mardi 11 décembre 2018

L'occupation des jours - Annie Perreault

Des herbes folles. Des blocs de béton. Un bout de trottoir crevassé. [A.P.]
L’œil d'Annie Perreault se porte sur ce qui l'entoure, sur de petits espaces, sur la façon de les occuper, sur des faits sans importance, sur l'infraordinaire comme l'appelait Perec qu'elle cite d'ailleurs en exergue. Cet œil, c'est souvent un regard esseulé, sur ce qu'Annie Perreault nomme des terrains vagues. L'occupation des jours se présente comme un assemblage en courtepointe de nouvelles mettant en lumière tamisée de minuscules univers où des personnages vivent leur ennui, leur solitude, leur échec, leur manière d'occuper l'espace et les jours qui s'y déroulent. C'est ainsi par une approche de l'intime que l'auteure nous soumet sa vision de la condition humaine. Voilà un recueil qui m'a séduit.
J'étais en couple, je voyais quelqu'un en cachette. En diagonale de son appartement, il y avait une cabine téléphonique. [A.P.]
De semaine en semaine, elle reviendrait souvent vérifier l'avancement du chantier. Elle se tiendrait droite sur le trottoir, passerait de longs moments à caresser son annulaire dénudé, à regarder l'eau boueuse s'accumuler dans les fondations. [A.P.]
Je cours à la poursuite de quelque chose qui m'échappe, qui ne peut pas exister peut-être, je cherche mes mots, mon histoire à inventer, l'avenir comme un terrain vague. [A.P.] 

samedi 10 novembre 2018

Manikanetish - Naomi Fontaine

Revenir est la fatalité. Dans ce petit village, cette nature épineuse, sablonneuse, imaginée de toutes pièces depuis mon enfance, immuables souvenirs. [N.F.]
Manikanetish est le récit d'une étrangère parmi les siens, une étrangère qui, à force de patience, arrive à s'inscrire dans le quotidien des jeunes êtres qu'elle cherche à accompagner. Yammie, cette enseignante tout juste diplômée et pleine de bonne volonté, apprend autant que ses élèves. Elle cherche et se cherche; elle construit tout au long de cette première année scolaire, un réseau, un ensemble de fils pour communiquer avec ses élèves, pour tenter de les saisir, pour tenter de devenir un élément positif dans cette année marquée. Le décor, c'est celui de Petite Marguerite (Manikanetish), l'établissement scolaire d'une réserve indienne de la Côte-Nord du Québec, dans le monde des Innus. Le récit se déroule notamment à l'aide d'une suite de portraits, de petits récits de vie, de moments de résilience. Un projet un peu fou deviendra en conclusion le moteur auquel les uns et les autres se sont accrochés pour aller plus loin. Naomi Fontaine nous décrit cette aventure à l'aide d'une plume simple et juste.

mercredi 31 octobre 2018

L'attrape-coeurs - Jerome David Salinger

Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de raconter ça et tout. [J.-D.S.]
Je me vois encore séduit par un roman d'apprentissage. Je m'aperçois que ce type de roman est beaucoup plus courant que je ne pouvais le croire. En fait, cette période où l'on sort de l'adolescence, où on s'aventure dans le monde adulte avec ses surprises, ses découvertes, ce monde à assimiler, ce contact avec les autres et avec la vie est une période qui dévoile toute sa richesse dans l'imaginaire des auteurs. Les lecteurs, dont je suis, aiment se replonger dans cette faille temporelle malgré les années. Voilà toute la magie de la littérature, s'insérer dans une autre vie, revivre par personnage interposé des sentiments ou faire, par ce même artifice, de nouvelles expériences dans un cadre qui n'aura jamais été le nôtre. Ici, ce sera quelques jours d'errements à New York de Holden Caufield, un adolescent qui vient d'être expulsé de son collège et qui tarde avant d'affronter ses parents. Il vivra là quelques expériences, il fera quelques rencontres pas toujours heureuses et il exprimera son mal-être dans son cri et sa déprime. Même si le cadre se situe dans les États-Unis d'Amérique quelque part au début des années cinquante, on ne peut que se percevoir en partie dans ce mythique Attrape-coeurs, dans cet ado idéaliste, mais sans projet.
Le type de la Navy et moi on s'est servis de l'«Enchanté d'avoir fait votre connaissance». Un truc qui me tue. Je suis toujours à dire «Enchanté d'avoir fait votre connaissance» à des gens que j'avais pas le moindre désir de connaître. C'est comme ça qu'il faut fonctionner si on veut rester en vie. [J.-D.S.]

