Un cabinet d’amateur, du peintre américain d’origine allemande Heinrich Kürz, fut montré au public pour la première fois en 1913, à Pittsburgh, Pennsylvanie, dans le cadre de la série de manifestations culturelles organisée par la communauté allemande de la ville à l’occasion des vingt-cinq ans de règne de l’empereur Guillaume II. [G.P.]Lu pour la première fois en 1988, c’est à une relecture de ce roman que je me suis adonné ces jours derniers. Voilà une oeuvre hypnotique et ensorcelante qui engage le lecteur dans un maelström de descriptions, dans un tourbillon d’analyses de tableaux, dans une débauche de listes, de catalogues et de répertoires. C’est à une histoire de l’art pictural que nous convie Perec avec ce tableau qui en contient une multitude y compris lui-même, une vraie histoire de l’art du faux mêlée à une fausse histoire du vrai dans l’art. J’ai été entrainé dans ce courant jusqu’à la dernière phrase. Je demeure bouche bée devant cette invention, devant cette mise en abîme picturale et romanesque.
Nombreux sont sans doute les visiteurs qui tiendront à comparer les oeuvres originales et les si scrupuleuses réductions qu’en a données Heinrich Kürz. Et c’est là qu’ils auront une merveilleuse surprise : car le peintre a mis son tableau dans le tableau, et le collectionneur assis dans son cabinet voit sur le mur du fond, dans l’axe de son regard, le tableau qui le représente en train de regarder sa collection de tableaux, et tous ces tableaux à nouveau reproduits, et ainsi de suite sans rien perdre de leur précision dans la première, dans la seconde, dans la troisième réflexion, jusqu’à n’être plus sur la toile que d’infimes traces de pinceaux : Un cabinet d’amateur n’est pas seulement la représentation anecdotique d’un musée particulier ; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu’opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c’est une oeuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s’amplifie jusqu’à l’infini, et où la précision exacerbée de la matière picturale, loin d’être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l’Éternel Retour. [G.P.]
Appréciation : 4,5/5
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