lundi 12 février 2018

L'éternité dans une heure, la poésie des nombres - Daniel Tammet

Dans une petite ville de la banlieue de Londres où il ne se passait jamais grand-chose, ma famille était peu à peu devenue un grand sujet d’étonnement. [D.T.]
Daniel Tammet, cet écrivain autiste Asperger dont j'avais lu avec intérêt, il y a quelques années Je suis né un jour bleu, nous livre ici un ouvrage d'une autre teneur. Il s'intéresse, de chapitre en chapitre, à diverses façons d'aborder les chiffres, les nombres, les mathématiques et leurs structures, mais son approche des concepts se fait à travers son expérience personnelle, ici par une anecdote, ici par une découverte, mais toujours par un levier issu de sa vie. Cela a l'intérêt d'accorder une touche d'humanité à un sujet que d'aucuns considèrent comme froid et même ennuyeux. Il explore les liens entre mathématiques et imagination, entre mathématiques et littérature. D'entrée de jeu, il cite Ricardo Nemirovsky et Francesca Ferrara, des spécialistes de l'étude de la cognition mathématique pour affirmer sans ambages que « comme la fiction littéraire, l’imagination mathématique se nourrit de possibilités pures ». Il réussit, je crois, à accomplir son mandat et à entraîner plusieurs de ses lecteurs dans le plaisir des nombres.
Si on sait les regarder, les nombres font de nous des humains meilleurs. [D.T.]
Chaque flocon, aussi unique que chaque nombre, nous apprend quelque chose sur la complexité. Voilà peut-être pourquoi nous ne nous lasserons jamais de les admirer. [D.T.]
Gagner aux échecs, c’est simple : la victoire appartient à celui qui commet l’avant-dernière erreur. [D.T.]
Je sais que la nuit est favorable à l’imagination; à cette heure, dans toute la ville, des artistes taillent leurs crayons, mouillent leurs pinceaux et accordent leurs guitares. D'autres, avec leurs théorèmes et leurs équations, s'adonnent de la même façon aux possibilités du monde. [D.T.]

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Tammet
Daniel
Je suis né un jour bleu 

lundi 5 février 2018

À peine un petit air de jazz - Gilles Archambault

Quand je m'en sens la force, je marche jusqu'à la rue Union, tu sais, celle que nous empruntions lorsque tu venais me retrouver. [G.A.]
C'est à une écriture de l'intime que nous convie Gilles Archambault. Dans trente-quatre brèves nouvelles se croisent amertume, nostalgie, ennui, bonheur effacé, bonheur furtif, tristesse assumée, désenchantement, sérénité tranquille... En quelques pages, voire quelques lignes, Archambault donne vie à des personnages qui, souvent, semblent partager avec leur auteur plein de secrets inavoués, plein d'expériences de quotidiens sans éclat, plein de morosités. Et, au travers ces tranches de vie, on ne peut faire que le constat que c'est beaucoup de nous dont l'auteur se nourrit. On reconnaît au passage sa propre citation, son propre état de désarroi devant la vie, devant le temps qui court, devant l'âge qui s'accumule dans nos courbatures ou la couleur de nos cheveux restants.

À relire le paragraphe précédent, mon commentaire pourrait paraître négatif. Et pourtant, ce que je voudrais transmettre c'est en premier lieu la maîtrise avec laquelle Archambault manie les mots pour nous plonger dans cet état d'intime regard sur soi et sur sa vie passée, regard qui peut prendre une teinte de mélancolie sans du tout devenir lancinant.

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Archambault

Gilles

En toute reconnaissance, Carnet de citations plutôt littéraires

14/04/2019

Archambault

Gilles

L’ombre légère 

29/01/2012

Archambault

Gilles

Qui de nous deux ?

31/05/2023

lundi 29 janvier 2018

La ballade de l'impossible - Haruki Murakami

J'avais trente-sept ans, et je me trouvais à bord d'un Boeing 747. [H.M.]
Haruki Murakami m'apparaît tel un maître du roman d'apprentissage, du roman d'initiation, de la description en mots du passage vers l'âge adulte. Combien de ses écrits impliquent de jeunes hommes proches de ce tournant? Je ne sais trop, mais à chaque fois que je me replonge dans son univers, je sens la fibre de cet adolescent qui se cherche, qui cherche le monde, qui veut contrôler l'univers et peut-être aussi un peu sa vie. Je lis Murakami et, par je ne sais quelle faille dans l'espace-temps, j'ai seize ans, j'accompagne Watanabe dans ses découvertes, dans ses déboires amoureux, dans cette prise de conscience de la vie, dans ses espoirs et, encore, tout est possible.

