dimanche 30 janvier 2022

Je m'en vais - Jean Echenoz

Je m’en vais, dit Ferrer, je te quitte. [J.E.]

Voilà un auteur qui m'intrigue. Je n'avais lu de lui que son dernier roman Vie de Gérard Fulmard, ce récit d'un parcours d'antihéros. J'aime la façon qu'utilise Echenoz pour me raconter des histoires et j'ai retrouvé cette manière avec Je m'en vais, un roman légèrement décalé, une fuite en avant ou au bout du monde, un roman où l'aventure est minimale, mais l'écriture optimale et légèrement teintée d'ironie. C'est autour de Ferrer, un artiste déchu reconverti en galeriste spécialisé en art contemporain, un cinquantenaire qui vit une rupture et des moments difficiles que s'articule la trame de ce roman. Entouré de collaborateurs peu éclatants, il envisage une possibilité de se refaire avec une quête nordique vers l'art inuit. Il ira sur place et dans le froid recueillir des oeuvres oubliées. Puis, au retour de ce périple, l'enchaînement déraille et le détour se fait plus long. C'est à travers des aventures amoureuses et les déboires d'une enquête que le protagoniste chemine sa vie et la fuit dans un même temps. J'ai aimé suivre ce parcours inhabituel et ma lecture aura été joyeuse et intéressée.

Soit un lapin terrorisé courant au point du jour à toute allure sur une vaste surface plane herbeuse. [J.E.]

Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d'objectif, la densité de l'air s'altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement jusqu'au soleil lui-même qui a une autre tête. [J.E.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi : 

Echenoz

Jean

Vie de Gérard Fulmard

09/06/2020

 

dimanche 23 janvier 2022

Le portrait de Dorian Gray - Oscar Wilde

Un artiste est un créateur de belles choses. [O.W.]

Un classique anglais, s'il en est. Depuis longtemps, je repoussais, je ne sais pourquoi, le projet de lire Le portrait de Dorian Gray. Le moment était venu, une impulsion a fait que je me plonge dans cet univers étrange, qui, par certains côtés, peut rappeler les univers qu'Edgar Allan Poe développe dans ses contes et ses histoires. C'est à l'adolescence que je découvrais Poe et j'étais fasciné par les mondes qu'il créait. Le portrait ovale fait partie de ces contes qui peuvent avoir laissé une certaine trace sur l'oeuvre de Wilde qui reconnaissait bien cette influence parmi d'autres. 

On a donc ici ce que d'aucuns pourrait appeler un conte philosophique. Il traite d'esthétique, de dandysme, d'hédonisme, de morale et de décadence. À l'époque, cela fit scandale. Aujourd'hui, cela demeure un témoin d'une période révolue. La forme utilisée par Wilde relève du roman fantastique, mais cela demeure tout de même au second plan.  La relation qu'entretient le jeune Dorian Gray avec son image bien sûr, mais aussi avec les personnages de Lord Henry et du peintre Basil Hallward, est au coeur de ce roman datant de l'époque victorienne. On se laisse facilement engager dans le tableau de ce monde étrange où la société avait des codes qui ne sont plus les nôtres, où le dandysme s'affichait pour contrer le conservatisme ambiant, où parallèlement on se permettait les réflexions les plus libres sur l'art et la réalité.

- Était-ce un paradoxe, demanda Mr Erskine. Je ne le crois pas. C'est possible, mais le chemin du paradoxe est celui de la vérité. Pour éprouver la réalité il faut la voir sur la corde raide. Quand les vérités deviennent des acrobates nous pouvons les juger. [O.W.]

[...] nous avons perdu la faculté de donner de jolis noms aux objets. Les noms sont tout. Je ne me dispute jamais au sujet des faits ; mon unique querelle est sur les mots :  c'est pourquoi je hais le réalisme vulgaire en littérature. L'homme qui appellerait une bêche, une bêche, devrait être forcé d'en porter une ; c'est la seule chose qui lui conviendrait... [O.W.]

