vendredi 20 avril 2018

Ör - Auður Ava Ólafsdóttir

Je sais bien que j'ai l'air ridicule, tout nu, mais je me déshabille quand même. [A.A.O]
Jonas Ebeneser est islandais. Désemparé, il se décrit ainsi:
Bientôt 49 ans sexe masculin Divorcé Hétérosexuel Sans envergure Sans vie sexuelle Habile de ses mains [A.A.O.] 
La vie a laissé sur lui ses cicatrices, ses blessures. Sa femme l'a quitté, sa fille n'est pas vraiment de lui, sa mère a perdu ses esprits. Il ne se trouve plus d'utilité. Ses 49 ans lui pèsent. Il n'a d'autres projets que de mettre fin à son existence. Mais comment ce faire?

Il ferme tout, vide son appartement, se débarrasse de ses biens, à l'exception de son coffre à outils (il possède ce côté bricoleur qui aura empêché que je m'y identifie), et en emportant ce dernier, quitte vers un pays où la guerre sévissait il n'y a pas si longtemps, un pays où la probabilité que la mort se présente à lui sans avis préalable est significativement grande. Il erre ainsi dans ce nouvel univers et, armé de sa perceuse, contribuera à une reconstruction de ce monde voué à la dérive. Entre quelques bricolages et quelques rencontres, Jonas retrouve quelque chose en lui et ce sentiment de vouloir en finir avec la vie devient moins urgent. L'auteure, par son regard poétique sur cet homme, ses tourments et son évolution introspective, nous offre paix et résilience dans une description précise et juste d'instants du quotidien, de petits moments qui transcendent la vie et tracent une voie vers le bonheur.
Pour rejoindre la voiture, nous avons pris un raccourci en traversant une aire de nidification de sternes arctiques. Des milliers de sternes arctiques. [A.A.O.] 
Puis le monde ralentit et rétrécit jusqu'à la taille d'une minuscule pupille, juste avant qu'il ne s'éteigne, avant que je ne m'éteigne. [A.A.O.]  
Tout n'advient pas dans le bon ordre.  [A.A.O.] 
Tout peut advenir. Même ce à quoi on ne s'attendait pas. [A.A.O.]  

dimanche 15 avril 2018

Underground Railroad - Colson Withehead

La première fois que Caesar proposa à Cora de s'enfuir vers le Nord, elle dit non. [C.W.] 

Il est difficile de décrire ce que j’ai ressenti lors de cette lecture. Je me suis plongé assez rapidement et assez intensément dans ce monde inimaginable de l’esclavage des États du Sud, monde que je connaissais de façon trop théorique. Cela aura constitué une prise de conscience, un regard plus senti sur une réalité qui ne m’était pas étrangère, mais qui ne s‘incarnait pas de façon aussi vive qu’en accompagnant, touché et bouleversé, Cora dans son odyssée, dans sa fuite, dans sa soif d’une autre vie. J’ai descendu moi aussi dans ce tunnel métaphorique où loge le chemin de fer clandestin et où le réel bouscule l’imaginaire. J’y ai suivi, haletant, la jeune Cora et Caesar quittant la Géorgie vers la Caroline du Sud et du Nord et plusieurs états, fuyant un chasseur d’esclaves, cherchant une autre vie. La littérature, par son rappel d’un passé si proche de nous et par l’écho qu’il projette dans l‘aujourd’hui, contribue, il me semble, à un éveil nécessaire, à une mémoire en action. Voilà un roman fort, un roman américain essentiel.
Le maître répétait souvent que la seule chose qui soit plus dangereuse qu'un nègre avec un fusil, leur dit-il, c'était un nègre avec un livre. [C.W.]

vendredi 6 avril 2018

La trilogie new-yorkaise - Paul Auster

[Archives - Février 1997]
C'est un faux numéro qui a tout déclenché, le téléphone sonnant trois fois au coeur de la nuit et la voix à l'autre bout demandant quelqu'un qu'il n'était pas. [P.A.]
Cité de verre, Revenants et La chambre dérobée, ce sont ces trois romans de Paul Auster qui constituent La trilogie new-yorkaise. J'ai hésité longtemps avant de m'aventurer dans un ouvrage de cet auteur et je ne sais pourquoi. Puis, un jour, un ami m'en parla tel un auteur que je devrais apprécier, un auteur qui joue sur l'ambiguïté de son propre rôle dans son roman. J'y ai découvert des quêtes d'identité, des parcours entrecroisés, des fables urbaines, des miroirs déformants, des énigmes à tiroirs et un univers trouble. J'ai été séduit par l'atmosphère et ses personnages tortueux. Je me promets bien d'y revenir un jour.

