lundi 30 octobre 2017

Madame Victoria - Catherine Leroux


Germain Léon n'aime pas les morts. [C.L.]
Même si c'est la mort qui a été l'argument initial d'écriture, ce sont des histoires de vie que Catherine Leroux nous offre. À l'été 2001, le corps d'une femme est découvert dans un boisé près de l'Hôpital Royal Victoria. Malgré les recherches, elle n'est jamais identifiée, on la surnomme alors Victoria. Catherine Leroux nous ouvre son imagination et invente pour nous des cheminements, des parcours, des vies, des chemins de traverse vers une mort inéluctable, mais sans éclat dans un petit bois jouxtant un hôpital montréalais. Madame Victoria se démultiplie dans l'imaginaire de l'auteure, elle s'inscrit dans plusieurs temps, dans plusieurs univers et, de version en version, elle se permet quelques détours dans des fictions s'inspirant d'un fantastique affirmé. C'est plus qu'un exercice de style, ce sont des histoires de solitudes, des histoires anonymes, une mise en abyme de situations qui touchent par leur violence sourde trop de femmes. La plume est belle et la lecture engageante. Je me suis aventuré allègrement dans cette réinvention multiple d'un certain extrait de réalité.

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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Leroux

Catherine

L’avenir

24/01/2021



lundi 16 octobre 2017

Des hommes - Laurent Mauvignier

Il était plus d'une heure moins le quart de l'après-midi, et il a été surpris que tous les regards ne lui tombent pas dessus, qu'on ne montre pas d'étonnement parce que lui aussi avait fait des efforts, qu'il portait une veste et un pantalon assortis, une chemise blanche et l'une des cravates en Skaï comme il s'en faisait il y a vingt ans et qu'on trouve encore dans les solderies. [L.M.]
Lecture difficile que ce roman de Mauvignier, difficile parce que chargée émotionnellement, difficile parce que la guerre, difficile par ce qui n'est pas dit, difficile en raison du choc que ces hommes ont vécu, choc qui propage son onde sur toute leur vie et sur toutes celles et ceux qui les côtoient. Laurent Mauvignier, pour transmettre tout ce poids et tout ce tourment, adopte une écriture qui est proche du langage parlé avec ses hésitations, avec ses non-dits, avec ses phrases qui n'aboutissent pas et qui restent en suspens, avec...

Sous la plume de Mauvignier, plusieurs narrateurs racontent, en différents moments de la ligne du temps. Le sujet, c'est celui de la guerre d'Algérie, mais surtout celui d'une famille élargie qui vit encore aujourd'hui dans son quotidien les affres de cette guerre. Ce sont les relations de Bernard avec sa famille, avec sa soeur et ses frères, avec son cousin qui a aussi vécu les «événements», avec ceux qui ont soufferts et qui souffrent de ce tumulte non cicatrisé. C'est aussi Bernard et des soldats qui envahissent un village, c'est Bernard dans la nuit en sentinelle seul avec sa peur.

C'est une oeuvre marquante par sa forme et par l'impact de son propos.
Il se demande si une cause peut être juste et les moyens injustes. Comment c'est possible de croire que la terreur mènera vers plus de bien. [L.M.]
Nicole, tu sais, on pleure dans la nuit parce qu'un jour on est marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même. [L.M.] 
Peut-être que ça n'a aucune importance, tout ça, cette histoire, qu'on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter [...] [L.M.]

jeudi 12 octobre 2017

Piégée - Lilja Sigurdardottir

Il ne restait plus une goutte de café dans le gobelet. [L.S.]
C'est dans une Islande tourmentée par une crise financière et les cendres produites par l'éruption d'un volcan que se situe ce roman à suspense. C'est le premier polar d'origine islandaise qui s'insinue sur ma table de chevet, je ne peux donc pas faire de comparaison avec d'autres romans de la même souche. Cela a été une lecture agréable, facilitée par la brièveté des chapitres, mais le style de la traduction demeure très terre à terre, était-ce ainsi dans le texte original? Je n'ai donc pas été soulevé par l'écriture. L'aventure, l'histoire qui se déroule sous nos yeux, est tout de même palpitante et se joue sur plusieurs niveaux. On suit Sonja empêtrée dans un trafic qu'elle n'a jamais souhaité, passeuse de drogue pour une organisation qui la maintient à sa merci, tentant par tous les moyens d'accumuler les fonds nécessaires pour convaincre la cour qu'elle pourrait reprendre une garde partagée de son petit Tómas. Sonja est engagée dans une relation particulière avec Agla, pour sa part impliquée dans des tractations financières qui vaudront à sa firme d'être poursuivie. Et puis, il y a un douanier, Bragi, qui cherche à faire survivre sa relation avec son épouse qui est à un stade assez avancé d'Alzheimer. Malgré le potentiel émotif de ces éléments, Piégée demeure bizarrement réservé, pas autant que le jeu des acteurs dans une oeuvre danoise mais tout de même. Cela fait en sorte que même si j'ai vécu une belle lecture, je me suis senti un peu en retrait, comme un observateur non impliqué. Ce retrait n'est toutefois pas suffisant pour ne pas recommander ce roman à suspense, j'ai aimé.

