mardi 8 juillet 2025

Des éclairs - Jean Echenoz

Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c'est possible. On aime mieux être au courant de l’instant chiffré où ça démarre, où les affaires commencent avec l’air, la lumière, la perspective, les nuits et les déboires, les plaisirs et les jours. [J.E.]

Jean Echenoz réitère sa formule de roman construit sur des vies revisitées. Après Ravel et Courir (sur Zatopek), il s'inspire de Nikola Tesla qu'il réinterprète sous le nom de Gregor. Est-ce pour se donner la distance nécessaire pour entrecroiser l'imaginaire et le réel ? Est-ce parce que Tesla, dans la culture populaire, a des contours moins marqués ? Peu importe, le Gregor d'Echenoz empruntera, depuis sa naissance, un soir d'orage, jusqu'à ses succès d'inventions électriques, en passant par ses goûts vestimentaires et sa passion pour les pigeons, le parcours sinueux de Tesla. Comme lui, bien qu'il fût l'inventeur du courant alternatif pour le transport d'énergie, qu'il ait travaillé sur les communications et le transport d'énergie sans fil, sur les bases de l'automation et de la radiocommande, il a échappé à la gloire et s'est fait voler plein d'idées, notamment par Edison. Echenoz ne fait toutefois pas de Tesla un portrait idéalisé. On trouve plutôt un personnage solitaire, un génie quelque peu antipathique, mais la manière qu'a Echenoz de le décrire vaut le détour.

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mardi 1 juillet 2025

Une malle pleine de gens - Antonio Tabucchi

Il y a d'emblée quelque chose d'excessif dans la biographie de ce Portugais qui risque de devenir au fil des ans l'un des poètes majeurs du XXe siècle: quelque chose de trop excessif pour ne pas éveiller de soupçons, ou même alarmer celui qui se lance sur ses traces. [A.T.]

Antonio Tabucchi nous ouvre la porte de l’univers de Fernando Pessoa et de ses multiples hétéronymes. Ce recueil rassemble plusieurs essais sur ce sujet complexe et captivant. On a ainsi droit à une incursion dans le labyrinthe des diverses identités créées et endossées par Pessoa au fil de ses productions selon les diverses écritures qu'il adopte lorsqu'il personnifie l'un ou l'autre de ses hétéronymes. Il est parfois Alberto Caeiro da Silva, son maître et celui d'Alvaro de Campos, poète solitaire et discret. Parfois, il s'insère dans la peau d'Alvaro de Campos, ingénieur naval et poète dandy à la pointe de l'avant-garde. Il peut aussi incarner Ricardo Reis qui a vécu au Brésil et était à la fois médecin et un poète au classicisme revendiqué. Il devient parfois Bernardo Soares, son hétéronyme le plus proche, aide-comptable en la ville de Lisbonne, qui a livré l'incomparable Livre de l'intranquillité. Pessoa se glisse dans la nature de plein de gens qui ont chacun leur histoire, chacun leur parcours, chacun leur production, parfois minime, parfois exceptionnelle. Et les membres de cette tribu, qui vivent dans l'imaginaire foisonnant de Pessoa, entretiennent occasionnellement des échanges épistolaires, commentant l'un, s'interposant aux opinions de l'autre ou intervenant même dans la vie de leur géniteur. Grâce à Tabucchi, traducteur et spécialiste de l'œuvre de Pessoa, nous avons accès à une meilleure compréhension de la création polymorphe de ce dernier.

Dès mon enfance, en effet, j’ai eu tendance à m’environner d’un monde fictif, à m’entourer d’amis et de connaissances qui n’ont jamais existé. […] Depuis l’époque où je me connais pour celui que j’appelle moi, je me rappelle avoir toujours dessiné mentalement, leur donnant silhouette, mouvement, caractère et histoire, un certain nombre de personnages irréels qui étaient, pour moi, aussi visibles et aussi miens que les objets de ce que l’on appelle, abusivement peut-être, la vie réelle. [Lettre à Adolfo Casais Monteiro sur la genèse des hétéronymes, Fernando Pessoa]

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mardi 17 juin 2025

Rêves de rêves - Antonio Tabucchi

Le désir m'a souvent gagné de connaître les rêves des artistes que j'ai aimés. [A.T.]

