vendredi 17 novembre 2023

Joconde jusqu'à 100 : 99 (+1) points de vue sur Mona Lisa - Hervé Le Tellier

- Pourkoikelsouri ? dit Zazie
- J'en sais rien, moi, pourquoi, dit Gabriel. Tu peux pas admirer tranquillement comme tout le monde ?
[H.L.T.]

Un hommage à Raymond Queneau et à ses Exercices de style, un hommage particulier à une œuvre universellement reconnue en lui faisant subir le regard intéressé d'une centaine d'intervenantes et d'intervenants de tout acabit, voilà Joconde jusqu'à 100, cet écrit inclassable signé Hervé Le Tellier. De la coiffeuse de Mona Lisa à son avocat, de Marguerite Duras à Albert Camus, du logicien au psychanalyste, chacune et chacun livre son point de vue et on s'amuse avec l'auteur. On reconnaît la touche du Papou (Des papous dans la tête) aux petits bijoux d'humour que chacun des points de vue constitue. Je n'ose en dire plus pour vous laisser tout le plaisir de la découverte. 

 


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lundi 13 novembre 2023

1508. La traversée du vide - Étienne Beaulieu

C'est un livre un peu fou que tu tiens entre tes mains, qui sont peut-être douces ou calleuses, je ne sais pas. Il raconte l'histoire incertaine de maître Thomas Aubert, dont l'existence de brume et d'histoire se perd dans la mémoire. [É.B.]

1508. La traversée du vide aurait pu être un essai construit autour du mince fil que représentait ce que l'on sait d'un certain navigateur dieppois nommé Thomas Aubert, un navigateur qui aurait en 1508, 25 ans avant Cartier, exploré les rives de Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent et même, semble-t-il, ramené à Dieppe sept autochtones. Cela aurait pu être un essai mais la trame historique présentait des faiblesses importantes et l'auteur nous rappelle moulte fois le caractère nébuleux, flou, presque anonyme et sans visage de ce maître ès inexistence qu'est le capitaine de La Pensée, Thomas Aubert. On a donc plutôt droit à une fiction historique qu'on pourrait apparenter à de la littérature fantastique ou même lyrique avec un auteur qui intervient auprès du lecteur pour le prendre à témoin. Je dois avouer que, plus d'une fois, j'ai été dérouté. Entre l'enquête à Dieppe, les fresques oubliées, les cartes apocryphes et les personnages n'ayant laissé que peu ou prou de traces réelles sinon dans l'imaginaire historique, je me suis un peu perdu dans ce dédale. Et, finalement, je conçois qu'on puisse aborder cet ouvrage tel un exercice de poésie lyrique sur un thème se situant quelque part dans un creux de l'histoire. Je n'étais peut-être pas préparé à recevoir ce type de texte et si les envolées littéraires m'ont parfois distrait, j'ai tout de même tirer de cette lecture un certain plaisir à prendre connaissance de ce volet obscur du passé, ce récit transmarin qui émane de la brume s'amassant à l'ouverture du golfe du Saint-Laurent.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions Varia du Groupe Nota Bene pour l'envoi de ce texte dans le cadre d'une opération "Masse Critique 100 % québécoise".

mercredi 8 novembre 2023

Le plagiat par anticipation - Pierre Bayard

Le plagiat est aussi ancien que la littérature, à laquelle il rend indirectement hommage. [P.B.]

À chaque fois que j'aborde une nouvelle œuvre critique de Pierre Bayard, je redécouvre tout ce que le plaisir de la lecture me fait vivre et comment comme lecteur, avec mon histoire de livres lus, de livres connus ou même de livres que je n'ai pas lus, mais dont je peux parler, je teinte le livre que je lis, contribue à l'image que je m'en fais et collabore ainsi à sa création. C'est en 2009 que Bayard publie Le plagiat par anticipation. Il ne s'en cache pas, il n'est pas le créateur de ce concept déjà largement débattu par l'Ouvroir de littérature potentielle (l'Oulipo). En effet, les membres de ce groupe de chercheurs littéraires ont souventes fois reconnu dans des œuvres du passé des contraintes d'écriture qu'ils venaient pourtant de cerner. C'est dans ce cadre qu'ils mettent en lumière dans le passé quelques plagiaires par anticipation d'œuvres plus récentes. 