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Auster
Paul
Mr. Vertigo 

lundi 12 mars 2018

Journal d'un corps - Daniel Pennac

Mon amie Lison - ma vieille, chère, irremplaçable et très exaspérante amie Lison - a l'art des cadeaux embarrassants, cette sculpture inachevée qui occupe les deux tiers de ma chambre, par exemple, ou les toiles qu'elle laisse sécher pendant des mois dans mon couloir et ma salle à manger sous prétexte que son atelier est devenu trop petit. [D.P.]
Difficile de décrire ce livre, difficile d'en délimiter les frontières, difficile de le classifier. Il y a effectivement quelque chose du journal, de la chronique, d'écrits répartis dans le temps, un temps de longue durée, puisqu'il s'agira d'une vie presque entière. Chose certaine, j'y ai pris goût, j'ai ri à l'occasion, j'ai réfléchi sur ma condition, celle d'aujourd'hui, celle d'hier et même celle à venir. J'ai apprécié les moments de sagesse, j'ai été ému à l'occasion par ce que l'auteur nous dit de ses sensations, de ce corps qui le porte, de ce corps qui a peur, qui découvre, qui vit, qui souffre et qui s'étend sur toute une existence. Ce n'est pas le corps sublimé de l'oeuvre publicitaire et propagandiste dont il est question ici, c'est un corps réel qui a ses faiblesses, qui se fatigue, qui vieillit et se transforme et qui, éventuellement, mourra. Et, tout ce parcours du narrateur et de son corps est dit avec une si belle plume, avec un style si bien assumé qu'on ne peut que vivre un beau moment de lecture en s'engageant dans ce périple de corporalité.
Notre voix est la musique que fait le vent en traversant notre corps. [D.P.]
Peut-être ne nous réveillons-nous chaque matin que pour retarder le moment délicieux où nous allons mourir. [D.P.] 
Confiez-moi cette virgule que j'en fasse un point d'exclamation. [D.P.] 
L'homme naît dans l'hyperréalisme pour se distendre peu à peu jusqu'à finir en un pointillisme très approximatif avant de s'éparpiller en poussières d'abstraction. [D.P.] 
J'étais à deux doigts d'emporter l'assentiment général quand tout à coup... le mot manquant! Mémoire bloquée. La trappe qui s'ouvre sous mes pieds. Et moi, au lieu de recourir à la périphrase - à la création -, voilà que je cherche bêtement le mot en question, que j'interroge ma mémoire avec une fureur de propriétaire spolié; j'exige d'elle qu'elle me rende le mot juste! Et je cherche ce fichu mot avec une telle obstination qu'au moment où, vaincu, j'opte pour la périphrase, c'est le sujet tout entier de la conversation que j'ai oublié! Par bonheur on parlait déjà d'autre chose. [D.P.]
Que ferai-je de mon angoisse, la retraite venue? [D.P.] 
Ces petits maux, qui nous terrorisent tant à leur apparition, deviennent plus que des compagnons de route, ils nous deviennent. [D.P.]

dimanche 4 mars 2018

Invitation au supplice - Vladimir Nabokov

[Archives - Janvier 1992]
Aux termes de la loi, le verdict de mort contre Cincinnatus C... lui fut annoncé à mi-voix. [V.N.]
J'avais lu qu'il existait une certaine ressemblance, une certaine parenté littéraire entre Nabokov et Queneau, Perec et compagnie. Je me suis plu dans cette lecture même si elle fut difficile. Nous sommes dans un monde absurde et clos (évidemment, il s'agit d'un prisonnier), mais je n'ai pas vraiment décelé la parenté sus-dite.

Cincinnatus passe de longues heures à se préparer à sa décapitation qui prendra l'allure d'une foire cauchemardesque. Sa détention est pour le moins bizarre et l'univers pénitentiaire encore plus. Tout est faux, tout est faux-fuyant.

Cincinnatus est le personnage principal d'une pièce absurde dont il ne connait ni le texte ni les auteurs. La pièce se joue. La pièce se joue de lui, mais en est-il conscient?