C'est à Sin el Fil que les Abdelnour ont débarqué, Sin el Fil, un quartier du sud-est de Beyrouth grouillant de vie, plein de soleil, de poussière, de bruits, de cris dès l'aube, en arabe en français en arménien; jupes courtes, foulards islamiques, druzes ou à la Brigitte Bardot, tarbouchs, jeans, djellabas, l'uniformité, ce n'est pas à Sin el Fil qu'on la trouve, ici rien n'est lisse ni propret, tout est mouvant, disparate, tout bouge et change, c'est ondulé, c'est crevassé, aucune ligne droite sauf les murs des immeubles, et encore...[A.F.]Dans ce roman choral, Abla Farhoud donne la parole aux principaux membres de la famille Abdelnour au moment où ils se réinstallent au pays du soleil après une expérience québécoise dans les années 60. Chacune et chacun des membres de la famille a son regard personnel sur cette réinstallation, sur ce retour, sur l’adaptation que cela suppose, sur le quotidien à reconstruire, sur la vie et les espoirs à réanimer, sur le choc créé par sa propre culture, sur les codes et les signes des relations humaines, sur les contradictions de son peuple d'origine, sur la nouvelle organisation des liens familiaux, sur le soleil et ses effets sur la vie des filles.
Ce sont les membres de la famille Abdelnour qui s'expriment de chapitre en chapitre, mais j'entends le souffle d'Abla derrière. J'entends celle qui nous a offert le merveilleux roman Le bonheur a la queue glissante. On l'entend encore de façon plus criante dans la voix d'Ikram, cette jeune femme qui a entrepris une carrière de comédienne au Québec et qui tente, à l'encontre des codes et du Liban des années 60, de la faire revivre sous le soleil. J'ai l'impression qu'Abla reconstruit pièce par pièce les éléments de son identité et, généreuse, par la publication de ses romans, elle nous donne accès à ce chantier, elle nous donne à voir et à lire cette quête vers elle-même. J'espère d'autres volets de cette recherche.
Même si nous savons que le bonheur a la queue lisse, difficile à attraper et à garder, même si nous savons que le malheur, plus griffu qu'un bouton de bardane, colle à nos vêtements, à notre peau, même si nous savons que nos jours sont comptés, même si nous savons que l'argent n'est ni un fleuve ni un ruisseau, que rien n'est éternel et que la maladie peut frapper à n'importe quel moment, nous profitons au maximum de notre jardin d'Éden. [A.F.]_________
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