vendredi 5 mai 2017

Boussole - Mathias Énard

Nous sommes deux fumeurs d'opium chacun dans son nuage, sans rien voir au-dehors, seuls, sans nous comprendre jamais nous fumons, visages agonisants dans un miroir, nous sommes une image glacée à laquelle le temps donne l'illusion du mouvement, un cristal de neige glissant sur une pelote de givre dont personne ne perçoit la complexité des enchevêtrements [...] [M.E.] 
Voilà une lecture qui m'a fait voyager... dans la littérature, dans le monde musical, vers l'orient et ses mystères, en activant généreusement mes réflexions et mes pensées. Et, ce voyage était porté par une plume hors du commun, avec une verve précise qui engendre des phrases qui évoluent avec la pensée de celui qui la manie, qui nous engage dans cette quête, qui nous bouscule vers l'au-delà, de l'autre côté des frontières dans un orient réel et imaginaire, un orient vécu par ceux qui y sont et rêvé par les orientalistes. Nous prenons part ainsi au voyage de Franz Ritter, ce musicologue viennois, dans sa vie, dans ses pérégrinations, dans ses explorations de spécialiste à l'intérieur de la musique occidentale du XIXe siècle influencée par les saveurs de Turquie, par l'Orient, par l'idée que l'on se faisait de cet univers des fragrances et des épices, dans ses explorations de la chose amoureuse et de l'amitié dans des terres méconnues.
[...] la musique est un beau refuge contre l'imperfection du monde et la déchéance du corps. [M.E.] 
À propos d'une petite valse pour flûte et violoncelle, l'auteur écrit :
La petite valse est une drogue puissante : les cordes chaleureuses du violoncelle enveloppent la flûte, il y a quelque chose de fortement érotique dans ce duo d’instruments qui s’enlacent chacun dans son propre thème, sa propre phrase, comme si l’harmonie était une distance calculée, un lien fort et un espace infranchissable à la fois, une rigidité qui nous soude l’un à l’autre en nous empêchant de nous rapprocher tout à fait. [M.E.]
Si, plus tôt dans l'année, j'ai avoué ne pas avoir été interpellé à sa juste valeur par L'usage du monde de Nicolas Bouvier qui partageait un décor semblable, ici, j'ai été envoûté, enivré par le discours, par le regard mélancolique sur un passé de voyages, de découvertes, de visites de lieux mythiques, Istanbul, Damas, Alep, Téhéran, Palmyre, par une déclaration d'amour de quatre cents pages, par une érudition qui ne m'est pas apparue ostentatoire, mais réelle et partagée avec bonheur. Je me suis laissé porter, béat, par ce pèlerinage inscrit dans une vie et un territoire que je n'aurai probablement jamais la chance de fouler.
Pour qui arrivait de Damas, Alep était exotique ; plus cosmopolite peut-être, plus proche d’Istanbul, arabe, turque, arménienne, kurde, à quelques lieues d’Antioche, patrie des saints et des croisés, entre les cours de l’Oronte et de l’Euphrate. Alep était une ville de pierre, aux interminables dédales de souks couverts débouchant contre le glacis d’une citadelle imprenable, et une cité moderne, de parcs et de jardins, construite autour de la gare, branche sud du Bagdad Bahn, qui mettait Alep à une semaine de Vienne via Istanbul et Konya dès janvier 1913 [...] [M.E.]
Il y aurait peut-être une apostille à rajouter à mon ouvrage, une coda, voire un codicille [...] [M.E.] 
Avait-il ressenti, lui aussi, l’effroi du désert, cette angoisse solitaire qui serre la poitrine dans l’immensité, la grande violence de l’immensité qu’on imagine receler bien des dangers et des douleurs — peines et périls de l’âme et du corps mêlés, la soif, la faim, certes, mais aussi la solitude, l’abandon, le désespoir ;  [...] [M.E.]
Sans l'Orient (ce songe en arabe, en persan et en turc, apatride, qu'on appelle l'Orient) pas de Proust, pas de Recherche du temps perdu [...] [M.E.]
Il y a tout l'univers dans une bibliothèque [...] [M.E.] 
À l’orient de l’Orient on n’échappe pas non plus à la violence conquérante de l’Europe, à ses marchands, ses soldats, ses orientalistes ou ses missionnaires — les orientalistes sont la version, les missionnaires le thème : là où les savants traduisent et importent des savoirs étrangers, les religieux exportent leur foi, apprennent des langues locales pour mieux y rendre intelligibles les Évangiles.  [M.E.]

