mardi 8 novembre 2022

Une sorte de renaissance - Anaël Turcotte

Devant la fenêtre, le vieux professeur cherchait dans le chuchotement des feuilles du boisé une manière de rompre le silence. [A.T.]

En prenant connaissance de ce premier roman de l'auteur Anaël Turcotte, Une sorte de renaissance, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, mais le lecteur en moi, toujours à l'affut d'œuvres de fiction, d'histoires imaginées, de contes inventés, a été rassasié par cette chronique d'un temps futur qui débute par le meurtre d'un mouton. Au contact d'une nouvelle lecture, mon réflexe instinctif, comme celui de plusieurs personnes probablement, est de tenter d'y découvrir des rapprochements avec des textes qui prennent place dans ma bibliothèque intérieure, dans mon histoire de lecteur. L'univers dont les contours ne sont pas précisément dessinés, cette enquête autour d'un mouton et la présence centrale d'une adolescente qui questionne la vie ne pouvaient me diriger autre part que vers Murakami. Entendons-nous, Anaël Turcotte n'est peut-être pas un écrivain japonais (comme peut le déclarer Dany Laferrière), mais j'ai retrouvé dans Une sorte de renaissance une atmosphère qui évoquait, et cela est bien personnel, le décalage subtil qu'il peut y avoir avec la réalité dans plusieurs des écrits de Murakami, et, en projetant plus loin ma lecture, quelques éléments du roman d'apprentissage. 

Voilà donc un roman d'anticipation qui se déroule dans un Québec d'après la Grande Explosive, un Québec dont les grandes villes semblent abandonnées, un Québec qui s'est réorganisé en petites communes menées par le Patronat à l'aide d'un système qui s'apparentent aux castes. Dans cet univers inquiétant, la petite communauté de Monojoly est troublée par le meurtre du mouton, par l'enquête qui en découle, par une jeune fille qui refuse l'état de fait et par des ermites philosophes qui fomentent en marge un nouveau printemps. J'ai aimé m'insérer dans cette œuvre d'imagination emportant avec moi, au sortir de ma lecture, des questions et des sujets de réflexions.  

C'est dans le cadre d'une opération Masse Critique au Québec du site Babelio que les Éditions Tryptique m'ont fait parvenir un exemplaire de ce roman de l'auteur Anaël Turcotte. Je les remercie.

Rien ne changeait à Monojoly, sauf les saisons et les raisons de ne rien faire. [A.T.]
Aucune obligation cruciale ne les attendait sauf le prolongement de leur vie. [A.T.]
Ainsi, ils partagèrent tour à tour leurs peurs fondamentales, leurs espoirs vis-à-vis du futur, leurs préférences, leurs joies, leurs tragédies. [A.T.]

dimanche 30 octobre 2022

Voyage sentimental à travers la France et l'Italie - Laurence Sterne

- Ce point, dis-je, est mieux réglé en France - [L.S.]

Voilà une version classique de ce qu'on pourrait appeler une production dérivée ou un spin-off. En effet, le Voyage sentimental en France et en Italie raconte, par sa plume même, le parcours qu'entreprend le révérend Yorick, à n'en pas douter un alter ego de Laurence Sterne, personnage secondaire qui intervenait déjà dans l'incomparable roman La vie et les opinions de Tristram Shandy du même Sterne. La forme en est différente, le propos également, mais on retrouve avec bonheur l'écriture empreinte de digressions et quelque peu satirique de l'auteur. Nous avons donc droit à l'histoire sensible d'un voyage de Calais à Paris en passant par Lyon et d'autres communes françaises, un voyage que certains, à l'époque, surtout de jeunes Anglais bien nés, entreprenaient de façon initiatique (le Grand Tour). Yorick note, tout au long de ses pérégrinations, ses remarques à propos des mœurs déroutantes des Français, quelques points d'étude des comportements, ainsi que des observations à propos de lui-même jusqu'à commenter le battement de son cœur ou la rougeur de ses joues en présence de dames. C'est un livre d'humeur autant que d'humour.  

Comme Tristram Shandy, le Voyage sentimental échappe aux catégories, se situe à la frontière entre les genres, mais échappe à tous. Ni journal de voyage, ni récit autobiographique, ni description de la France, encore moins de l'Italie, ni même peut-être roman sentimental, il s'appuie sur toutes ces formes pour constituer un récit destiné à ébranler les lecteurs dans leurs habitudes de lecture. [extrait de la Préface d'Alexis Tadié]

Le siècle est si plein de lumière, qu'il n'est guère un pays ou un coin de l'Europe dont les rayons ne se croisent et n'échangent avec d'autres. [L.S.] 

