mercredi 9 mars 2022

La plaisanterie - Milan Kundera

Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi. [M.K.]

La plaisanterie était ma première lecture d'un roman de Kundera... Non, je n'ai pas encore lu L'Insoutenable légèreté de l'être !  J'aurai donc commencé par son premier roman. Publié en 1967, juste avant le Printemps de Prague, plusieurs y ont vu un roman essentiellement politique. Évidemment, l'histoire, racontée par plusieurs intervenants sur un mode polyphonique, se déroule de l'après-guerre jusqu'à la période précédant immédiatement les événements de 1968 en Tchécoslovaquie, la tentative de libéralisation fortement réprimée par l'U.R.S.S. Si le régime alors en force constitue un cadre incontournable, il ne m'est pas apparu fonder l'essence même de ce qui est ici narré et exposé. Enfin, c'est ma lecture... 

J'y ai vu l'histoire d'une déchéance, d'un destin qui s'est faufilé derrière les rideaux de la scène avant qu'elle ne se joue, d'amours déçus, d'amours trahis, d'illusions perdues, l'histoire d'une réalité qui ne se laisse pas saisir, d'une vie détruite à partir de quelques mots. C'est, principalement, l'histoire de Ludvik Jahn, un jeune étudiant communiste, bien vu du système, qui, à vouloir se moquer en utilisant le second degré dans une carte postale, devient un ennemi du régime et sa vie est bouleversée. Il est relégué aux mines et au camp de redressement. Les personnages doutent, ont peur, partagent leurs espoirs et leurs regrets, mais, somme toute, ils ont peu de contrôle sur leurs parcours.  Pourrait-on dire qu'il s'agit là d'un roman psychologique ?

Je commençai à comprendre qu'il n'existait aucun moyen de rectifier l'image de ma personne, déposée dans une suprême chambre d'instance des destins humains ; je compris que cette image (si peu ressemblante fut-elle) était infiniment plus réelle que moi-même ; qu'elle n'était en aucune façon mon ombre, mais que j'étais, moi, l'ombre de mon image [...] [M.K.]  

[...] lire des vers, pour moi ce n'est pas seulement comme si je parlais de mes sentiments, mais comme si, ce faisant, je me tenais en équilibre sur un pied ; quelque chose de compassé, dans le principe même du rythme et de la rime, m'embarrasserait si je devais m'y abandonner autrement qu'étant seul. [M.K.]
 

mercredi 2 mars 2022

La machine de Pascal - Laurent Lemire

Rouen, automne 1642. La lumière pénètre peu dans cette petite chambre. Cela suffit à celui qui travaille. Dans ce clair-obscur il est à son aise. [L.L.]

À 19 ans seulement, Blaise Pascal conçoit un objet mécanique dédié au calcul arithmétique. Alors que les opérations se computaient à l'aide de jetons ou encore à la plume, Pascal, soucieux de libérer l'homme de cette tâche harassante, a inventé et fait fabriquer des machines capables d'additionner, de soustraire, de multiplier et de diviser des quantités. Voilà l'histoire que nous raconte Laurent Lemire. À travers elle, c'est Pascal qui nous est raconté. Ce sont ses réflexions théoriques pour mettre en œuvre dans une machine une traduction mécanique de la pensée. Mais, de la théorie à l'implémentation, de l'idée à la machine, du croquis à l'objet réalisé, plusieurs étapes se sont imposées, notamment celle de convaincre. 

Laurent Lemire nous offre donc un court et intéressant roman ou essai historique et biographique chargé de citations d'époque et de textes de Pascal dont ce précieux Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir. Voilà une épopée palpitante, mais qui m'apparaît quelque peu réductrice de l'œuvre scientifique de Pascal en la confinant autour de cette machine, quelque magnifique qu'elle soit. 

Le pari, c'est ce moment de basculement d'un homme qui comprend qu'il ne comprendra jamais, mais qui ne renonce pas pour autant à savoir davantage. [L.L.]

[...] j'expose au public une petite machine de mon invention, par le moyen de laquelle seul tu pourras, sans peine quelconque, faire toutes les opérations de l'arithmétique, et te soulager du travail qui t'a souvent fatigué l'esprit, lorsque tu as opéré par le jeton ou la plume. [Blaise Pascal dans Avis nécessaire à ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique, et de s'en servir

Il ne reste au monde aujourd'hui que neuf exemplaires de cette admirable machine, l'une d'elles était vendue comme une boîte à musique chez un antiquaire.



mercredi 16 février 2022

La métaphysique du mou - Jean-Baptiste Botul

Une représentation assez adéquate de la conscience pourrait, éventuellement, être : une sorte de balle vide, confectionnée en vannerie. Autrement dit, une sphère creuse, tissée en joncs flexibles mais résistants. [J.B.B.]
Que de grandes idées à découvrir encore dans l'œuvre de cet exceptionnel et atypique philosophe qu'est Jean-Baptiste Botul. Les enseignements de Botul ont laissé peu de traces sinon par des retranscriptions de conférences ou quelques extraits, notes ou correspondances. En effet, étant de tradition orale, il ne s'abaissait pas ou peu à l'écrit. Ici, c'est à travers des « bouts » spécifiquement retrouvés et retracés dans l'armoire de la maison familiale à Lairière par les Amis de Jean-Baptiste Botul que Jacques Gaillard a pu reconstituer les principales réflexions du philosophe sur la «mouité», concept créé en réaction presque physique à l'expression alors assez générale de la phénoménologie. De la valise à roulettes aux différents états du fromage, de l'Être, du néant ou du sein des femmes, Botul ne cesse de nous prendre de court dans ses envolées épistémiques. Il y déploie ce que Gaillard a nommé les Principes d'une philosophie du tiers systématiquement envisagé selon une note que Botul aurait laissée au verso d'un ticket de train « L'Être et le Néant ou alors quoi ? » . 
À la réflexion, le fromage est peut-être la substance qui dévoile le plus parfaitement (d'un point de vue phénoménologique) les degrés de la mouité, du mou-mou au dur-dur, négation dialectique du mou, au sens hégélien, évidemment. [J.B.B.]
Ce nouveau volume marque, dans l'édition des œuvres non-écrites de Jean-Baptiste Botul, une étape importante : c'est la première fois, à notre connaissance, que des « bouts » du penseur audois sont proposés aux lecteurs en tant que tels, c'est-à-dire en tant que « bouts ». Ainsi commence l'exploitation scientifique et littéraire du fonds exceptionnel découvert dans l'armoire de Lairière (Aude), dans la première et dernière demeure du philosophe, sous forme de liasses de documents divers. [L'éditeur]