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lundi 1 mai 2017

Le problème à trois corps - Liu Cixin

L'assaut de l'Union rouge contre le quartier général de la brigade du 28 Avril durait depuis deux jours. [L.C.]
Quel roman de science-fiction surprenant! Une SF qui prend racine au moment de la révolution culturelle en République populaire de Chine, c'est l'oeuvre d'un auteur chinois. Une SF qui s'insinue dans le monde de la physique théorique et de la mécanique orbitale, mais aussi de la quête de signaux en provenance de l'espace. Une SF où le jeu vidéo, la réalité virtuelle et la simulation dans l'histoire du monde jouent un rôle de premier plan. Une SF où une certaine forme de religion et ses dérives sectaires constituent une réponse à l'inconnu qui vient. Une SF où les personnages auraient gagné à prendre plus de relief. Une SF, originellement publiée en Chine en 2007, qui a remporté le prix Hugo 2015 du meilleur roman de science-fiction et de fantastique. Le problème à trois corps, premier tome d'une trilogie, suscite l'intérêt de lecture et le désir d'entamer la suite le plus tôt possible. J'ai plongé avec joie dans l'univers que Liu Cixin nous a concocté.
En Chine, toutes les pensées libres et contestataires, après avoir pris leur envol, finissent toutes un jour ou l'autre par s'écraser sur le sol, car la gravité de la réalité est trop lourde. [L.C.]
À propos de l'enseignement d'une formule mathématique: D'autres enfants auraient dit de la formule qu'elle était astucieuse ou autre chose, mais Dong-dong prétendait que la formule était belle, magnifique, elle en parlait comme si elle louait la beauté d'une fleur sauvage. [L.C.]
Je suis un homme simple et direct, on voit mon cul au fond de ma gorge. [L.C.] 

jeudi 20 avril 2017

Numéro zéro - Umberto Eco

Ce matin, l'eau ne coulait plus au robinet. [U.E.]
Umberto Eco possède (possédait) une plume qui me séduit. Son style, son écriture, ses dialogues ont tout pour m'accrocher et maintenir mon attention jusqu'à la fin du roman.  Cette fois-ci, il s'agira d'un regard (ou d'une flèche) satirique porté sur le monde journalistique, sur la presse, sur la manipulation de l'information (tiens, tiens), sur la création de l'événement, sur l'influence des médias. Tous des sujets qui en ces jours de vérités alternatives et de fausses nouvelles méritent bien qu'on s'en moque tout en provoquant une prise de conscience sinon une crise de conscience par ce pamphlet interposé.

Le milieu qu'Eco raille est celui de la presse italienne, mais sa critique porte aussi bien sur le milieu équivalent dans n'importe quel univers du monde occidental. Le numéro zéro, c'est le prototype du futur quotidien Domani. Un projet qui n'ira pas plus loin que ce numéro zéro, un projet qui recense toutes les dérives journalistiques et dont les entrailles révèlent un complot à la grandeur de l'histoire italienne récente et moins récente.

