mercredi 9 novembre 2011

Oulipo Show - UBU Compagnie de création


En 1988, la compagnie de création Ubu livrait pour la première fois son collage Oulipo show. Amateurs invétérés de l'Ouvroir, ma soeur et moi ne voulions sous aucun prétexte rater cette occasion de s'exposer aux textes de Queneau, de Perec, de Calvino et de tous ces autres fous littéraires potentiels. Nous avions donc pris soin de réserver nos places pour ce qui allait devenir, nous en étions assurés, l'une des grandes prestations du théâtre Ubu. C'est donc empreint d'une fièvre empressée et d'une hâte non dissimulée que nous nous sommes présentés à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier sans nous rendre compte qu'il s'agissait alors de l'avant-première.

À cette avant-première, nous étions peu dans le hall d'entrée du théâtre, que dire peu, nous étions, ma soeur et moi, les seuls à attendre. Mais, prêts et déterminés à livrer le spectacle, le metteur en scène et la troupe nous ont offert qu'une partie de l'équipe du théâtre nous accompagne dans la salle pour que nous nous sentions tout de même entourés et membres d'un public. 

Nous avons alors eu le privilège d'assister presque en privé à une performance hors du commun. Nous avions devant nous quatre maîtres des mots, quatre personnages plongés dans le jeu et le verbe, quatre hurluberlus qui s’exerçaient le style dans le ludisme fou que la contrainte génère. Nous connaissions déjà plusieurs des textes du collage, mais les voir ainsi livrés devant nous, pour nous... Nous étions ravis, atterrés, éberlués. Notre tentative d'ovation debout n'aura jamais été à la hauteur de l'appréciation que nous aurions voulu leur transmettre. D'un naturel timide, nous avons doucement quitté la salle, conscients d'avoir été les témoins d'une fête des mots sans pareil.

Depuis, j'aurai revu l'Oulipo show en deux autres occasions avec la même délectation, avec la même joie. 

Et, récemment, nous avons eu l'occasion de savourer à nouveau ce spectacle d'un trajet dans l'autobus S et d'applaudir la troupe du Théâtre Ubu à tout rompre. Après 23 ans, l'Oulipo Show nous a encore éblouis!  Quelle extraordinaire performance.

Textes : Italo Calvino + François Caradec + François Le Lionnais + Jean Lescure + Denis Marleau + Harry Mathews + Georges Perec + Raymond Queneau + Michel Tremblay
Collage, mise en scène et scénographie : Denis Marleau
Avec : Carl Béchard + Pierre Chagnon + Bernard Meney + Danièle Panneton

mardi 8 novembre 2011

La chaussure sur le toit - Vincent Delecroix

J'ai un doute, tout de même. [V.D.]

Un roman, dix récits, des histoires qui se croisent et qui ont toutes en commun la chaussure délaissée sur le toit. S'agit-il toujours de la même chaussure? Est-ce qu'il s'agit d'un roman unique ou de dix nouvelles sur un thème commun? Les liens sont parfois ténus, c'est le nom d'un personnage secondaire, c'est un chien qui croise la trame, c'est un décor de toiture, ... 

Le sujet de ce livre, est-ce la chaussure? Est-ce sa situation sur le toit? Ne serait-ce pas en fait sa solitude et celle de ceux qui la croisent? On pénètre en effet par auteur interposé dans les pensées intimes de personnages qui vivent leur solitude sur différents tons. C'est parfois la mélancolie, c'est le rêve, c'est la différence non assumée, c'est un ange qui passe. La chaussure sur le toit apparaît comme autant de représentations de la solitude de ces êtres. C'est presque un exercice de style où le fil rouge se situent parfois au coeur, parfois en marge du récit, mais toujours sur le toit.

La première phrase livrée ici en exergue est révélatrice. Vincent Delecroix est philosophe.

mardi 6 septembre 2011

La mort, entre autres - Philip Kerr

Je me souviens du temps qu'il faisait, en ce mois de septembre. [P.K.]
Philip Kerr et Bernhard Gunther remettent ça. Nous sommes en 1949 et l'essentiel se passe entre Munich, Vienne et un village des Alpes à la frontière entre l'Allemagne et l'Autriche. C'est la Trilogie berlinoise qui se poursuit. On est dans l'après-guerre lorsque les Américains et les Russes occupent encore le territoire allemand, dans un moment où la recherche des criminels nazis occupe une place prépondérante. Gunther, ancien policier, ex-SS, reprend son service de détective privé. Il sera mêlé, par ses enquêtes, à des réseaux de camarades qui cherchent à quitter ces lieux qui n'apparaissent plus hospitaliers pour des terres outre-Atlantique. Dans cet univers de guerre froide, Bernie Gunther est plongé dans un complot tortueux où il risquera sa peau.

Philip Kerr maintient la tension tout au long des 400 pages de ce polar historique. On demeure rivé à son texte. Même si la forme est parfois truffée de métaphores douteuses qui pourraient nous inciter à décrocher, l'intrigue est tellement prenante qu'on n'hésite pas à passer outre ce tic déplacé de l'écrivain.