vendredi 29 septembre 2017

Quand sort la recluse - Fred Vargas

Adamsberg, assis sur un rocher de la jetée du port, regardait les marins de Grimsey rentrer de la pêche quotidienne, amarrer, soulever les filets. [F.V.]
Vargas nous entraîne encore dans le cercle intime et professionnel du  commissaire Adamsberg. Le hasard jouera un rôle très important dans le fait qu'une certaine araignée au comportement plutôt furtif, la recluse, vienne modifier l'agenda de l'équipe du commissariat. Plus que l'emploi du temps, c'est toute la structure organisationnelle qui sera touchée par cette intrusion liée aux pulsions instinctives du commissaire. On retrouvera avec bonheur les membres d'une escadre hors du commun dont les membres sont loin d'être unidimensionnels. L'enquête, car il y a une certaine enquête, avance parfois à force de capilotraction, mais, quoi qu'il en soit, c'est en toute volonté que l'on se laisse mener ainsi dans le temps et l'espace de ce polar qui se joue en grande part dans les pensées et les peurs du commissaire Adamsberg.
- Je veux dire: ça pue réellement, dans cette pièce. Vous ne sentez rien? Les agents levèrent leurs têtes tous ensemble pour repérer l'odeur. Curieux, pensa Adamsberg, que l'être humain hausse instinctivement le nez de dix centimètres quand il s'agit de saisir une odeur. Comme si dix centimètres allaient y changer quoi que ce soit. Mue par ce réflexe animal conservé depuis la nuit des temps, la troupe des agents évoquait tout à fait un groupe de gerbilles cherchant à capter l'odeur de l'ennemi dans le vent.  [F.V.]
Comme tant d'autres, Adamsberg aimait les voyages en train, qui vous faisaient l'offrande d'une parenthèse, voire d'une excursion fugitive hors du monde. Les pensées s'y mouvaient mollement, fuyant les écueils. [F.V.] 
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Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Vargas
Fred
L’armée furieuse et Sous les vents de Neptune 

jeudi 21 septembre 2017

Le plongeur - Stéphane Larue

La gratte éclaire de son gyrophare la façade blanchie des immeubles. [S.L.]
Roman hyperréaliste, s'il en est. L'auteur, ou son alter ego, a moins de vingt ans. Il étudie en graphisme au Cégep du Vieux-Montréal. Amateur de musique métal, il a pour projet de dessiner la pochette du groupe de musique de l'un de ses amis. Il a un problème important avec le jeu. Il ne peut voir un bandit manchot (une machine à sous) sans tressaillir, sans avoir l'impulsion incontrôlable de devoir s'asseoir devant l'appareil et d'y insérer l'essentiel de son avoir et de sa vie. Pour tenter de rembourser ses dettes, pour essayer de contribuer au paiement du loyer du co-locataire qui l'héberge, pour éventuellement payer les impressions de ses dessins de pochette, pour jouer encore..., il déserte ses cours et s'insinue dans la plonge d'un restaurant huppé, La Trattoria. On découvrira avec lui un univers, celui de l'arrière-cuisine, un monde sombre où se jouent des amitiés et des luttes et où l'alcool et les drogues ont leur rôle.
La serveuse s’est arrêtée au seuil d’une pièce dont les étagères étaient encombrées de vaisselle. Ça devait être la plonge. C’était une pièce relativement grande, dix pieds par vingt pieds, peut-être. Du côté gauche, on avait entreposé la vaisselle propre. Du côté droit, la sale. Au centre, c’était un champ de bataille où gisaient les vestiges du service du midi. Sur une étagère crasseuse en métal haute et large s’entassaient des piles d’assiettes maculées, des chaudrons recouverts de sauce tomate cramée dans lesquels on avait laissé des louches tordues ou des pinces enduites de couches indifférenciées de jus, des récipients au fond desquels croupissaient des légumes en juliennes molasses ou des restes visqueux de marinade, des plaques de cuisson couvertes de gras et de lambeaux de peau de poulet calcinée.  [S.L.]
Stéphane Larue nous emmène avec lui dans ce monde en faisant usage d'une langue tranchée et vive qui donne aux descriptions leur tonalité crue. J'ai aimé l'hyperréalisme de ce roman montréalais et on peut très bien comprendre qu'il ait pu se mériter le Prix des libraires en 2017.
Une femme, dans un long manteau crème, m'a coupé en laissant un sillage de parfum vanillé. Elle parlait d'une voix cassante au cellulaire. Les talons de ses bottines claquaient sur le trottoir humide. [S.L.]