J'ai plongé tête première dans cette intrigue acoquinant le Duce et le Vatican en passant par la Loge P2 et les Brigades rouges, notamment.
Le seul problème sérieux, pour le bon citoyen, c'est de ne pas payer ses impôts, et puis que ceux qui commandent fassent ce qu'ils veulent, de toute façon, ils font toujours leur beurre. Et amen. [U.E.] 
Le monde est un cauchemar, mon amour. Je voudrais bien descende, mais ils m'ont dit qu'on ne peut pas, nous sommes dans un train direct sans arrêts intermédiaires. [U.E.] 
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jeudi 13 avril 2017

Guide des égarés - Jean d'Ormesson

Le titre de ce manuel de savoir-vivre à l'usage de ceux qui s'interrogent sur les mystères du monde, je l'ai emprunté à Maimonide, philosophe et médecin juif né à Cordoue, alors musulmane, au temps de Philippe Auguste, de saint François d'Assise, de l'empereur Frédéric II et de Saladin, il y a un peu moins de mille ans. [J.d'O.]
Voilà un ouvrage difficile à classifier. Il se déclare ne pas être un ouvrage de philosophie, mais un manuel présentant quelques concepts de la vie dans laquelle tous et chacun de nous sommes plongés, un manuel pour en dégager un sens ou non, un manuel pour les égarés que nous sommes.
Nous ignorons d'où nous venons, nous ignorons où nous allons. nous sommes tous des égarés. [J.d'O.] 
Il n'est pas impossible que le monde soit absurde, que tant de bien et tant de mal, tant de souffrances, tant de bonheurs, tant de beauté et d'amour tombent à jamais dans le néant et l'oubli et que la vie, qui nous est si chère, n'ait pas le moindre sens.  [J.d'O.]
J'ai pris en note plusieurs passages qui font sens, qui résonnent en moi, qui me disent ou me révèlent quelque chose. Mais, je demeure hésitant et circonspect devant l'ensemble que cela donne. Je ne peux dire que je regrette cette lecture, les quelques pages qu'elle comporte se sont lues rapidement et avec une certaine facilité, mais était-ce un ouvrage nécessaire? Était-ce une lecture nécessaire?
Les nombres - comme tout le reste - ne prennent un sens qu'avec les hommes, chez les hommes, grâce aux hommes.  [J.d'O.]
L'air est un des avatars les plus subtils de la matière. tellement subtil qu'il semble se complaire dans une espèce de modestie assez proche de l'absence. Nous ne le voyons pas. Sauf quand il se lève en tempête sur les injonctions d'un romantisme en transes et de Chateaubriand, nous ne l'entendons pas. [Un zeugme de J.d.O.]
Penser la pensée est la tâche, non pas d'une science exacte, mais d'un art difficile, flanqué d'un vocabulaire technique et de règles précises et vagues : la philosophie. [J.d'O.] 
Si Dieu existe, nous dit Woody Allen, j'espère qu'il a une bonne excuse.  [J.d'O.]
Un philosophe qui n'hésite pas à citer Allen vient chercher chez moi une certaine sympathie.
Vivre n'est rien d'autre que mourir dans un avenir plus ou mois proche et toujours imprévisible. [J.d'O.] 
Nous naissons et nous mourons. Entre la naissance et la mort, presque rien. nous prenons le métro, nous bâtissons des empires, nous essayons de survivre, nous écrivons La divine comédie, nous nous jetons dans la mer, dans les plaisirs et dans la vanité. Et nous faisons l'amour pour lutter contre la mort et la disparition. [J.d'O.]
Après un regard relativement noir sur notre passage dans la vie, d'Ormesson termine sur une note plus encourageante.
Il nous faut, vaille que vaille, courir après l'impossible et chérir l'utopie. [J.d'O.]  


lundi 10 avril 2017

Kennedy et moi - Jean-Paul Dubois

[Archives Mai 2006]

Hier, j'ai acheté un revolver. [J.-P.D.]
Ce Dubois continue à me surprendre, continue à m'attirer par ses personnages troublés, par sa plume qui demeure légère devant ce trouble et par son don de l'histoire. Kennedy et moi est un texte en stéréo : un chapitre au je suivi d'un chapitre écrit par un narrateur externe. Cet artifice permet d'avoir un oeil dans le coeur de Simon Polaris et un oeil sur lui. J'ai adoré et je poursuis mes incursions dans l'oeuvre de Jean-Paul Dubois.

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