C'est donc ce Watanabe que l'on épie, que l'on suit, qu’on lit, car c'est lui qui, plusieurs années plus tard, est le narrateur. L'image du monde passe par sa perception. On y verra sa vie dans un foyer pour jeunes étudiants, sa relation trouble avec Naoko qui, comme lui, a perdu un ami cher lors de son suicide. On lira sa liaison avec l'intrigante Midori, ses visites de son amie dans un centre de soins alternatifs, ses bouleversements internes, ses amours et ses démons.
C'est cela Euripide. Personnellement, je préfère Sophocle, mais c'est une question de goûts. La particularité de ses tragédies est que tout un tas de choses s'y bousculent et qu'on finit par ne plus pouvoir bouger. Vous comprenez? Il y a plein de personnages placés dans certaines situations et qui ont leurs raisons et leurs opinions, et chacun, à sa manière, est à la recherche du bonheur et de la justice. Et, à cause de cela, tout le monde se retrouve dans une impasse. [H.M.]
Ne t'apitoie pas sur ton sort. C'est ce que font les imbéciles. [H.M.]
Je t'aime au point que tous les tigres des jungles du monde entier se mettent à fondre pour devenir du beurre, lui dis-je. [H.M.]
Nous étions en vie et il nous fallait seulement nous préoccuper de continuer à vivre. [H.M.]
Tout cela est traduit dans une langue à la fois simple et poétique. La mélancolie qu'on peut y trouver est enveloppée d'une douce musique comme à chaque fois dans les oeuvres de Murakami. Si c'est Norwegian Wood des Beatles (même interprété de manière sirupeuse par un orchestre quelconque) qui déclenche d'une certaine façon le flot de souvenirs de Watanabe, la fin des années soixante qui est le cadre de cette ballade est plongée dans une somme importante de souvenirs musicaux.

Pour illustrer mes dires, voici une liste non exhaustive des musiques croisées dans cette douce lecture japonaise :
  • un air de Billy Joel;
  • Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles;
  • Waltz for Debby de Bill Evans;
  • Spinning Wheel des Blood, Sweat and Tears;
  • White Room de Cream;
  • Scarborough Fair de Simon et Garfunkel;
  • Here Comes the Sun des Beatles;
  • Deuxième Concerto pour piano de Brahms;
  • Desafinado et La Fille d'Ipanema de Jobim;
  • quelques morceaux de Bacharach et de Lennon-McCartney;
  • un disque de Tony Bennett;
  • Jumping Jack Flash des Rolling Stones;
  • People are Strange des Doors et Jim Morrisson;
  • Honeysuckle Rose par Thelonious Monk;
  • des disques d'Ornette Coleman et de Bud Powell;
  • un vieux disque de Miles Davis;
  • Kind of Blue de Miles Davis;
  • Up on the Roof des Drifters;
  • Michelle des Beatles;
  • une fugue de Bach;
  • Dear Heart de Henri Mancini;
  • Penny Lane, Blackbird, Julia, When I'm Sixty-Four, Nowhere Man, And I Love Her et Hey Jude des Beatles;
  • une adaptation pour la guitare de Pavane pour une infante défunte de Ravel, puis du Clair de lune de Debussy;
  • plusieurs morceaux de Bacharach, Close to You, The Raindrops Keep Falling on my Head, Walk on by et Wedding Bell Blues;
  • une dizaine de bossas-novas, suivies de Rogers and Hart, Gershwin, puis Bob Dylan et Ray Charles, Carole King et les Beach Boys, en passant par Stevie Wonder, et de Ue o muite arukô et Blue Velvet à Green Fields;
  • Eleanor Rigby des Beatles, et, encore une fois, Norwegian Wood;
  • et, enfin, une fugue de Bach.
Plusieurs personnes moururent cette année-là, dont John Coltrane. [H.M.]
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Sur Rives et dérives, il a souvent été question d’oeuvres de Murakami :

Murakami

Haruki

1Q84 

31/07/2015

Murakami

Haruki

Kafka sur le rivage

07/11/2016

Murakami

Haruki

La course au mouton sauvage

28/09/2022

Murakami

Haruki

Le Meurtre du Commandeur

26/05/2019

Murakami

Haruki

Le passage de la nuit

07/02/2017

Murakami

Haruki

L’éléphant s’évapore

27/07/2017

Murakami

Haruki

Les amants du Spoutnik

27/11/2019

Murakami

Haruki

L’étrange bibliothèque

21/10/2016


mardi 9 janvier 2018

Un certain M. Piekielny - François-Henri Désérable

En mai 2014, des hasards me jetèrent rue Jono Basanaviciaus, à Vilnius, en Lituanie. [F.-H.D.]
Voilà un roman qui s'intéresse à un personnage croisé, décrit ou créé par Romain Gary, un roman sur le parcours de l'auteur Romain Gary lui-même, mais aussi un roman où François-Henri Désérable aborde son propre processus d'écriture et porte un regard sur l'enquête qu'il mène pour livrer ce roman.