Mais un ton de couleur entrevu dans la chambre, un ciel matinal, un certain parfum que vous avez aimé et qui vous apporte de subtiles ressouvenances, un vers d'un poème oublié qui vous revient en mémoire, une phrase musicale que vous ne jouez plus, c'est de tout cela, Dorian, je vous assure que dépend notre existence. [O.W.]




mercredi 19 janvier 2022

Monsieur Calvino et la promenade - Gonçalo M. Tavares

Du haut de plus de trente étages, quelqu'un lance par la fenêtre les chaussures de Calvino et sa cravate. Calvino n'a pas le temps de tergiverser, il est en retard : il se jette par la fenêtre, comme à leur poursuite. [G.M.T.]

Monsieur Calvino habite la partie ouest du « Bairro », il est, à n'en pas douter, un drôle de personnage. Le Bairro ou « le quartier » est un espace d'imagination et de papier créé par l'auteur portugais Gonçalo M. Tavares. Il y a déjà logé divers messieurs, Valéry, Brecht, Kraus, Breton, des écrivains, des dramaturges, des poètes et des scientifiques, chacun avec sa vision du monde, son angle particulier, sa perception et l'oeil que porte Tavares sur lui. On entre, semble-t-il, dans ce quartier invité par un personnage qui nous interpelle. Moi, ce fut Italo Calvino, je ne crois pas que cela soit surprenant.

Monsieur Calvino et la promenade est un hommage. La forme adoptée par Tavares, les contes courts, les rêves et la distance entre le narrateur et son objet d'observation sont tout à fait dans l'esprit de Calvino lorsqu'il relate les tranches de vie et les expériences que Monsieur Palomar entretient avec l'univers qui l'entoure. J'ai été séduit. Voilà un petit bijou littéraire dont la lecture a provoqué chez moi un sourire complice chaque fois que je retrouvais une façon de faire, une tournure calvinesque. Il est déjà entendu que je m'aventurerai à nouveau dans ce Bairro surréel pour rencontrer quelques voisins de Monsieur Calvino.

[...] il observe les gens qui se précipitent dans toutes les directions. Les rares personnes à ne pas se presser, celles qui s'arrêtent et discutent entre elles, parlent aussi de pourcentages : 30, non 37 ! Non, non, 32 ! Tout le monde se querelle et lui-même ne peut s'empêcher de se répéter : 43 %, au moins 43 % ! [G.M.T.]
La mémoire n'était pas un banal entrepôt bourré de vieilleries dont il aurait eu la clé. [G.M.T.]

Calvino, d'une certaine manière, ne se rappelait pas la nouveauté du lendemain - et cela le stimulait. Il oubliait ce qui allait survenir le jour suivant, et cet oubli - que l'on appelle vulgairement incapacité à prévoir l'avenir - constituait pour lui une sorte de référence existentielle. [G.M.T.]

Un jour, Italo Calvino, a rencontré son DOUBLE, dont le nom fut Palomar. [Jacques Roubaud en postface]
 

 


mercredi 12 janvier 2022

Algèbre, Éléments de la vie d'Alexandre Grothendieck - Yan Pradeau

Il n'a pas lu le tract qu'il tient à la main et ne le lira pas. Pourtant son nom y figure. [Y.P.]

C'est en quelques jours que j'ai parcouru avidement cette biographie romancée. Est-ce toutefois le bon terme pour parler de ce livre ? J'aurais plutôt tendance à utiliser "récit biographique". Quoiqu'il en soit, j'ai été happé par cette lecture qui me transportait dans la vie exceptionnelle d'un mathématicien français hors-norme, celle d'Alexandre Grothendieck. Son nom résonne peut-être un peu moins au Québec qu'en France, mais, dans le milieu mathématique, son apport à la science comme ses opinions extrêmes sont grandement réputés. Étudiant universitaire en mathématiques fondamentales dans les années 70, j'ai évidemment été marqué par l'influence du groupe Bourbaki, et donc par Grothendieck, la topologie algébrique, la théorie des catégories et toutes ces sortes de choses. Son refus d'aller recevoir en URSS la médaille Fields qui lui avait été décerné, ses positions politiques, notamment quant au financement militaire de la recherche mathématique ou physique ou son parti pris pour l'environnement, m'avaient alors impressionné. J'étais heureux de le croiser à nouveau et d'en apprendre plus sur son parcours grâce à ce court récit que nous offre l'auteur et enseignant en mathématique Yan Pradeau. Celui-ci réussit à présenter au monde les interstices d'un théoricien d'une intuition phénoménale, un penseur radical dans le domaine mathématique comme dans le domaine social et politique. Un immense travail de recherche et une écriture remarquable ont permis à Pradeau de dresser un portrait significatif du génie mathématique que demeurera Grothendieck. 

