lundi 27 février 2023

J'étais juste à côté - Patrick Nicol

Quand j'étais jeune, j'avais un Etch A Sketch. [P.N.]

Voilà un roman en forme de journal d'observations du monde, des observations faites depuis un point de vue marginalisé, un regard déjà vieux, une filature du temps qui fuit par un enquêteur dépassé. C'est Pierre, un enseignant en littérature au collégial, qui porte sur la société son œil désabusé, déçu. Réfugié dans la littérature dont il n'a pas su transmettre la passion, il ne sait pas allier son intimité à celles des autres et il voit les saisons se suivre depuis la grève étudiante de 2012 jusqu'au début de la pandémie. C'est par l'entremise du quotidien que l'auteur, Patrick Nicol, fait entrevoir et expose la nostalgie de son personnage, peut-être un double de lui-même ou une excroissance de sa propre expérience. On ne peut que se reconnaître dans certaines attitudes ou quelques postures face à la vie et la société. Voilà un auteur dont je lirai assurément d'autres romans.

dimanche 5 février 2023

Le sanatorium des écrivains - Suzanne Myre

Exaspérée de m'entendre soupirer aux dix secondes, Corinne, ma « copine », avait ramassé ses affaires aussi vite qu'un typhon à deux bras (c'est l'image qui m'est restée) pour s'en retourner vivre chez elle, emportant dans son maelström mon pote, son chat. [S.M.] 
Le thème m'attirait. Je connaissais l'auteure de nom et j'en avais une opinion favorable sans avoir lu l'une ou l'autre de ses productions, principalement des nouvelles. Pourquoi ne pas me lancer dans cette lecture québécoise ? Je ne l'aurai pas regretté. J'ai souri et même ri plus d'une fois aux pointes d'humour, de cynisme et de satire qui visent le milieu littéraire. J'ai suivi avec intérêt les déboires de Christian Granger avec l'écriture, la critique et la fuyante inspiration devant le projet d'un deuxième livre. Il est attiré par la réclame d'un centre pour auteurs désespérés, un sanatorium pour écrivains en panne. Les yeux bandés, il est introduit, après avoir laissé son cellulaire en consigne, dans le mystérieux lieu où les auteurs en manque de souffle doivent se choisir un pseudonyme au nom d'un auteur décédé. Pour lui, ce sera Edgar Allan Poe. Il côtoiera notamment Arthur Rimbaud, Gabrielle Roy, Daphné du Maurier, Tatiana de Rosnay et J. D. Salinger, les pseudonymes de ses collègues. Sont organisés des ateliers d'écriture, des marches en nature et un ensemble d'activités voulant stimuler la créativité des auteurs qui apparaissent comme autant de personnages décalés. Puis une trame plus inquiétante se glisse dans l'expérience qui se déroule dans cette « bâtisse digne du château de Dracula ». Edgar et Daphné vont amorcer une enquête. Mais que vient faire David Foenkinos dans cette galère ?

Voilà donc un récit fantaisiste qui contient une bonne part d'autodérision.

mercredi 1 février 2023

Le maître et Marguerite - Mikhaïl Boulgakov

Par un torride crépuscule de printemps, au bord des étangs du Patriarche, parurent deux citoyens. [M.B.]

Quel défi que de décrire cette œuvre particulière ! Dans un Moscou des années 30, on voit débarquer un mage noir et sa suite, un magicien qui n'est autre que Satan, qui vient bouleverser la ville et ses habitants, qui s'acharne, avec ses assistants, sur ce qui semble être une association d'écrivains moscovites et sur un théâtre qui accueillera bien involontairement sa prestation. Et puis, il y a ce roman dans le roman, celui du maître qui tente de raconter les affres des décisions du procurateur Ponce Pilate face à Jésus (Yeshoua Ha-Nozri), un manuscrit qui aura été brulé puis ressuscité. Enfin, il y a Marguerite qui n'apparait que dans la deuxième partie du roman, qui, à la manière de Faust, accepte de se faire sorcière, pour sauver le maître, qui volera littéralement à la défense de son amour d'écrivain en s'attaquant aux biens d'un critique littéraire honni. On croisera un chat égocentrique qui joue aux échecs, un cochon volant, un bal des morts destinés aux enfers, un hôpital psychiatrique et un monde russe stalinien et schizophrénique. C'est déconcertant, mais l'humour et l'ironie nous ramènent souvent au plaisir de cette lecture.

S'il nous l'avait montré, au moins, ce mage. Toi, tu l'as vu ? Où est-ce qu'il l'aura déniché, le diable le sait ! [M.B.] 

Ce qui se passa encore d'étrange, cette nuit-là, à Moscou, nous ne le savons pas, et nous ne chercherons pas, on le comprend bien, à la savoir, d'autant plus que le temps est venu pour nous de passer à la deuxième partie de ce récit empreint de vérité. Suis-moi, lecteur ! [M.B.]

