mercredi 8 avril 2020

Trois réveils - Catherine Perrin

Antoine ouvre les yeux dans le noir. Demeure parfaitement immobile, mais passe, en une fraction de seconde, de l'inconscience du sommeil à une vigilance aiguë. [C.P.] 
Catherine Perrin, claveciniste, animatrice à la radio et auteure, nous livre ici un roman sur les rapports ambigus, côté lumière et côté ombre, qu'un hautboïste entretient avec la musique. Antoine, que la musique interpelle, entrera au Conservatoire, ce laboratoire musical. C'est là qu'il découvre le hautbois et la sensualité des sons, c'est là aussi qu'il est confronté à ses démons intérieurs, à la pression, à l'inéluctable performance, au succès obligé. À travers des relations difficiles et un parcours sinueux semé de troubles bipolaires, c'est par la musique qu'Antoine s'avance, même si c'est sous une lyre dans un couloir occupé du métro de Montréal à faire danser au son de son instrument un serpent ou une poupée de chiffon. Ce roman, je ne l'ai pas reçu comme l'étalement d'un parcours organisé, mais plutôt tel un ensemble de tranches de vie toutes teintées de la musique qui émane de ses pages.
Les musiciens ont la chance de pouvoir s’aborder en disant, comme des enfants: « Veux-tu jouer avec moi? » [C.P.]
Il se sent chez lui près des anticonformistes qui ignorent l’être, occupés à composer chaque jour avec eux-mêmes et la survie. [C.P.]
Il voit se jouer sur cette affiche [...] l’histoire absurde et dévastatrice d’un jeune artiste qui perd toute confiance, simplement en mesurant qu’il n’est pas un génie. [C.P.]

Appréciation : 4/5 

mercredi 1 avril 2020

Les larmes de saint Laurent - Dominique Fortier

Il neigeait des confettis sur Saint-Pierre. [D.F.]
Trois histoires, trois univers, trois moments, et des ponts qui se jettent entre ces rives pour créer un même roman.  Dans les trois volets, on retrouvera des marginaux, des êtres qui vivent à la limite de la société, des couples inattendus, un amour en construction, une source volcanique et des événements qui viennent altérer le monde. La magnifique plume de Dominique Fortier allie encore ici l'histoire et un peu de science pour créer dans cette trame du temps des événements que la littérature peut sublimer. D'une prison de Saint-Pierre au cirque Barnum, du mathématicien anglais épris de géologie à une promeneuse de chiens sur un Mont-Royal montréalais semé de cimetières, Les larmes de saint Laurent nous entraîne et on se laisse tout à fait volontairement mené dans ce roman qu'on pourrait finalement considérer essentiellement comme un roman d'amour.
[…] il se sentait chez lui au pas des mathématiques. La pureté tranquille des nombres, leur rassurante prévisibilité, leur élégance sage et sobre alliées à des possibilités infinies qui se révélaient petit à petit à la manière d’une ligne d’horizon qui semble tout près mais qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche, tout cela qui faisait l’essence même de la géométrie, de l’algèbre et du calcul meublait son temps et occupait son esprit en lui offrant à la fois un refuge et un voyage toujours renouvelé. [D.F.]
S’arrêtant un matin pour contempler l’exquise économie du théorème de Pythagore, il se donna pour défi de découvrir chaque jour une nouvelle preuve permettant de le démontrer. [D.F.]
« Il neige à pierre fendre, il neige à tue-tête, il neige à tire-larigot, à brûle-pourpoint et à bouche que veux-tu », récite-t-elle en grimpant le sentier sous les flocons duveteux qui font des manteaux blancs aux chiens. [D.F.]

Appréciation : 3,5/5 


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Sur Rives et dérives, on peut consulter aussi :

Fortier

Dominique

Au péril de la mer

04/01/2017

Fortier

Dominique

Du bon usage des étoiles

08/01/2019

Fortier

Dominique

Les villes de papier

16/08/2020

 

mercredi 25 mars 2020

Histoire de l'art et d'en rire - Musée des zeugmes - Olivier Salon et Philippe Mouchès

Philippe et moi étions au café dans un petit troquet de quartier du 20e arrondissement. [O.S.]
Un petit bijou que ce recueil! Olivier Salon, membre de l'Oulipo, s'est allié à Philippe Mouchès, membre pour sa part de l'OuPeinPo, pour nous offrir une variation graphique du concept de zeugme. Cela va de *La fuite en Égypte et au plafond* à *La liberté guidant le peuple et un groupe de touristes...* en passant par *Le Moulin de la Galette des Rois*. Chaque image ou oeuvre picturale détournée est accompagnée d'un court texte célébrant le zeugme insinué dans le graphisme. On ne peut qu'apprécier le jeu et la série de clins d'œil que nous livrent les auteurs.
Le zeugme, ou zeugma (du grec ancien zeûgma, « joug, lien ») est une figure de style qui consiste à faire dépendre d'un même mot deux termes disparates qui entretiennent avec lui des rapports différents, en sous-entendant (le plus souvent) un verbe déjà exprimé. [O.S.]  