Khéops n'a bâti aucune pyramide de ses mains. [Y.P.]

La même année, à Besse-et-Saint-Anastaise, en Auvergne, naît un petit Nicolas qui deviendra, lui aussi, un grand mathématicien. De ses parents on ne sait rien, sauf qu'ils venaient d'une région oubliée du Caucase, la Poldévie. Bientôt sa route croisera celle d'Alexandre. Il s'agit de Nicolas Bourbaki. [Y.P.]

Un jour, Alexandre invoque un nombre premier pour les besoins d'une démonstration. "Lequel?" dit un auditeur. "Prenons le nombre 57 par exemple", lui répond Alexandre, et de continuer son exposé, comme si de rien n'était, en oubliant que 57 n'est pas un nombre premier. Cette anecdote porte la griffe du talent d'Alexandre, ses raisonnements ne s'appuient jamais sur des exemples. Depuis, 57 s'appelle "nombre premier de Grothendieck". [Y.P.]

"La société industrielle et la cellule cancéreuse partagent une même philosophie, celle de la croissance illimitée." [Alexandre Grothendieck] 

mercredi 5 janvier 2022

L'église de John Coltrane - Chad Taylor

Le casino d’Auckland tintait du même accord aigu, éclatant, que tous les casinos du monde. [C.T.]

Belle découverte que ce roman d'atmosphère! Attiré par la quatrième de couverture, le titre et l'illustration, je me suis procuré cet exemplaire dans une vente de livres de la bibliothèque. Il est demeuré patient sur une étagère chez moi jusqu'à ce que, je ne sais quel mouvement de ma part, le fasse émerger à nouveau et que l'envie de m'y plonger renaisse. Les derniers jours de l'année 2021 ont donc été consacrés à apprécier cette lecture. Certains pourraient le classifier sous la dénomination de polar, genre avec lequel il peut partager un certain type d'écriture. Pour ma part, j'ai trouvé que l'ambiance, le climat, la faune du General Building qui occupe un rôle important de ce roman s'attribuent l'essentiel de l'écriture et prennent le pas sur l'intrigue ou l'enquête que peut mener le protagoniste du roman. C'est suivant ce constat que je range ce livre sous l'appellation « texte d'atmosphère » bien que cette désignation n'ait rien de contrôlé et est on ne peut plus floue. Cela résume par contre assez bien l'état dans lequel je me trouvais à sa lecture, plus influencé par l'environnement mystérieux et énigmatique que par l'action. Et puis, par la bande, dans la démarche de cet architecte désabusé qui investit le passé de son père décédé, on croise le jazz classique, le père était critique et collectionneur de disques. Bien que cela demeure anecdotique, une corde sensible a vibré chez moi et j'entendais le sax de Coltrane.

Quand j’avais un album préféré je me le repassais indéfiniment. Je connaissais par cœur toutes les rayures et tous les craquements du disque, l’ordre exact des plages. Je ressentais la musique comme l’artiste l’avait voulu. [C.T.]
Il n’y a rien de neuf sous le soleil. En tout, il n’y a que cinq romans… tu savais ça? Huit notes de musique. Et six, peut-être sept sujets en peinture. Il n’y a jamais rien d’original. Ce n’est jamais qu’une appropriation, un reformatage, un réexamen selon le contexte du moment. [C.T.]