues me sont apparues un peu trop spécialisées pour quelqu'un qui n'est pas du domaine, la plupart étaient accessibles et ouvraient la porte à d'autres questions, d'autres curiosités, qui, j'imagine, pourraient trouver réponse dans les divers textes placés en bibliographie après chacune des entrevues. Je connaissais quelques noms parmi les intervenants rencontrés par Normand Baillargeon, mais pour plusieurs, ce fut une première rencontre, peut-être un peu brève, mais suffisante pour prétendre susciter de prochaines lectures. 

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lundi 29 juillet 2024

La disparition d'Hervé Snout - Olivier Bordaçarre

De Gabin, dont on venait de fêter le quatorzième anniversaire, Nadine, sa mère, disait qu’il était un beau-jeune-homme-maintenant, et elle lui resservait une part de pâté à la viande avec des patates rissolées comme il les aimait, et elle lui arrangeait son lit chaque matin après avoir ouvert la fenêtre pour aérer un peu, et elle venait déposer un baiser sur ses cheveux blonds quand il était enfoui dans le gros fauteuil de fourrure synthétique devant un épisode de Plus belle la vie, tandis qu’Alain, son père, moins démonstratif, prouvait son amour à son fils en dirigeant des stages réparation de scooter des dimanches entiers ou en lui offrant une vraie canne à pêche professionnelle. [O.B.]

Hervé Snout est directeur d'abattoir. On le connaitra par sa famille un brin dysfonctionnelle, mais la famille d'un directeur d'abattoir peut elle ne pas présenter de trouble? On le connaitra par ses agissements dans les jours qui ont précédé sa disparition. On le connaitra par son inquiétante relation avec son personnel. On le connaitra par les yeux de son fils Eddy, brutal et plein de certitudes. On le connaitra par les contestations adolescentes de sa fille. On connaitra les aléas de son couple avec Odile dont « les rondeurs harmonieuses [...] ne sont pas sans générer de franches convoitises, tant de la part des hommes que des femmes» Et puis, il y a une bascule qui fait tourner ce roman social en un roman noir. Il y a cette disparition dont la résolution s'incarne dans une scène indescriptible et, entrainé par l'auteur, on se voit inscrit dans une tourmente où les différences de classe, l'absurdité du travail en usine, les écarts à la moralité et à l'éthique nous propulsent ailleurs, dans une abominable réalité.

Mais ce roman qui porte un regard tragique et pessimiste sur la société use de procédés littéraires que n'aurait pas reniés Georges Perec que l'auteur remercie pour tout, et, « en modeste hommage, ce roman ne comporte pas un seul w !». Perec inspire les descriptions minutieuses des lieux, la cartographie avec moult détails des scènes et des tableaux, le portrait topographique du décor. Et puis, il s'insère au gré de la narration dans des allusions aucunement cryptées.

Voilà donc une fable sociale, noire et saignante qui demeure dans mes lectures de choix des derniers temps.

La cuisine est à la fois cabine de pilotage, salle des machines et pièce de vie collective. Théâtre des amours et des conflits familiaux, elle est au cœur des existences, elle les jalonne, elle façonne l’architecture des journées, leur début, leur milieu, leur fin et, par ses fonctions élémentaires, l’alimentaire et le social, elle inscrit ses utilisateurs dans une norme rassurante parce que universelle. [O.B.]

D’autres décorations sont suspendues à des crochets : un attrape-rêves (Tara les note tous dans un cahier qu’elle appelle sa boutique obscure), un mobile de cailloux, une peluche de fête foraine, trois tirages papier de photographies d’elle avec sa copine Leïla retenus par des minipinces à linge le long d’un bout de ficelle. [O.B.] 

Nadine et Alain, pense aux parties de pêche avec Gabin, pense à ton petit vélo à guidon chromé au fond de la cour.  [O.B.]

Il est dans les 18 h 30 quand la vieille dame descend du bus et s’engage dans la rue Simon Crubelier.  [O.B.]

Natacha et les choses ; Natacha à la terrasse de la Clôture. [...] Natacha dans une espèce d’espace ; Natacha la Revenante ; Je me souviens de Natacha. [O.B.]