Le massacre des innocents et des règles élémentaires de la perspective par Nicolas Poussin

Appréciation : 4/5









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On peut lire aussi à ce sujet:


Bailly
Sébastien
Les zeugmes au plat 

vendredi 20 mars 2020

L'affaire Arnolfini - Jean-Philippe Postel

À Londres, les jours de beau temps, une étrange forme humaine s’offre au regard des promeneurs sur Trafalgar Square, juste devant l’entrée de la National Gallery.  [J.-P.P.]
Quel tableau ! Que j'aimerais pouvoir contempler l'original à la National Gallery de Londres ! Mais, examiner une reproduction de cette toile est déjà fascinant. L'allure des personnages, la mise en scène, la position du couple, le mystérieux miroir et ce qui s'y reflète, tout cela et bien plus nous ensorcèle et on veut, comme l'auteur, en savoir plus sur la genèse de ce tableau et l'histoire des diverses interprétations qu'il a suscitées. Même si la page titre de cette publication annonce un roman d'investigation, nous ne sommes pas vraiment en face d'une oeuvre de fiction, mais l'enquête minutieuse engagée par Jean-Philippe Postel a quelque chose de romanesque. De l'identité des personnages représentés jusqu'au lien qui les unit, du mois de l'année 1434 où le tableau a été peint jusqu'à la nature du message que Van Eyck a pu vouloir transmettre, des multiples détails présents ou absents jusqu'au reflet d'une certaine réalité, tout cela nous engage dans une exploration palpitante et on accompagne volontiers l'auteur dans sa démarche prospective. Je ne regarderai plus jamais cette toile sans penser aux secrets qu'elle recèle.
La vérité est au fond du puits. Il n’est que de s’y pencher pour la découvrir et alors on ne voit qu’elle. [J.-P.P.]
Appréciation : 3,5/5
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On peut aussi écouter un épisode de l'émission Les Regardeurs sur France-Culture à propos du tableau Les époux Arnolfini https://bit.ly/392mhVu

samedi 14 mars 2020

Marx dans le jardin de Darwin - Ilona Jerger

Charles, au moment où il aperçut ces trois silhouettes près de la clôture, était en train de réfléchir à ce que pouvait ressentir un Accenteur mouchet, Prunella modularisquand il copule en un dixième de seconde plus de cent fois par jour. [I.J.]
En 1881, Charles Darwin a 72 ans, il habite la campagne voisine de Londres et sa santé est précaire. L'Origine des espèces publié il y a plus de 20 ans en a fait un homme célèbre. Ses théories ont été notamment reprises par les libres-penseurs de l'époque qui y voient une démonstration scientifique de l'inexistence de Dieu. Darwin ne va pas si loin même si ses croyances chrétiennes sont depuis longtemps ébranlées.

En 1881, Karl Marx a 63 ans, il habite un quartier populaire de Londres et sa santé est précaire. Philosophe, théoricien des mouvements ouvriers, historien et économiste, il a publié le premier tome de son oeuvre majeure, Le Capital. Il connaît l'oeuvre maîtresse de Darwin pour l'avoir lu et établit un rapprochement avec le matérialisme historique

Ilona Jerger, auteure allemande, a trouvé dans ce hasard de l'histoire le sujet de son premier roman. Elle imagine donc un lien entre ces deux grands personnages. Ce lien s'inscrit sous les traits du Dr Beckett qui visite l'un et l'autre pour veiller sur l'évolution de leur état respectif et qui se met à rêver à l'organisation d'une rencontre entre les deux esprits que sont Marx et Darwin. Au-delà de Beckett, c'est l'auteure et nous, ses lecteurs, qui souhaitons cette improbable rencontre, ce choc entre science et théorie politique.

Ainsi, l'imagination d'Ilona Jerger est au service d'un nouveau regard sur la fin de vie de ces deux initiateurs de révolutions. Les biographies s'entrecroisent avec le roman et des débats d'idées en naissent. L'auteure, dans une annexe bienvenue, fait la part des choses et établit ce qui repose sur la réalité et ce qui est de son cru.

Voilà une lecture qui a été fort agréable.
Puisqu'il se plaignait de douleurs de part et d'autre de l'épigastre, juste sous les côtes, le Dr Beckett lui palpa plusieurs fois l'hypocondre, sans rien trouver de pathologique. [I.J.]

Appréciation : 4/5