Il est, bien entendu, douteux que les choses se soient précisément passées ainsi, mais ce que nous ne savons pas, nous ne le savons pas. [M.B.] 

mercredi 11 janvier 2023

Le théorème de Kropst - Emmanuel Arnaud

Laurent Kropst avale son bol de lait, glisse sur la rampe de l'escalier tournant de son foyer de pierres et s'imprègne de l'humidité des pavés du dehors, tout juste lavés par les services municipaux de propreté. [E.A.]

Mon expérience d'études universitaires en mathématiques se situe dans un autre lieu, dans une atmosphère très différente, avec une approche bien distincte en ce qui regarde la compétition et la hiérarchie. Le contexte était tout autre, mais, tout de même, la lecture de ce premier roman d'Emmanuel Arnaud m'a replongé dans cette époque où je partageais avec mes collègues le bonheur d'une résolution accomplie, le ravissement devant une démonstration bien ficelée, le plaisir esthétique ressenti face à l'élégance mathématique, l'étincelle de joie lorsque l'intuition était fructueuse. Cela m'a rappelé les différences dans les approches qu'on pouvait avoir devant un problème à résoudre. Certains se lançaient selon le premier angle perçu dans des calculs à ne plus finir, ils utilisaient une force brute pour attaquer le problème jusqu'à ce qu'une solution se présente, quelle qu'en soit l'allure. D'autres méditaient devant le problème, cherchaient l'interstice par lequel se faufiler, tentaient de voir plus grand que le contexte du problème, cherchaient la belle solution, celle devant laquelle on ne pouvait que s'exclamer. Parfois, l'éclair ne venait pas, mais lorsqu'elle se présentait, cela devenait l'évidence, une évidence raffinée, et on se demandait comment il était possible d'être passé à côté tant de fois sans la voir. 

Pour en revenir au roman d'Emmanuel Arnaud, on accompagne Laurent Kropst dans sa formation de maths-sup à Louis-le-Grand. Il est confronté à la compétition en vue d'atteindre les grandes écoles. Le roman porte plus sur l'environnement brut des élèves que sur l'expérience d'études des mathématiques bien qu'on trouve de belles descriptions de l'intuition et des divers fonctionnements face à un examen. Kropst sera séduit par une autre version du monde, celle des filles des classes littéraires. Il trouvera peut-être là une solution à son problème de notes. Voilà donc un roman agréable qui décrit une expérience de découverte et d'initiation.

[...] il est sur le point de tousser lorsque brusquement, comme par magie, il reçoit cette offre de la pensée aléatoire qu’on appelle parfois une “illumination”. Il regarde les équations gigantesques inscrites sur ses feuilles volantes, l’“ENTROPIE”, la “THERMODYNAMIQUE”, le “SECOND PRINCIPE”, les sommes infinies, les alignements grecs. Il vient de songer une seconde, une seconde seulement, de façon détachée à son “intuition”. Il a été extérieur à lui-même pendant un laps de temps infime, mais cela a suffi. [E.A.]
Je ne suis pas Cédric Villani. Je suis un simple sup à Louis-le-Grand, c’est-à-dire une grosse branche informe. Mais une branche également infiniment maligne… [E.A.]

Tous ces romans que lisent les khâgneux ne sont pas seulement des histoires, ce sont des modes d’apprentissage du monde. Ce ne sont pas seulement des plaisirs, ce sont des exemples. Les livres sont les modes d’apprentissage des voies de traverse de la vie, voilà pourquoi elle me les fait lire…  [E.A.]

Est-ce que les mathématiques n’auraient donc toujours été pour lui qu’un simple vecteur de “rébellion” ? [E.A.]

vendredi 30 décembre 2022

Un café avec Marie - Serge Bouchard


Nous sommes en après-midi et, déjà, la matinée me manque. [S.B.]

Comment décrire cet ensemble de chroniques de l'anthropologuehomme de radio et chroniqueur, Serge Bouchard sinon qu'il s'agit de se permettre d'entendre sa voix posée nous raconter dans l’oreille les observations qu’il a pu faire ainsi que ses réflexions les plus intuitives sur l’amour, le temps, l'histoire et le monde tel qu'il est, fruit d'un passé trop souvent méconnu. C'est en posant un œil bienveillant sur la société qu'il porte un discours bien personnel qui s'inscrit en une série de microessais d'abord écrits pour la radio. Bien sûr, le deuil de sa compagne Marie vient teinter l'ensemble, mais c'est aussi le bonheur du café partagé avec la même Marie qui en rend la lecture joyeuse. S'il traite de souvenirs personnels, c'est également de la mémoire collective dont il est question. À travers cet ensemble de textes, Bouchard nous livre une part de son humanité et, par là, contribue à nos propres réflexions sur le monde.

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