__________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Botul

Jean-Baptiste

La vie sexuelle d’Emmanuel Kant

29/09/2021

Vacca

Paul

Nueva Königsberg

01/10/2021

 

vendredi 11 février 2022

Vertige de la liste - Umberto Eco

Pendant qu'Achille se retire avec dédain sous sa tente, en proie à sa « funeste colère », Patocle prend ses armes, va affronter Hector, qui le tue, et ses armes (celles d'Achille) sont remises à son vainqueur. [U.E.]

Cela prenait la curiosité et l'érudition d'Umberto Eco pour créer un répertoire aussi hétéroclite qu'intéressant que ce Vertige de la liste. 
On ne peut que s'extasier devant l'étalage d'énumérations, d'index, de catalogues, de répertoires, d'inventaires, de registres qui prennent bien sûr la forme écrite, mais qui se traduisent en une heureuse sélection d'oeuvres picturales de toutes les époques. Le vertige s'exprime alors au travers des représentations du Bouclier d'Achille, du Jardin des délices de Bosch, de cabinets de curiosités, de mappemondes éclatées, de bibliothèques étalées. C'est également la poétique de la liste que veut révéler Eco par des oeuvres littéraires tout aussi éclectiques et disparates. Entre des incontournables comme Perec, Borges ou Calvino, qu'on ne se surprend pas d'être de la fête, on trouve des litanies, des listes de lieux, des recensions, des revues, des inventaires de choses, des prières, des collections et des compilations, qu'elles soient chaotiques ou pratiques. On croisera des vociférations du capitaine Haddock, la tirade du nez d'Edmond Rostand, des récits merveilleux, des balades et des chants, et, comble de tout, cette liste, car c'en est une, se contiendra elle-même.

Devant cette exaltation de déclinaisons de la liste, je ne peux que repenser à une citation, une liste incongrue par excellence, l'énumération des animaux de l'encyclopédie chinoise L'Emporium céleste du savoir bienveillant, inventée par Borges lui-même. Elle m'a notamment été remise en mémoire à l'occasion d'une intéressante série de France-Culture reprenant les cours du collège de France : Les bibliothèques invisibles par le philologue William Marx.
Les animaux sont classés comme suit : (a) ceux qui appartiennent à l’Empereur ; (b) ceux qui sont embaumés ; (c) ceux qui sont dressés ; (d) les cochons de lait ; (e) les sirènes ; (f) les animaux fabuleux ; (g) les chiens errants ; (h) les animaux inclus dans cette classification ; (i) ceux qui tremblent comme s’ils étaient fous ; (j) les animaux indénombrables ; (k) ceux qu’on dessine avec un pinceau très fin en poil de chameau ; (l) et cetera ; (m) ceux qui viennent de casser le vase de fleurs ; (n) ceux qui, vus de loin, ressemblent à des mouches. [L’Emporium céleste du savoir bienveillant Jorge Luis Borges]
Je préfère les contes de Grimm aux premières pages des journaux. [Wislawa Szymborska, cité par U.E.]

_________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Eco

Umberto

Le Pendule de Foucault 

11/08/2016

Eco

Umberto

Numéro zéro

20/04/2017


 

dimanche 6 février 2022

Une sortie honorable - Éric Vuillard

“Il faut voyager”, écrivait Montaigne. “Cela rend modeste”, ajoutait Flaubert. “On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées”, renchérissait Taine. [É.V.]

D'Éric Vuillard, j'avais lu et apprécié L'ordre du jour qui narrait les moments qui avaient précédé l'Anschluss. Cela se situait dans une zone littéraire quelque part entre l'essai et le roman historique. C'est la même formule que Vuillard semble utiliser ici en s'engageant dans une description de quelques épisodes de ce qu'a été la guerre d'Indochine. Je ne sais si cela est dû à la relative proximité des faits, mais il m'apparaît que l'auteur s'aventure plus loin dans sa démarche et c'est presque un pamphlet qu'il nous livre avec ces récits d'événements. C'est, selon moi, le texte d'un militant qui, tout en adoptant les formes et les styles du roman, attaque de plein fouet la logique économique coloniale et les hommes qui l'ont porté. Je ne suis pas en mesure de critiquer ou de juger la valeur de ses arguments historiques. Bien que la part activiste de l'œuvre me soit apparue trop saillante, j'ai encore été en position de soupeser la qualité de son écriture et de ses effets. 

Chaque jour, nous lisons une page du livre de notre vie, mais ce n'est pas la bonne. [É.V.]
 _____________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi : 

Vuillard

Éric

L’ordre du jour

27/11/2017