__________________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Kerr
Philip
La trilogie berlinoise 


lundi 5 septembre 2011

Homo erectus - Tonino Benacquista




Pour certains, il s'agissait d'un rendez-vous réservé aux hommes, où il était question de femmes. [T.B.]
Benacquista nous amène sur un terrain qui ne fait pas partie de ses champs habituels avec ce roman sur les rapports hommes-femmes vus, vécus, analysés et rendus par des hommes qui se rencontrent en des lieux secrets pour s'entendre, pour se dire. La confrérie comme certains nomment ce groupe n'est qu'un artifice pour rendre les expériences de trois hommes que tout distingue. Trois hommes dont les passés et les futurs n'ont aucun lien, mais qui, dans le présent partagent leurs émois. On a ici des histoires parallèles, des tranches de vies, des expressions de vécus, des pensées sur soi et sur les femmes et surtout sur les échanges, les chocs et les conflits que cela suscite.

C'est le livre d'une quête de l'Homme pour saisir le mystère féminin, une quête qui ne s'éteindra pas avec la dernière page du roman, tant s'en faut.

____________

Sur Rives et dérives, à propos de Benacquista, on trouve :

Benacquista

Tonino

Romanesque

31/01/2017

Benacquista

Tonino

Toutes les histoires d’amour ont été racontées, sauf une

06/12/2020

jeudi 23 juin 2011

Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne - Michel Onfray

J'ai rencontré Freud sur le marché de la sous-préfecture d'Argentan (Orne) quand j'avais une quinzaine d'années... [M.O]

Ce fut en grande partie une lecture de plage. On pourrait trouver qu'il s'agit d'un sujet et d'un texte de contenu trop sérieux pour l'associer ainsi à la brise du sud et au sable doux, mais la position du lecteur allongé devant l'infinie surface mouvante de la mer, enveloppé par le tumulte de l'onde constitue souvent un contexte qui prédispose à la réflexion et l'introspection que l'intrusion dans un tel texte commande. 

La préface m'a séduit. Onfray y décrit sa rencontre adolescente de trois livres et de trois auteurs qui auront une influence marquée sur sa pensée et sa démarche. Il s'agira de L'antéchrist de Nietzsche, du Manifeste du Parti communiste de Marx et de Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud. Il dit de ces rencontres : À quinze ou seize ans, je disposais d'un stock de dynamite considérable pour faire sauter la morale catholique, miner la machinerie capitaliste et volatiliser la morale sexuelle répressive judéo-chrétienne. De quoi faire la fête philosophique, et pour longtemps! Nous n'avons pas tous croisé ces auteurs à quinze ans, mais souvent des textes lus dans l'adolescence ont imprimé sur notre devenir des traces indélébiles.


Je ne reprendrai pas ici toute la polémique que Le crépuscule d'une idole a pu soulever en France. Au Québec, la vague a été nettement moins déferlante. La psychanalyse n'a pas ici l'espace privilégié que la France lui réserve.

L'argument d'Onfray : Freud a été un philosophe qui détestait la philosophie et les philosophes. Son oeuvre, tirée de ses expériences personnelles, n'est en rien scientifique et s'apparente plutôt à une catégorie subjective de psychologie littéraire ou d'autobiographie philosophique. Onfray démonte la statue de Freud et répond à quelques-uns des raccourcis que certains auteurs ont aménagés pour décrire l'oeuvre psychanalytique. Il se sert de l'histoire de Freud, pas nécessairement celle que ces hagiographes officiels ont voulu montrer. Il reprend l'histoire de la naissance du concept et en livre une critique radicale. Il le fait dans un style clair et explicite. Son écriture porte toujours cette signature de celui qui veut se faire comprendre. Peut-être qu'il abuse de la répétition des arguments et parfois, on sent la redite un peu appuyée. On passe toutefois au-delà de cette difficulté d'écriture, le propos étant tellement porteur.

Derrière l'affabulation freudienne, Onfray découvre et met en exergue la logique ecclésiastique de la psychanalyse avec sa doctrine, son pape, ses évêques et ses cardinaux, son rituel, son orthodoxie. Il montre à quel point la psychanalyse se veut telle une vision du monde totalisante ayant réponse à tout et proposant un concept, l'inconscient, qui permettra l'interprétation de la totalité de ce qui a eu lieu, a lieu et aura lieu. Freud n'apparait plus comme le libérateur que certains croyaient, mais plutôt comme un inhibiteur de l'investissement politique, comme le tenant d'une illusion indémontrable.

Onfray repose son texte sur une recherche imposante traduite dans une bibliographie commentée de près de 20 pages. C'est loin de n'être qu'une pierre lancée dans la mare, c'est une vision réfléchie et lucide du freudisme qu'Onfray nous livre.

_________________

Sur Rives et dérives, on trouve aussi :

Onfray
Michel
Apostille au Crépuscule, Pour une psychanalyse non freudienne