Rien n'est plus embarrassant pour moi, dans la vie, que d'avoir à dire à quelqu'un qui je suis - car il n'est presque personne dont je ne puisse mieux rendre compte que de moi-même ; et j'ai souvent souhaité pouvoir le faire d'un seul mot - et en être quitte. [L.S.] 

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Sterne

Laurence

La vie et les opinions de Tristram Shandy

27/05/2022



mercredi 26 octobre 2022

Moderato cantabile - Marguerite Duras

- Veux-tu lire ce qu'il y a d'écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame.
- Moderato cantabile, dit l'enfant. [M.D.]

Cela se passe dans une petite ville portuaire.  Anne Desbarèdes accompagne son jeune fils à sa leçon de piano. « Dans la rue, en bas de l'immeuble, un cri de femme retentit. ». Voilà le déclencheur d'un roman d'atmosphère qui déstabilise. L'écriture simple et précise de Marguerite Duras semble en contradiction avec l'univers mystérieux, envoutant et sans réponse de cette œuvre que d'aucuns attribuent à la mouvance du nouveau roman. Ce voile de silence se transpose dans les dialogues surréalistes qu'Anne entretient avec Chauvin lors de ces répétitives visites au café où a eu lieu un crime passionnel qui semble l'obséder depuis qu'elle en a été, tout comme Chauvin, le témoin indirect. Au rythme des verres de vin consommés au café, quelques bribes de réalité semblent émerger. Dans cette petite localité de bord de mer,  Anne appartient à une classe autre que celle des ouvriers et débardeurs qui fréquentent en fin de journée le comptoir du bar. Le rythme lent et itératif plonge le lecteur dans un sentiment trouble où il ressent la solitude de même qu'une trace de désir inassouvi. J'ai adoré.  

 

mercredi 19 octobre 2022

Des bises du Bison - Boris Vian

Si la fantaisie et l'humour interviennent si souvent dans l'œuvre multiple et diversifiée de Boris Vian, on s'apercevra ici qu'ils émaillaient tout autant ses interventions intimes. Mais, pouvions-nous en douter ? On imagine Boris Vian si entier, qu'il n'en pouvait être autrement. 

Nicole Bertolt, celle qui veille sur ce que nous a laissé Vian en présidant la Cohérie Boris Vian, a rassemblé ici un ensemble de lettres de Vian, courtes pour la plupart, des lettres adressées à sa mère, à sa première épouse, Michelle Léglise, à ses enfants, à Ursula Kübler, sa deuxième épouse, à ses amis. On retrouve également quelques lettres reçues en retour de ces courriers.  On est heureux de constater la liberté avec laquelle le Bison Ravi s'affranchit des codes de l'écriture. Depuis ses lettres à sa vieille mère Pouche alors qu'il était étudiant jusqu'à ses considérations sur le jazz avec des amis ou des éditeurs ou encore ses échanges remplis de bises et d'amour à son ourson préféré (Ursula), celui qui, adolescent, s'est plu dans l'univers créé par Vian, renouera ici, par cette incursion dans son domaine privé, avec quelques éléments de l'excentricité inventive de l'auteur.

dimanche 9 octobre 2022

Oulipo : L'abécédaire provisoirement définitif - Oulipo

Un Larousse de l'Oulipo, un dictionnaire de l'Ouvroir de littérature potentielle, mais pourquoi donc ? 

Mais, pour se rassasier des contraintes imaginées par ses membres. Pour contempler des exemples de jeux d'écriture. Pour gouter aux joies que procure l'évasion en mots des labyrinthes que les oulipiens ont eux-mêmes construits. Pour lire des textes inventifs, ingénieux, astucieux et souvent fantaisistes. Pour s'imaginer en train d'écrire. Pour apprécier cette improbable interface entre mathématiques et littérature. Pour lire et relire des extraits des œuvres de Perec. Pour découvrir d'autres oulipiens et leurs écrits. Pour se coltailler à de nouvelles contraintes. Pour estimer la complexité du geste d'écrire en respectant des règles imposées. Pour mesurer l'exceptionnelle potentialité créative de la contrainte. Pour s'amuser avec les mots. Pour ne point bouder son plaisir. Pour rire et se casser la tête. Voilà pourquoi, entre autres, un Larousse de l'Oulipo, un Abécédaire même provisoirement définitif s'imposait tout autant que sa lecture.