mercredi 17 octobre 2018

Le suspendu de Conakry - Jean-Christophe Rufin

La foule regardait le corps suspendu. [J.-C.R.]
Aurel Timescu est fonctionnaire au Consulat de France sis à Conakry en Guinée. Aurel Timescu est consul sans être général. Aurel Timescu travaille habituellement dans ce qu'on pourrait appeler un placard, mais en l'absence du consul général, il se voit doté d'un soupçon de liberté pour traiter d'un dossier délicat, le meurtre d'un citoyen français sur son bateau ancré en retrait dans le port de Conakry. Aurel Timescu est un nouveau personnage pour Rufin, un intrigant personnage, le souffre-douleur sinon la risée des membres du consulat. Il circule dans Conakry accoutré de vêtements très mal adaptés, il a tout ce qui est nécessaire pour qu'on lui attribue le titre d'antihéros. Rufin, qui a connu des ambassades et des consulats en terres africaines, se sert habilement de ces expériences pour en faire le cadre de cette aventure.

Et puis, il y a Conakry. Conakry dont le décor ne m'est pas totalement étranger y ayant séjourné autrefois pour y livrer une formation. Il y a toujours quelque chose qui touche, qui émeut, lorsqu'on retrouve au tournant d'une page un site connu, une place qui vient en résonance avec un élément de notre mémoire.

Tout cela se décline dans un roman à saveur policière et diplomatique dont la lecture est tout à fait agréable. Je recroiserais volontiers ce diplomate atypique.
La mer? C'est le lieu où tout finit, où la roche des montagnes, usée par le temps, vient terminer sa course, sous forme de grains de sable. [J.-C.R.]
La culpabilité n'a pas besoin d'un objet pour exister. C'est un sentiment qui vient de nous et qui pousse sur un terreau d'émotions, de souvenirs, de désirs, qui nous est propre. Après, quand elle grandit, cette plante s'accroche à ce qu'elle trouve. [J.-C.R.]

vendredi 21 septembre 2018

Ada - Antoine Bello

- Elle a un nom de famille, cette Ada? demanda Frank Logan en se frottant les yeux. [AB.]
Sur le thème de l'intelligence artificielle, ce roman sans façon peut difficilement être plus actuel. Ada, c'est le nom de cette intelligence. Elle a disparu. Aucune de ses versions n’est présente sur les nombreux sites de stockage de la société Turning Corp. Elle était le fruit d'une recherche active dans le domaine et son premier objectif consistait en la rédaction et la publication d'un roman à l'eau de rose original constitué de ses propres constats à l'égard de cette littérature. Cela devait être un premier pas vers des oeuvres de création plus complexes, vers des articles de fond dans le champ du journalisme, articles qui devraient pouvoir recevoir le prix Pulitzer.
Frank Logan mène l'enquête. Il est spécialisé dans les disparitions et les enlèvements; il compose à sa façon des haïkus. L'informatique et les nouvelles technologies ne font pas partie de son champ d'expertise. Ses questionnements et interrogations naïves nous entraînent dans un univers de réflexions, sur la société qui se dévoile à l'horizon, sur notre rapport au développement technologique, sur ses dérives, mais aussi sur la culture ou la littérature dans un tel contexte, mais tout cela sans prétention et avec humour. J'aurai apprécié ce roman lu lors de récentes vacances.
Il est désormais établi que la structure de la langue que nous parlons façonne notre mode de pensée. Charles Quint prétendait s'adresser à Dieu en espagnol, à ses amis en anglais, à sa maîtresse en français et à son cheval en allemand. [A.B.]