Bayard précise ici la définition du plagiat par anticipation en lui réattribuant l'intentionnalité comme élément essentiel et en en faisant ainsi le double symétrique du plagiat classique. C'est dans cet ordre d'idée que Bayard peut prétendre retrouver quelque chose de Conan Doyle chez Voltaire, particulièrement dans son conte philosophique Zadig ou la destinée. On prend plaisir à découvrir ainsi quelques plagiaires de renom puisant dans l'histoire littéraire qui les suit des idées, des thèmes, des styles qu'ils insèrent dans leurs travaux écrits. On sent tout l'humour ironique de Bayard poindre dans cet essai qui prône pour une nouvelle façon de concevoir l'histoire littéraire qui se transposterait également dans le domaine des arts.

Pierre Bayard m'a encore une fois passionné par sa fiction théorique.

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dimanche 5 novembre 2023

Poèmes de métro - Jacques Jouet

J'écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un.
Voulez-vous savoir ce qu'est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc ce qu'est un poème de métro.
Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d'un parcours.
Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un.
Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en comptant la station de départ).
Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station deux.
Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage.
Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station trois. Et ainsi de suite.
Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche.
Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée.
Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station.
Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes ou davantage.
Si par malchance la rame s'arrête entre deux stations, c'est toujours un moment délicat de l'écriture d'un poème de métro.
[Qu'est-ce qu'un poème de métro ? Jacques Jouet]

Le recueil Poèmes de métro constitue une œuvre oulipienne (c'est-à-dire, une œuvre écrite en respectant une ou plusieurs contraintes que l'auteur a bien voulu s'imposer de lui-même), une œuvre oulipienne donc qui est tout à fait savoureuse. J'ai pris du plaisir à m'aventurer dans ce métro en observant l'auteur s'inspirer de l'activité caractéristique des voyageurs allant de station en station, qui en lisant, qui en grignotant, qui en parlant seul ou en chantonnant pour passer le temps. Certains des poèmes ont pour sujet l'écriture de poèmes de métro, d'autres portent sur ce transporteur souterrain et la faune qui le visite, d'autres enfin se permettent de nous propulser ailleurs dans la tête de l'auteur. On s'imagine dans la position de cet auteur contraint par une règle qu'il n'est pas si simple de respecter et on reste admiratif quant au résultat. L'espace d'un instant, je me suis vu dans le métro de Montréal tenant crayon et carnet, pour constater que Jouet dans son XXIIIe projet de poème était dans ce même métro de Montréal visitant le sous-sol de la ville et constatant que la voix annonçant ici les stations ne cesse de revenir à la charge constituant ainsi une surcontrainte.


mercredi 1 novembre 2023

L'allègement des vernis - Paul Saint Bris

Il a réduit la peinture à sa stricte matière, à sa quintessence, à ses deux dimensions : un mince film coloré aussi fragile que l’aile d’un papillon, un agglutinat de pigments et de liants fin comme une peau humaine, si fin qu’il a pu admirer le dessin au travers. [P.S.B.] 

C'est à un parcours teinté de satire et de mystère dans le monde peu connu de la restauration d'art et de la muséologie que nous convie Paul Saint Bris et son roman L'allègement des vernis. La nomination au Louvre d'une nouvelle présidente qui n'était pas issue de l'univers scientifique ni muséal provoque une petite révolution dans l'approche de la marque pour la rendre décomplexée. Après quelques semaines d'observation et de consultation, on assiste à l'hallucinante présentation d'une firme de consultants ayant réalisé un audit sur la fréquentation du musée. À force de chiffres, d'abréviations énigmatiques et d'anglicismes du jargon marketing, sont avancées de surprenantes propositions ayant pour objet de faire croître le nombre annuel d'entrées tout en favorisant une expérience client optimale. La plus osée de ces pistes n'est rien de moins qu'une restauration de La Joconde. Aurélien est conservateur et directeur du département des Peintures, il voit tout le risque qu'une telle restauration peut présenter, mais la décision est prise et il est prévu d'effectuer sur le chef-d'œuvre un allègement des vernis devant en révéler les couleurs originales et ainsi créer un événement planétaire. Depuis la recherche d'un restaurateur à la hauteur, l'analyse des techniques à utiliser et le déroulement de la sensible opération, on sera amené à effectuer une exceptionnelle plongée dans la sphère de la restauration et de la conservation des œuvres d'art tout en portant une réflexion assumée sur la beauté. Voilà un superbe premier roman.

Il pensa qu’une des exigences de sa pratique était de rendre intelligibles des propos compliqués [...] [P.S.B.]