Ainsi, les tribulations de la vie amènent notre auteur sur une certaine rue, quelque part en Lituanie. Cette rue, c'est celle où habitait Roman Kacew (Romain Gary), celle qu'il dépeint dans La promesse de l'aube où apparaît subrepticement un personnage, un petit homme qui prendra au sérieux la mère de Roman dans ses visions d'un avenir glorieux pour son fils et qui dira à ce dernier «Quand tu rencontreras de grands personnages [...], promets-moi de leur dire : au no 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M.Piekielny.»

Désérable s'engage alors dans une véritable investigation autour de ce monsieur Piekielny qui aurait été voisin de Romain Gary quelque part entre 1917 et 1923 lorsque celui-ci résidait rue Grande-Pohulanka. Qui était-il ? Jouait-il silencieusement du violon le soir en regardant par la fenêtre la nuit qui s'insinue ? A-t-il vraiment fait cette surprenante déclaration au jeune Roman ? A-t-il été victime, comme plusieurs, des charges du nazisme ?

François-Henri Désérable a déjà livré Évariste sur la courte vie d'un romantique mathématicien. Il ne s'est pas découragé devant le peu d'informations historiques solides et s'est permis de broder, sans honte et au regard de tous, quelques événements, quelques péripéties, quelques rencontres. Cela ne s'est peut-être pas déroulé de cette façon, mais comme il le mentionnait alors : Je préférerai toujours le mystère aux certitudes bien forgées, le champ des possibles à l'indéniable vérité. 

C'est probablement dans cet esprit qu'il raconte ici Piekielny. Le chapitre sur l'éventuelle photo de Roman Kacew, enfant, où apparaîtrait presque par mégarde monsieur Piekielny est un petit bijou de cabotinage suranné.

Mais, cette recherche d'un certain Piekielny, c'est aussi une approche de l'auteur Romain Gary, un regard sur sa vie et son oeuvre, sur ses frasques et ses rencontres jusqu'à ce moment imaginé par Désérable où Gary est l'invité à une émission d'Apostrophes alors qu'il craint que son pseudo Ajar ne soit dévoilé.

François-Henri Désérable nous embarque dans son périple de conteur et c'est bien volontaire que l'on se laisse mener ainsi dans les dédales de son écriture, de sa verve et de son imagination.
«Si l'on ne peut trouver de jouissances à lire et relire un livre, disait Oscar Wilde, il n'est d'aucune utilité de le lire même une fois.» C'est un critère subjectif, excessif, largement excessif, tout aussi largement exclusif ; j'y souscris : chaque fois qu'il y a désir de relecture, il y a littérature. [F.-H.D.]
[...] on aurait pu mettre à bas les institutions de la République et guillotiner le président sous mes fenêtres, j'aurais tiré les rideaux. De tout cela désormais je me foutais royalement. J'étais Kafka notant dans son Journal, à l'été 1914 : « L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi, piscine. » [F.-H.D.]
Tu peux enfouir le passé, me dit mon grand-père, tu ne l'empêcheras pas de ressurgir. [F.-H.D.] 
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Sur Rives et dérives, on trouve un autre commentaire à propos d'un roman de François-Henri Désérable :

Désérable
François-Henri
Évariste


lundi 11 décembre 2017

Maître Glockenspiel - Philippe Meilleur

Si Maître Glockenspiel rêvait depuis longtemps d'être assassiné, l'envie n'avait jamais été aussi forte qu'aujourd'hui. [P.M.]
Philippe Meilleur nous offre un premier roman en forme de dystopie, une oeuvre à la frontière entre l'absurde, l'ironie et la satire. Il nous projette dans un futur où les ouvriers compressés dans des machines à pression de plus en plus performantes fournissent une sueur de qualité pour créer de la richesse, une richesse qui sert à s'offrir à qui le le peut une nouvelle personnalité, une identité originale, un nouveau soi. Il nous fait voir le pouvoir de Maître Glockenspiel, sa mégalomanie, son despotisme, sa propension à imposer sa volonté au peuple, à son peuple.  Il nous entraîne dans un monde où les grandes questions politiques se règlent dans une réelle arène, là où des représentants des castes sociales s'affrontent à la lutte selon un scénario préétabli comme le veut la tradition de ce type de match et où le résultat est invariablement celui que Maître Glockenspiel met de l'avant après avoir consulté l'Oracle.

Mais cet ordre des choses est en péril, l'Oracle est en perdition. Une révolution est en marche, un nouvel équilibre se cherche.

Cette fable un peu gauche fait sourire, mais on comprend que l'auteur a voulu réagir à la société  dans laquelle il vit et ce monde de Glockenspiel est d'une certaine façon le nôtre reflété dans un miroir qui en altère les limites et le grossit quelque peu.

Il a obtenu le prix Robert-Cliche du premier roman en 2017.