Voici un ouvrage singulier où Antonio Tabucchi imagine les rêves d'artistes, écrivains, peintres ou musiciens, qu'il admire. On a ainsi accès, par l'intermédiaire de la force imaginative de Tabucchi à de courts récits racontant le rêve de chacun d'entre eux, des rêves qui leur ont peut-être livré la solution d'une énigme, instigué la source d'une inspiration, fait miroiter une vision prémonitoire ou encore un délire onirique. On s'insérera ainsi, entre autres, dans les songes de François Villon, poète et malfaiteur, de Rabelais, écrivain et moine défroqué, de Robert Louis Stevenson, écrivain et voyageur, de Claude Debussy, musicien et esthète, de Toulouse-Lautrec, peintre et homme malheureux, et évidemment, de Fernando Pessoa, poète et simulateur, car Tabucchi est l'un des traducteurs et le passeur de l'œuvre de Pessoa. Aussi, il ne pouvait passer outre Sigmund Freud, celui qui s'est permis d'être l'interprète des rêves d'autrui. 

Dans tous les cas, Tabucchi, par ces rêves apocryphes, a voulu rendre hommage à ces rêveurs de l'histoire et cela rend tout à fait plaisante cette petite plaquette. 

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vendredi 16 mai 2025

La formule de Stokes, roman - Michèle Audin

C'est à Poltava, en Ukraine, que mourut Mikhïl Vassilievitch Ostrogradski. [M.A.]

Voilà un roman atypique, un roman dont l'héroïne est une formule de mathématique, la formule de Stokes, dont on suit l'histoire romancée et contextualisée. Dans le cours de cette histoire scientifique est intégrée l'aventure de l'autrice qui tente de convaincre un éditeur de la valeur de son projet. C'est ainsi et dans ce but que Michèle Audin décrit elle-même son roman : 

Il s'agit d'un roman, intitulé « La Formule de Stokes ». L'idée est de raconter la vie de cette formule, du début du XIXe siècle aux années 1930. Elle a en effet vécu des aventures qui l'ont transformée : venue de la physique pour devenir un objet mathématique des plus abstraits, elle a revêtu des formes très variées [...]. Je pense essayer de décrire à la fois ses transformations, son contenu mathématique, et les scientifiques qui ont contribué à son élaboration, sans négliger les aspects contextuels, à la fois politiques et culturels. [M.A.]

Mais, tout cela se réalise à l'intérieur d'un cadre chronologique en partie éclaté. En effet, les dates de l'année se suivent normalement du 1er janvier au 23 décembre sans égard à l'année du fait relaté. Des éléments de l'histoire de notre formule seront ainsi racontés en passant du 1er janvier 1862 au 5 janvier 1857, du 9 janvier 1895 au 13 janvier 2012, du 16 janvier 1898 au 19 janvier 1879. Dans un premier temps, cela peut être déroutant, mais les moments dont le récit est fait s'emboîtent pour créer au fil des pages un tissu narratif où s'entrecroisent allègrement des personnages du monde mathématique, du monde physique et de la société civile. Du XIXe siècle aux siècles suivants, la formule prendra diverses formes, se confrontera à diverses réalités et évoluera dans ses applications. On croisera ainsi, entre autres, Gauss, Green, Kelvin, Stokes, Riemann, Cartan. On revisitera l’affaire Dreyfus en constatant l’implication de quelques mathématiciens. On verra naître le groupe Bourbaki et sa volonté de refonder la mathématique à partir de zéro. On sera invité à assister à l’élaboration d’une mosaïque construite autour d’une formule qui, à certains égards, pourrait paraître absconse, mais est riche d’histoires et d’anecdotes, et mérite d’être l’objet d’un roman. 

samedi 3 mai 2025

Il nous faudrait des mots nouveaux - Laurent Nunez

Bonheur, malheur, amour, espoir, succès, échec, « tout est prédit par le dictionnaire », affirmait Paul Valéry. [L.N.]

Laurent Nunez, dans ce court essai, fait le pari de mettre en évidence une série de mots, appartenant à d'autres langues que le français, des mots qui décrivent des concepts, des états, des faits pour lesquels notre langue reste muette. On a donc droit à treize mots issus d'autant d'univers linguistiques, treize mots qu'on ne pourrait traduire, treize mots qui rendent des sensations ou des émotions qu'on ne sait exprimer sans paraphraser. Voilà un livre savoureux qui nous fait découvrir le kintsugi japonais (l'art de réparer les cassures avec de l'or), le naz urdu (la fierté de savoir que l'on est aimé plus que tout) ou l'ostranenia russe (l'étrangeté intentionnelle d'une œuvre d'art). De nouveaux mots provoquent de nouvelles réflexions, des émotions inédites et une liberté de pensée.  

Un objet cassé est un objet neuf qui enfin se réalise, qui enfin se cogne au monde. [L.N.] 

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